J’ai pris l’habitude de commenter et analyser ici des articles ou des ouvrages de Robert Castel, sociologue de l’EHESS. Cet auteur a construit une pensée originale sur l’évolution, l’effritement, de la
société salariale depuis 20 ans. On se rappellera « Les métamorphoses de la question sociale » en 1995 et « L’insécurité sociale » en 2003. Dans mon billet du 25 novembre 2008, je vous proposais d’écouter son interview disponible sur le site de la Vie des Idées. Sans conteste, Robert Castel est un de ceux qui ont le plus pensé les changements sociétaux et des protections sociales, sans diabolisation, sans angélisme.
La livraison d’un nouvel ouvrage…
Son dernier ouvrage, paru en mars 2009, un ensemble de textes produits entre 1995 et 2008, s’intitule « La montée des incertitudes ». L’ensemble est un peu disparate, mais permet de bien comprendre les thèses de l’auteur :
- Il propose tout d’abord un retour sur les transformations de la société après l’élaboration du compromis social du capitalisme industriel : décollectivisation, progression d’une société d’individus, progression vers une société du risque (les incertitudes, entre réalités et représentations), questionnement de l’Etat social.
- Il analyse ensuite les dérégulations du travail : effritement des statuts protecteurs,
augmentation des pressions vers une intensification du rapport au travail, institutionnalisation du « précariat »,
- Il s’engage dans un regard critique sur les reconfigurations des protections sociales : sortie de la phase de croissance de l’État social, interrogations du travail social, sens possibles des réformes.
- Il développe ensuite, avec une narration mi-historique, mi-poétique, une description de certains processus de désaffiliation : déclinaison de l’histoire de Tristan et Iseut, histoire de la marginalité sociale, ambiguïté du concept d’exclusion sociale, perte de sens de la référence à l’idée de classe ouvrière, traitement différentiel des minorités ethniques.
- Enfin, il philosophe sur le concept d’individu : sa naissance historique (référence divine, référence à la propriété sociale, référence à la citoyenneté), sa déclinaison autour de l’individu hypermoderne « par excès » (inflation de subjectivité et d’hyperindividualisme) et « par défaut » (sous-salariat, « précariat »).
… avec des questions fortes
J’ai retenu une problématique centrale, un questionnement finalement continu, presque une obsession, chez Castel : comment dans l’économie moderne, concilier les conditions requises pour maximiser la production des richesses (les exigences du marché) et la protection de ceux qui les produisent (la sécurité des travailleurs) ?
… notamment pour le travail social
J’ai également été très sensible au retour sur les transformations du modèle de travail social… L’État social se construit aujourd’hui autour d’une double injonction : se rapprocher des besoins des usagers, impliquer les bénéficiaires afin de les responsabiliser et de les faire coopérer aux services qui leur sont dispensés… La conséquence pour le travail social ? Un exercice de mandat, toujours centré sur un paradoxe (travailler sur l’intégration sociale, mais avec un service individuel), qui ne s’opère plus dans un engagement majeur auprès des personnes, mais dans des actions ciblées, territorialisées, en appelant à la participation des partenaires et des usagers. L’usager est alors considéré à la fois comme citoyen et comme client.
… et un positionnement
J’ai surtout retenu des leçons :
- ne pas se tromper de capitalisme pour proposer une recherche d’un nouveau compromis social, entre fonctionnement de marché et restauration des sécurités et protections dans la réalité d’aujourd’hui,
- soutenir un réformisme résolu, hors de l’alternative révolutionnaire, autour d’un objectif clair (articuler dans un cadre vivable pour tous les deux piliers de la modernité qu’ont été et que restent le marché et le travail).
Au travail donc !
A mon sens, à partir de cet horizon dessiné, il reste à bosser pour tracer le chemin, résolument, concrètement, avec responsabilité. Pour éviter de laisser le champ au seul réformisme libéral, c’est la rôle majeur du réformisme social, non réduit à des corrections de la dureté du monde économique, mais inscrit dans la construction d’un compromis social nouveau, réel, lisible, acceptable pour tous.
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