.
Une possibilité donnée par le Site La Vie des Idées …
Il y a 10 jours, le site La Vie des idées déjà évoqué ici, a mis en ligne la version audio d'une interview de Robert Castel, sociologue connu pour ses apports sur les questions sociales. Cette idée est intéressante, mettant les contenus de l’auteur à la portée du plus grand nombre.
Je rappelle le livre principal de Robert Castel,
« Les métamorphoses de la question sociale »
(Gallimard, collection Folio, 1995)
mais également le livre « L’insécurité sociale » paru en 2003
(La république des idées, Seuil),
.
et « La discrimination négative » en 2007 (La république des idées, Seuil).
J’invite chacun à relire ces ouvrages et, en guise d’introduction, à télécharger la version video de l’interview :
… permettant de reprendre quelques concepts de base de Robert Castel
> Le concept de « citoyenneté sociale » est le premier : conçu en 1995, il indique que la « citoyenneté politique », après la révolution française et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, était restée imparfaite puisque centrée sur la propriété (on pouvait parler d’une « citoyenneté des propriétaires »),
> La « citoyenneté sociale » a progressé dès la fin du XIXe siècle, avec la construction du compromis salarial à son apogée au milieu des années 1960, la classe non propriétaire acquérant des supports et droits importants, liés au statut salarial, en parallèle avec la construction de l’État social. La société salariale (et ses protections) était certes un équilibre encore instable et parfois « boiteux », mais c’était un compromis structurant.
> Or, depuis le milieu des années 1970, on constate, non un effondrement (R. Castel veut éviter les propos catastrophistes), mais un effritement des situations :
- Un changement de régime du capitalisme : passage du capitalisme industriel et de ses formes de régulation au capitalisme financier, où la domestication du marché est devenue un problème,
- Le développement d’un « précariat » : personnes sortant du statut classique de l’emploi, avec de nouvelles formes d’activité en deçà de l’emploi, où la précarité n’est plus une situation transitoire (les personnes s’y installent avec des périodes de travail avec statut précaire et périodes de non-emploi),
- La nouvelle déclinaison du capitalisme : elle crée de la richesse, mais pas de l’emploi, plutôt de l’activité, où on éradiquerait à terme le chômage, mais en abaissant les droits classiques liés à l’emploi,
- La société assurantielle initiale, où l’État social fonctionnait comme un gestionnaire de risques et engendrait un besoin de sécurité un peu fou, s’effrite à l’égard d’une certaine catégorie de population concentrant tous les risques.
… pour formuler les faux remèdes et vraies pistes de solution
R. Castel est catégorique : on ne retournera pas à l’état d’équilibre antérieur, il faut donc amorcer des solutions. Pour cela, il analyse les faux remèdes :
- La poursuite d’un individualisme (satisfaction des besoins de catégories suffisamment protégées) et son corollaire : la stigmatisation des « mauvais pauvres »,
- La gestion des risques se traduisant par une seule perspective : éloignement ou enfermement des populations à risques au lieu des profilages permettant des actions préventives,
- Des outils de prédiction des risques utilisés par des experts et responsables dont on ne mesure pas le caractère bienveillant, non assortis de contrôles citoyens.
Les solutions tournent autour de la réévaluation de la question du risque :
- Il propose des choix : pour les individus (l’individu est une construction sociale), il s’agit de penser le choix de collectifs protecteurs à l’égard des risques principaux supprimant l’indépendance sociale,
- Il indique la cible : ce sont d’abord les travailleurs pauvres et les personnes en situation de précarité car ils vivent une vraie menace de déconstruction de l’individu,
- Il formule des vecteurs : ne pas centrer les droits des travailleurs sur le statut de l’emploi, mais sur celui des personnes, de sorte qu’en période d’alternance entre 2 emplois, elles garderaient des droits minimums pour leur indépendance sociale (la sécurisation des trajectoires professionnelles, une proposition de la CGT maintenant largement admise, toute la question restant la définition du niveau des droits minimums),
- Il avance des outils : l’utilisation des nouvelles technologies bouleversant la pensée du risque (avancée des prédictions/préventions qui peut être une bon vecteur des résolutions) avec une réel travail de gouvernance citoyenne de ces outils,
- Il insiste sur le rôle de l’État : il s’agit pour Robert Castel de montrer la possible construction parallèle État / individu en évitant la seule fascination pour un État jacobin, afin qu’il fasse preuve de souplesse et de capacité d’accueil (catégories ethniques nouvelles), qu’il se réforme en s’ouvrant et se décentralisant, qu’il fasse sa mue, sans renoncement à ses fonctions essentielles.
Des propos à méditer
Robert Castel lie son propos engagé avec une réflexion de fond, riche et objective, sur les évolutions en cours et les perspectives à travailler. J’ai retenu notamment que :
- il interroge les structures sociales : comment proposer des perspectives de sécurisation des parcours des personnes (y compris en accompagnement économique et social) en dehors des seules protections/assurances salariales ?
- il ne se contente pas d’un discours alarmiste ou de plainte, évitant la victimisation dès lors que toutes les directions, sans échelle de valeur, ne sont pas explorées en parallèle,
- il affirme l’action en faveur de publics prioritaires : les travailleurs pauvres, un challenge central pour les structures économiques et sociales. Je regrette néanmoins cette cible unique alors précisément que le « précariat » décrit concerne maintenant toutes les catégories sociales et me semble « la » cible principale, même si elle est plus diffuse. Pensons la correction du processus et pas simplement la prise en charge de personnes désignées.
Merci toutefois, Robert Castel, de ces réflexions qui dérangent et ouvrent des pistes…
Daniel GACOIN
Commentaires