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Un thème récurrent…
Depuis 10 ans, la scolarisation des enfants et adolescents handicapés est devenue un axe majeur des politiques publiques : l’intégration en milieu ordinaire à la fin des années 1990, le droit à la scolarisation (en milieu ordinaire ou adapté) depuis la loi du 11 février 2005, avec le droit à des compensations des conséquences du handicap pour pouvoir suivre une scolarité. Pendant ces années, les rapports, textes réglementaires, réflexions, programmes, discours incantatoires ont plu en permanence.
… avec de fortes représentations
La médiatisation de cette nécessaire « scolarisation des enfants handicapés », au risque de lasser le grand public, s’organise autour de thématiques caricaturales : « les enfants handicapés devraient, doivent, bénéficier d’un droit à être scolarisés au sein de l’Education Nationale, ce droit étant entravé par une conjonction d’obstacles comme la résistance des acteurs (autres élèves, autres parents, personnels), le refus des politiques d’assumer financièrement cette orientation, ou enfin les résistances des établissements spécialisés voulant garder leur public captif ».
… et des malentendus
La confusion émerge - on parle de droit à la « scolarisation » et chacun entend droit à la « scolarisation en milieu ordinaire » - avec des discours très opposés :
- d’un côté, un contenu autour du droit à la scolarisation (sous-entendu dans l’Education nationale) comme élément de citoyenneté. C’est un propos fréquent du délégué interministériel aux personnes handicapées, Patrick Gohet : cela a encore été le cas, il y a 15 jours, lors de la remise des Trophées Direction(s), où il a tenu à rappeler toute l’importance de l’intégration scolaire comme outil pour que chacun ait une place entière, de futur citoyen, à égalité de droit, dans la société. Dans la même approche, le Président de la République s’était engagé, avant son élection, à mettre en place un droit opposable à la scolarisation des enfants en situation de handicap… C’est loin d’être la réalité. L’UNAPEI l’a martelé dernièrement : l’exigence de « scolarisation effective de tous les enfants, à l'école ordinaire ou en établissement spécialisé, selon leur projet » n’est pas atteinte par manque d’enseignants formés ou d’Auxiliaires de Vie Scolaire formés et affectés, par manque de clarté réglementaire (texte prévu en 2007, sur les coopérations établissements scolaires / établissements spécialisés, toujours pas paru : impossibilité pour les pouvoirs publics de clarifier les réglementations connexes, notamment celles des unités d’enseignement),
- d’un autre côté, une résistance importante, notamment des structures ou des professionnels se référant à la seule dimension clinique des interventions. L’intégration serait un leurre, disent-ils, même un danger majeur. Les arguments sont parfois réalistes, parfois très idéologiques. J’ai lu récemment la déclaration du Syndicat National des Psychiatres Privés et de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé, paraissant peu connaître le secteur médico-social (présenté comme réponse au « problème de la prise en charge de longue durée » pour des « pathologies mentales, physiques ou sensorielles », auprès de « patients » présentant des troubles psychologiques, notamment, avec 87 % des enfants présentant ces troubles pris en charge dans les IME). Leur propos sur l’intégration scolaire y est net : la « scolarisation en milieu ordinaire ne peut être posée comme principe » devant des problématiques complexes, le développement massif « d’unités de prise en charge ambulatoire et de proximité, empreint d’un désir d’intégration » se réalisant « aux dépens du soin ».
Les discours axés sur le seul accès à la citoyenneté ou sur le seul soin de pathologies psychologiques ratent toute construction réaliste à mon sens.
En revenir aux réalités… légales
La lecture des textes (loi de 1975, loi de 2005) est souvent tronquée. Que disent-ils ?
- La loi de 1975 évoquait le droit des enfants et adolescents handicapés à « bénéficier prioritairement d’une scolarité en milieu ordinaire, chaque fois que leur état de santé le permet »,
- Avec la loi du 11 février 2005, c’est « le droit à une scolarisation » qui devient la première priorité, dans le cadre d’un « projet personnalisé de scolarisation », qu’elle se déroule dans un établissement ordinaire (école ou collège de référence proche du domicile) ou au sein de dispositifs adaptés. Le développement de l’intégration scolaire en milieu ordinaire devient second (il reste une priorité) avec : le droit à une inscription de tout enfant handicapé dans son école de référence et de proximité, le développement des moyens (classes d’intégration, intégration individuelle avec des moyens de soutien, SESSAD, moyens techniques, etc…). Et pourtant, tous les discours publics se focalisent uniquement sur la deuxième priorité : l’intégration.
… chiffrées
La Cour des Comptes (voir www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/Suite5-scolarisation-eleves-handicapes.pdf) cite des chiffres pour 2007 : on y fait le constat d’une progression de 44,9 % (de 106 974 en 2003 à 155 000 en 2007) des enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire, on y affirme la nécessité de « la reconnaissance d’un droit opposable à la scolarisation ». Les chiffres les plus sérieux viennent d’être publiés par la revue Études et Résultats (DRESS) (www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/) dans son N° 669. Les données établies le 31 décembre 2006 font ressortir de 2001 à fin 2006 :
- Une progression de 48 % des places des SESSAD, amplifiant celle de 1997 à 2001 (+ 27 %). Les SESSAD avec leurs 33 800 places, présentent en outre un taux d’occupation (donc de sollicitation) de 102 %, une activité concernant à 62 % des garçons, réalisée à 84 % au domicile et à 16 % dans le service ou sur les lieux d’intégration individuelle ou collective.
- Une diminution de 1,52 % des places en établissement (60 % des établissements – pour 66 % des places - sont des IME, 17,5 % sont des ITEP). Seuls les effectifs des établissements pour polyhandicapés progressent (+ 15 %). Le taux d’occupation des établissements varie de 95 à 102 %, sauf pour les établissements expérimentaux (peu nombreux) où il est de 142 %. Dans 60 % des situations, les enfants ou adolescents sont externes.
C’est une progression des SESSAD qui apparaît de 1997 à 2006 (+ 88 %), et qui devrait se poursuivre, si l’on tient compte du scénario suivant : poursuite de la légère diminution des places en établissements, avec une plus grande déficience des enfants suivis, augmentation des SESSAD en lien avec l’augmentation de la scolarité en milieu ordinaire. On est loin des discours catastrophiques dans un sens (absence de progression de l’intégration) ou dans un autre (fin des suivis en établissement).
… et techniques
Il convient de soutenir une réalité sans stigmatiser ni idéaliser les progressions en cours… La scolarisation dans les dispositifs spécialisés ou à travers l’intégration en milieu ordinaire suppose une construction plurielle : soutien avec mobilisation de moyens d’accompagnement, action interdisciplinaire avec collaboration des structures au bénéficie des parcours diversifiés, maintien d’une approche clinique ciblée, action socio-éducative valorisant les potentialités, alliance avec les familles autour d’un projet de réussite, non de guérison, éducative, scolaire et médico-psychologique. C’est dans ces directions que devraient se réaliser à mon sens l’adaptation des discours, la sortie des incantations idéologiques, au profit d’une reconnaissance et d’une valorisation des enfants et adolescents concernés.
Daniel GACOIN
PS 1 : Il sera intéressant de participer au colloque « A quoi ça sert l’école ? Loi du 11 février 2005 : l’enfant en situation de handicap et les autres » organisé par le cabinet Pluriel Formation Recherche et les Cahiers Pédagogiques, le 31 mars 2009 à Paris. Pour s’y inscrire, il suffit de les contacter : www.pluriel-formation-recherche.fr/
PS 2 : il est également intéressant de lire le dossier sur le thème de la scolarisation des enfants et adolescents handicapés disponible sur Internet au Ministère de l’Éducation Nationale : www.education.gouv.fr/cid207/la-scolarisation-des-eleves-handicapes.htm.
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