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Une parution récente …
Il y a 3 semaines, est paru un ouvrage de Jean-René Loubat, psychosociologue et consultant, auteur bien connu dans le secteur social et médico-social :
- d’un ouvrage de base sur les projets d’établissement, qui a été un repère majeur dans le secteur,
- de nombreux articles, le rendant ensuite presque incontournable,
- de livres sur son idée centrale, promouvoir une nécessaire « relation de service », une structuration précise, en action sociale et médico-sociale, du service rendu et de la relation contractuelle usager / prestataire, sur le modèle client / prestataire,
- d’écrits et d’un livre sur le management, très orientés : affirmation d’une nécessaire révolution d’un secteur qui n’aurait pas été capable, selon lui, de construire le changement, encore objet de nombreuses résistances, vision managériale très proche de la logique marchande.
… d’un ouvrage bien intéressant
Dans ce nouvel ouvrage et au regard des hésitations des pouvoirs publics, J-R. Loubat reprend ses
positions en les déclinant autour de la qualité et de l’évaluation, avec une vision idéologico-stratégique : promouvoir des démarches, des contenus (indicateurs), pensés dans 3 directions, le « produit » (prestations), la « relation client » (dimension contractuelle), le « processus » (l’organisation et son management).
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Une construction globale …
Sur l’évolution en cours, ses avancées et ses reculs, les indécisions publiques, il souligne la « révolution douce » qui serait engagée, tant sur la qualité que sur l’évaluation, autour de la relation entre le prestataire et le bénéficiaire (pardon ! le « client » dirait J-R. Loubat). Tout cela est regardé comme une forte aventure, une « extraordinaire avancée intellectuelle, professionnelle et humaine ».
Différenciant la « qualité » (aptitude ou statut), « l’accréditation » (examen à un moment donné au regard d’un référentiel officiel) et la « démarche qualité » (processus sans fin ou cercle vertueux), il positionne cette dernière pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS). Dans l’oscillation entre approche administrative et approche commerciale, il met en avant la nécessaire formulation et mesure de la « valeur ajoutée » de la prestation proposée par un ESMS, insistant sur la « logique systémique » de son triptyque initial « produit / relation client / processus ».
Dans sa logique, il propose une méthode / système comprenant des instances (comité stratégique, comité de pilotage, référents qualité, groupes d’évaluations, groupes de progrès) et des étapes (mise en place du comité stratégique, information générale, installation du fil rouge qu’est le comité de pilotage, détermination des référents pour chaque prestation, mobilisation des groupes d’évaluation se transformant ensuite en groupes de progrès, etc.). Sa proposition centrale est d’adopter un référentiel (à adapter certes) en soulignant l’importance de nombreux indicateurs. Pour toute démarche « d’amélioration continue de la qualité », il s’agit selon l’auteur d’embrasser le maximum de contenus dans une « revue qualité complète », avec une « logique d’exhaustivité ».
… et une conception des contenus de l’évaluation en 3 thèmes
Logique avec lui-même, l’auteur propose un guide particulièrement complet sur les contenus de la qualité. Tout en acceptant la diversité des référentiels, J-R. Loubat se positionne : beaucoup sont trop parcellaires, trop fonctionnels, parfois même trop faibles sur un plan technique. Il ajoute que le guide du CNESMS (Guide de l’évaluation interne de 2006 : voir les articles de mon blog sur ce guide) repris par l’ANESM, qui est pourtant un repère officiel, pècherait par son caractère trop « processuel » et son omission majeure de la « qualité des prestations ». Le guide proposé comprend :
- une première partie codifiant de façon précise, rigoureuse, un plan des prestations dans un ESMS conforme aux conceptions développées antérieurement par J-R. Loubat, en déclinant dans chacune des 15 rubriques de prestations, des sous-rubriques (109 au total !) et 819 indicateurs de la qualité.
- une deuxième partie présentant, avec la même rigueur, le plan de la qualité pour la relation client, avec 12 rubriques possibles, 29 sous-rubriques et 232 indicateurs.
- une dernière partie déclinant le plan de la qualité pour les actions et la structuration institutionnelle, ce que l’auteur appelle la qualité du processus, avec 10 rubriques, 31 sous-rubriques et 287 indicateurs.
Parallèlement, l’auteur présente une construction pratique pour l’évaluation :
1. Pour chaque indicateur une place pour des constats ou commentaires et une place pour une cotation (de très satisfaisant à très insatisfaisant) avec 4 notes possibles,
2. Pour chaque sous-rubrique, une place possible pour un résumé des atouts et des faiblesses et une place pour des axes de progrès.
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Ce qu’il convient de penser de la méthode présentée par J-R. Loubat …
L’ouvrage présenté se trouve à mi-chemin entre la construction d’une pensée/méthode et la présentation d’un outil vendu sur le marché (avec logiciel complémentaire à acheter). Sur le fond, cela me semble gênant (c’est comme si dans ce blog fait pour diffuser des idées, des débats, je vendais des produits commerciaux). Néanmoins, l’apport de ce livre est indéniable…
- J’avais trouvé J-R. Loubat agressif, affirmatif, exclusif dans ses derniers ouvrages, ici nous avons droit à une écriture qui s’apaise, des contenus plus tranquilles, moins de regards ironiques et sévères sur le secteur social et médico-social.
- J’ai particulièrement apprécié la construction rigoureuse des indicateurs (il s’agit de la description d’un engagement ou d’une action), ce qui change de certains référentiels où les engagements sont uniquement exprimés dans des critères et les indicateurs sont juste les mentions des éléments à rassembler pour faire la preuve du respect d’un engagement. Je plaide depuis longtemps (et je construis sur le terrain avec les institutions) pour des indicateurs de qualité qui soient de véritables descriptions de l’activité réalisée ou des engagements visés.
- J’ai été moins convaincu par le mode de mesure, sur le terrain, des écarts entre qualité attendue et qualité réelle : ce sont les groupes d’évaluateurs qui font les constats et mettent des notes, sans appel à des outils comme les sondages, les groupes d’expression, les questionnaires, les mesures statistiques.
- Mais enfin, et globalement, la méthode me semble tenir la route, rigoureuse.
… et de ses positions de fond
Sur le fond, comme J-R. Loubat, je pense utile d’interroger les pratiques en étant confronté à des repères rationnels, avec une méthode exigeante, pour éviter de se mentir à soi-même, en se contentant à des propos incantatoires ou des sentiments et appréciations subjectives. De même, je trouve intéressant de prêter attention à la « relation de service », en mettant en avant une position active des bénéficiaires de l’action sociale et médico-sociale. Dans le prolongement, je trouve toujours originaux et intéressants les apports de J-R. Loubat pour caractériser, dans la recherche d’un meilleur service, les prestations dues par un ESMS. Mais je reste très marqué par les dérives, déjà largement annoncées par d’autres, que confirme cet ouvrage :
- une logique de certification où est mise en avant la fourniture de prestations conformes, codifiées, bien avant la logique de développement d’une position active et de sujet des usagers,
- la codification même des prestations : de nombreuses approches y sont oubliées (l’adaptation réciproque des personnes et du milieu, une des bases du travail social, la prévention et la lutte contre la maltraitance, etc.), de nombreux contenus sont asséchants, l’innovation ou le sens des démarches sont absents. D’ailleurs le rappel des références (convictions), pourtant proposé par le CNESMS et l’ANESM, est totalement occulté dans le référentiel Loubat,
- le nombre délirant d’indicateurs (1340 !) : le mythe de la maîtrise exhaustive de tous les facteurs est sans arrêt présent. Pour ma part, je plaide, comme l’a dit l’ANESM, pour le contraire : une approche limitée du nombre d’indicateurs, une approche rigoureuse des contenus
- le saut qualitatif énorme : l’approche psycho-sociologique et volontariste de l’auteur autour d’une vraie promotion et d’une réelle place des usagers s’estompe ici dans la promotion unique d’un modèle marchand.
Et je redis le risque de voir tous les apports de J-R. Loubat être peu à peu condamnés par une fascination trop grande pour le modèle marchand, la promotion du marketing, y compris dans ses aspects les moins appréciables, un modèle unique et codifié de la prestation.
Daniel GACOIN
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