.
Une politique questionnée …
Le grand public perçoit parfois des brides de la politique publique ou des actions auprès des toxicomanes, essentiellement par des envolées lyriques, des positions ou des polémiques, souvent caricaturales : ici les porteurs d’une vision humaniste, où le soin aux personnes serait alors prédominant, là des promoteurs d’une vision sécuritaire, où les toxicomanes seraient à traiter comme des délinquants. Au sein même des structures spécialisées du social ou du médico-social, chez leurs professionnels, la caricature dans les débats est prédominante sur la réelle connaissance des enjeux et des pratiques.
… dans un fil historique utile à rappeler
Il convient de se rappeler le fil historique du développement des soins aux toxicomanes ou de la prévention de la toxicomanie :
- Un contexte général, depuis plusieurs siècles, construit autour de la dualité des positionnements publics : l’État favorise l’offre de produits (licites ou illicites) tout en voulant limiter en parallèle l’offre de produits (licites ou illicites),
- Une centration particulière au cours des années 1970, dans un contexte fort de diffusion des produits stupéfiants, sur la lutte contre la toxicomanie et les soins aux toxicomanes. Naissent à cette époque les structures de soins, en milieu hospitalier, mais également les centres d’accueil spécialisés pour toxicomanes et les centres de post-cures, avec une idée de base, la relation patient / produit / contexte est pathologique, le soin est la première nécessité .
- Arrivent les années 1980 : la nécessité d’un travail, non plus de traitement, mais de prévention primaire ou secondaire (pour l’ensemble de la population, pour des groupes à risque). Ces approches se complètent par une approche nouvelle, celle la prévention tertiaire (limiter les conséquences néfastes d’une prise de toxiques) avec, par exemple, les programmes de distribution de matériels (seringues,…).
- La spécialisation des modes de prises en charge des toxicomanes est de rigueur en 1992, avec le décret sur les centres spécialisés de soins pour toxicomanes (CSST), qui évoquent la nécessité d’une « prise en charge médico-psychologique, sociale et éducative et d’aide à l’insertion », avec possible anonymat des bénéficiaires,
- Dans la foulée, les programmes de substitution (malgré les débats qu’ils ont pu soulever) par méthadone ou subutex sont mis en place. Est ainsi consacrée dans les années 1990-2000, une approche conjuguée de la toxicomanie entre accueil de premier rang (distribution de matériels, présence dans certains sites de professionnels du soin), traitement de substitution en milieu spécialisé (CSST) puis accompagnement pluridisciplinaire (CSST) ou ambulatoire (consultation, réseaux de soins). Apparaît également le possible lien entre plusieurs addictions, si bien que le lien entre les CSST, les CSST avec hébergement (y compris post-cure), les appartement de coordination thérapeutique (ACT), et les Centres de Consultation Ambulatoire en Alcoologie (structures anciennes, parfois issus des centres d’hygiène sociale et alimentaire des années 1920-1930) est alors pensé et même souvent agi. On ouvre des consultations conjointes, parfois sur les mêmes sites.
- La prévention reste le parent pauvre : la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, la MILDT, est l’objet en 1998 d’un rapport au vitriol de sa présidente (alors N. Maestracci, actuelle présidente de la Fédération Nationale des Associations de Réinsertion sociale, la FNARS) déplorant une absence complète de politique et de moyens et plaidant pour une approche à 3 niveaux : soin, prévention grand public ou spécialisée, prévention situationnelle (protection des cibles et de découragement des consommations, augmentation des contrôles et surveillances, réduction des gains notamment de ventes de produits, diminution des justifications). Cette prévention situationnelle est rejetée, identifiée à tort à une approche policière (les toxicomanes délinquants). Le nouveau président en 2002, Didier Jayle, mieux accepté des professionnels, développe un plan (2004-2008) à de multiples niveaux, devenu peu lisible.
- Une 1ère évolution des années 2000 : les CSST (qui reçoivent 2/3 des toxicomanes) deviennent en 2003 des structures médico-sociales (et non plus de soins) : elles prennent en charge sur un plan médical, est-il demandé, mais également éducatif, social, etc. et doivent également accueillir, agir en prévention. Les conséquences pratiques : la mise en œuvre des obligations de la loi du 2 janvier 2002 (lisibilité des pratiques auprès des usagers), un régime d’autorisation provisoire dans la nouvelle réglementation (3 ans) avant agrément définitif des structures.
- Une 2ème évolution des années 2000 : la création de centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARRUD), qui ne sont pas des centres de soins, mais d’accueil, de premier soin et d’orientation (dont présence dans la rue ou les « rave parties » et distribution de matériels). Ces CAARRUD peuvent être en lien, voire partie intégrante de CSST.
- Une 3ème évolution des années 2000 : la lutte contre des approches segmentées des addictions, d’un côté l’alcoologie, de l’autre la tabacologie, du troisième la toxicomanie, rebondit, la dépendance étant la même (avec même multi-addictions, passages d’une addiction à une autre, diversité de produits). Naît l’idée de regroupement des CSST et des CCAA (un décret en 2006, une circulaire en 2007) : avoir un seul type de consultation (dans un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, un CSAPA) ouvert à tous les types d’addictions. Les CSST doivent déposer des dossiers officiels (en CROSMS) avant la fin 2009.
.
Une situation qui rebondit …
L’évolution prévue pour les CSST vient de rebondir :
- Tous les CSSAT, les CCAA, sont en train de réfléchir, de construire leur passage en CSAPA, et sont en train, parfois dans la douleur, de finaliser leur dossier officiel : un examen en CROSMS en septembre, un dossier (4 classeurs, 13 sous-dossiers) à finaliser pour mai-juin.
- Mais les politiques publiques rebondissent : le nouveau président de la MILDT, Etienne APAIRE,
magistrat issu des cabinets ministériels récents, développe une approche forte dans un plan de travail (2008-2011) à trois composantes (diminution des premières consommations, action par la loi et la lutte contre les trafics pour une diminution de l’offre de produits, diversification des prises en charge des usagers). Beaucoup vont confondre ces approches, qui sur le fond, ne me font pas sursauter, bien au contraire.
- L’approche préventive trouve ainsi une nouvelle orientation à travers ce plan : une prévention secondaire auprès de groupes à risque, des actions ciblées en matière de soins et d’accompagnement, toujours autour de publics spécifiques. L’approche a le mérite d’éviter une centration des actions par produit (approche qui progressivement n’a plus de sens).
… mais favorise une situation ubuesque ...
- Les structures en place doivent répondre à leur impératif premier : être agréées comme CSAPA, avec un dossier complexe ficelé en avril-mai 2009,
- Les mêmes structures sont sollicitées pour répondre à un appel d’offres officialisé le 23 février : il s’agit de postuler pour des financements spécifiques dans des actions ciblées après de publics particuliers (jeunes consommateurs, jeunes en structures ASE/PJJ, femmes avec enfants, parents avec enfants en CHRS *, sortants de prison…). Un problème néanmoins : il leur faut répondre à la plupart des programmes avant le 31 mai 2009.
- Deux démarches en parallèle, non contradictoires, qui vont même dans le bon sens, mais qui se télescopent et créent des quasi-impossibilités de tout gérer en même temps.
… et m’amène à poser quelques réflexions
En décalage avec les débats du grand public, mais en phase avec les professionnels :
- Je plaide en addictologie pour le maintien d’une approche interdisciplinaire dans les accompagnements (non uniquement médicale), centrée sur les personnes, sans filières d’accès en fonction des produits, avec des approches spécialisées néanmoins quand c’est nécessaire (notamment en termes de soins).
- Je plaide également pour une combinaison d’approches de prise en charge, de prévention primaire (tout public), secondaire (public spécifique), tertiaire (réduction des risques), de prévention situationnelle (y compris sa dimension de répression décourageante pour le trafic : dans ce dernier cas, soyons réalistes, certains toxicomanes sont également revendeurs et délinquants, la limite à poser étant la stricte séparation entre centre de soins / services de police)
Je m’interroge surtout sur l’évolution administrative en cours pour les structures (CSST aujourd’hui, CSAPA demain) : élaborer un énorme dossier de fond pour l’agrément de sa structure, et en parallèle, à la dernière minute, sur un programme non anticipé, non pérenne (financement limité dans le temps, soumis à évaluation des résultats), répondre à un appel d’offres sans perspective.
Et si cette situation, pour les CSST / CSAPA, devenait la réalité de demain pour toutes les structures médico-sociales ?
- Des exigences lourdes, permanentes, bureaucratisées, pour le management des centres agréés, pour la négociation de leur agrément, de leur budget, etc.
- Des financements complémentaires mobilisables, mais dans une logique d’appel d’offres aléatoire, arrivant « la veille pour le lendemain ».
Daniel GACOIN
* une faute de français dans le texte de l’appel d’offres a fait sursauter de nombreux lecteurs : on parle de « parents ayant une addiction-enfants » (pour parler de parents avec enfants, présentant une addiction)
Commentaires