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Des propos récents…
Le dernier numéro de la Revue Les Cahiers de l’Actif porte un titre original : « À propos des directions « intenables »… réflexions à l’usage des dirigeants »… Un contenu alléchant donc sur la créativité possible dans les pratiques de directions, au sein des établissements sociaux et médico-sociaux, du fait d’un univers d’injonctions paradoxales et de mutations qui submergent.
… avec des contenus très diversifiés
Le ton engagé des auteurs (dont je fais partie) donne au numéro son intérêt, d’autant que les approches, nuancées, sont parfois contradictoires. Je propose ici une petite lecture des différents articles, avec parfois un brin d’impertinence…
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3 articles sur les mutations globales du secteur social
- Un premier propos de Patrick Lefèvre, précurseur de la question managériale dans le secteur social et médico-social. Auteur de guides (du directeur, du cadre, du management stratégique), il défend le management comme vecteur du changement, la nécessité de l’éthique, la garantie nécessaire par les directions d’une rationalité des organisations. Son article suit la trame suivante : un monde parfait n’existe pas, mais il est possible d’y travailler… d’où la nécessité des associations d’action sociale… les institutions et directions d’antan ne reviendront plus… il est nécessaire de construire des entreprises associatives modernisées… C’est possible grâce à la gouvernance et à des directions agissant résolument entre utopies et réalités. Quelques regrets : un listing de thèmes/questions plutôt que des apports, davantage encore de « novlangue éthico-managériale » qu’à l’ordinaire, une centration trop forte sur l’entreprise associative (alors qu’une petite moitié du social est pourtant gérée par le secteur public ou marchand).
- Un article de Brigitte Bouquet, assistante sociale ayant dirigé le CEDIAS-Musée social, aujourd’hui professeur titulaire de la chaire du travail social au CNAM, auteur de notamment de « Éthique et travail social » en 2003 et « Les défis de l’évaluation » avec M. Jaeger en 2007. Son propos est sévère : les mutations du social ont des conséquences comme le brouillage des responsabilités et le passage de la logique du solidarisme à celle du management / marchandisation. Deux pistes lui semblent à explorer : une autre gouvernance, dite sociale, et la créativité / innovation. Un regret : l’utilisation du concept de « gouvernance », comme P. Lefèvre, sans base conceptuelle, le terme, plastique, pouvant alors renvoyer à tout et son contraire.
- Un article de Yann Rollier, directeur du CREAI Bretagne, secrétaire général de l’association nationale des CREAI. Son analyse est centrée sur les motifs de plainte, de questionnement des institutions sociales et médico-sociales, puis sur des conditions évolutives (convergence européenne, révision des politiques publiques, valorisation des interventions institutionnelles) d’une inventivité. Le propos est intéressant, mais apporte peu de pierres à la question de la direction.
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5 articles sur les stratégies pour éviter des directions « intenables »
- Mon propre article tout d’abord, basé sur mon expérience de travailleur social, dirigeant et consultant, d'auteur également. Son analyse part des 3 vecteurs censés rendre les directions « tenables » : ne pas se tromper d’époque et de contexte en sachant se situer dans un univers en mouvement, savoir tracer des perspectives, être résolument dans la résolution et les questions de terrain. Tout le monde aura compris que je crains les managers stratèges, très avisés certes, mais peu attentifs aux questions sociales, maniant avec délectation une langue caoutchouc, la fameuse « novlangue éthico-managériale », avançant fortement des valeurs (sens, humanité, solidarité, changement, innovation) pour promouvoir une rationalité faite de procédures bureaucratiques. Je serai mauvais juge à l’égard de mon propre écrit. Il indique une méfiance de toute idéologie managériale, en poussant l’idée d’une direction comme moyen : la capacité à fixer un « cap » et à construire, avec les acteurs un « chemin ». Plusieurs personnes m’ont indiqué avoir apprécié les 4 schémas sur l’évolution des établissements sociaux et médico-sociaux, de 1970 à aujourd’hui.
- Un article de J-L. Joing, précurseur des démarches qualité dans le secteur social, porteur de méthodes tant dans le domaine de la qualité que du management. Le contenu de son article part de son approche conceptuelle : les 3 mots efficacité, éthique et économie, constituent les 3 vecteurs d’une enquête auprès d’un public de 99 directeurs. Le contenu est finalement peu probant, faisant apparaître chez les directeurs une fréquente absence de maîtrise des 3 domaines cités (et l’intérêt d’entrer dans une formation à un management « QualÉthique » !!) et un stress de plus en plus envahissant. Un grand regret : un contenu souvent réducteur, essentiellement vendeur des concepts et méthodes formatives de l’auteur.
- Un article de Bertrand Dubreuil, lui aussi directeur d’un cabinet de conseil et auteur (3 ouvrages chez Dunod dont « Le travail de directeur en établissement social et médico-social », en 2004). Les contenus de son article sont essentiellement centrés, après analyse de la complexité actuelle, sur le nécessaire engagement des directeurs, condition indispensable pour aborder des outils comme l’évaluation ou les recommandations de « bonnes pratiques professionnelles ». Sa lecture est intéressante, je suis souvent en phase avec cet auteur avec qui il m’arrive de travailler sur le terrain, même s’il me semble parfois trop entrer dans une vision positive des contenus (la bientraitance par exemple) sans prêter suffisamment attention à leur usage.
- L’article suivant, de Jean-louis Deshayes (consultant et auteur d’un ouvrage intitulé « Réussir l’amélioration continue de la qualité » chez Dunod en 2006). Porteur de méthodes, il propose une réflexion sur l’innovation stratégique et managériale, centrée principalement sur la promotion d’une bientraitance institutionnelle à tous les niveaux, à partir d’une « méthode projet-qualité ». Un grand regret : le propos semble construit autour de la promotion des méthodes, avec parfois des sigles et concepts qui interrogent (le PPP comme plan pluriannuel de progrès par exemple).
- Un article d’un juriste, Robert Michit, sur les applications innovantes de la législation. Les deux vecteurs de cette approche innovante : une pratique de contrat, la créativité. Des exemples nombreux sont donnés, très intéressants, répondant peu à la question managériale.
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2 articles sur la nouvelle typologie des directions
- Un article de Jean-René Loubat, psychosociologue connu, ayant mis ses pas dans le chemin construit par P. Lefèvre, avec ses propres contenus dans des ouvrages Dunod (sur la relation de service, sur la promotion de l’entreprise d’action sociale et médico-sociale). Comme souvent, le propos est sévère, J-René plaidant pour une avancée des pratiques managériales et entrepreneuriales. Un grand regret : l’auteur, je l’ai souvent dit, ignore les évolutions en cours ou même accomplies, se délecte de la désignation de résistances supposées, parfois favorisées par son discours si sévère.
- Enfin un article de Daniel Granval, directeur d’établissement et auteur d’ouvrages chez L’harmattan (sur les projets individualisés, d’établissement), indique combien, parmi 8 modèles possibles chez les directeurs, progresse du fait des injonctions paradoxales actuelles, un mode de fonctionnement majeur : celui de « l’administrateur », prudent, conformiste, cherchant en permanence un bouclier.
Ma conclusion
J’engage chacun à lire ce numéro des Cahiers de l’Actif : on y trouve une typologie intéressante de thèses en présence sur la question managériale : discours creux, vision entrepreneuriale, rationalisation, lien entre les fondements du travail social et la direction, vision optimiste ou pessimiste. J’y apporte ma pierre certes, mais à chacun de se faire son idée.
Daniel GACOIN
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