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Une actualité riche…
Dans la foulée des conséquences économiques de la crise financière mondiale, je mets en relation deux évènements montrant l’avancée des protections sociales se référant au concept de « workfare » :
- Le possible rebond d’une politique sociale aux USA, similaire à celles des années 1990 sous la direction du président Clinton,
- Le 20ème anniversaire en France de la loi sur le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) au moment où notre pays adopte le Revenu de Solidarité Active (RSA)
… qui va stimuler l’interrogation des systèmes de protection sociale
Deux conceptions de protection sociale, en opposition, seront questionnées par cette avancée : l’une, le « welfare », basée sur la généralisation des droits et garanties sans contrepartie pour les bénéficiaires, l’autre, le « workfare », insistant sur l’activation / responsabilisation des bénéficiaires, avec des contreparties aux garanties, cette 2ème étant en forte progression (volonté de corriger des effets pervers des systèmes, de développer leur efficience).
… mais oblige à reprendre les concepts de base
Le concept de « welfare » est le plus ancien…
- Il provient de l'idée de « Welfare State », traduite en français par État-Providence, créé en 1942 par un jeu de mots évoquant l’inverse du « Warface State » (l’état de guerre). Le « Welfare State » a immédiatement été relié à une conception, beverdgienne (conçue par Lord Beveridge), de la protection sociale : un système de protection ou de sécurité sociale généralisée assurant le minimum vital pour tout individu, quels que soient ses revenus ou sa situation, salariale ou non. Cette conception est principalement mise en œuvre dans les pays scandinaves.
- Cette conception est très éloignée d’une vision américaine (protection sociale pour les publics les plus fragiles) ou bismarkienne (assurances sociales liées à des solidarités professionnelles, co-gérées par des organisations professionnelles ou syndicales). À noter : le système français, attaché à la vision bismarckienne, développe néanmoins des systèmes croisés (solidarité beveridgienne, discrimination positive pour des publics fragiles) dans un patchwork hétéroclite.
- Si donc le « Welfare State » et ensuite sa contraction dans le terme unique de « welfare » sont liés à un seul système de protection sociale, l’usage de leurs termes a été étendu à l’ensemble des systèmes protectionnels, pourvu qu’ils apportent droits et soutiens, sans exiger de contreparties.
Le concept de « workfare » est plus récent…
- Le terme a été employé pour la première fois en 1969 par le Président Nixon (« What America needs now is not more “welfare” but more “workfare” ») ce qui lui a donné son parfum idéologique (associé au système américain, aux logiques libérales).
- Il porte l’idée d’une « activation de la protection sociale » par la mise en avant « d’aides au conditionnel », d’une « responsabilisation des bénéficiaires » ou d’une « contrepartie » demandée à la protection.
- Il est associé aux politiques américaines (réforme de l’assistance sociale à partir de 1995 par le Gouvernement Clinton, avec des effets notés principalement pour une seule catégorie de « bénéficiaires » : les mères seules, pauvres, noires) ou anglo-saxonnes (politique économique de Margaret Thatcher, puis politiques sociales des travaillistes évoquant le « welfare-to-work »).
- Pourtant, responsabiliser, demander des contreparties viennent de plus loin. Rappelons la France de 1793 : après le « Plus d’assistance ! plus d’hôpitaux ! » du député Barrère à la tribune de la Convention, un droit social s’élabore couplant l’assistance aux plus démunis et leur mise au travail, droit social réactivé en 1848 avec l’ouverture des Ateliers nationaux.
- Indiquons également que activation, responsabilisation et aides au conditionnel ont été largement explorées depuis 15 ans par tous les systèmes de protection, pas simplement aux USA et dans les pays anglo-saxons. En France, citons les politiques d’insertion dès les années 1980, les emplois aidés, le I du RMI, l’insertion par l’économique, les impôts-cotisations favorisant le travail, la responsabilisation des parents, le RSA (maintien d’une part des minima-sociaux après un démarrage d’activité salariée), etc… En Allemagne : la loi de 2001, dite JobAqtiv Gesetz, la loi de 2004 de nouvelle prestation appelée Arbeitslosensgeld II (Alg II). Au Danemark : obligation depuis 1992 soutenue par les syndicats pour les jeunes, d’accepter des offres de formation et de travail au bout de six mois, obligation étendue en 1994 aux adultes, etc…
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Sortir des seules visions idéologiques…
Il convient surtout de sortir de la dichotomie faisant du « workfare » le résultat de l’idéologie libérale ou néolibérale… et du « welfare » le principe d’une vraie protection sociale solidariste. Tous les systèmes, libéraux ou protectionnels, ont avancé vers le « workfare », et ses déclinaisons ont été multiples. Une de ses traductions au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux en France, fut la demande des travailleurs sociaux de voir adossées aux droits des usagers (loi du 2 janvier 2002), des obligations ou contreparties, souvent reliées dans les discours à un esprit d’accès à la citoyenneté.
… sans croire au caractère magique des politiques d’activation
Les études sur les résultats des politiques de « workfare » ne sont pas probantes. L’exemple du RSA est éloquent : peu de preuve d’efficacité et pourtant des propos incitatifs plaidant pour sa nécessité et son efficacité, y compris sa dimension responsabilisante pour les bénéficiaires, ainsi que l’indiquent le livre vert du commissariat aux solidarités actives sur le RSA… ou les réflexions de l’Agence Nationale aux Solidarités Actives :
L’efficacité globale du « workfare » n’est pas garantie. Un article récent de J-C. Barbier publié par le site La vie des Idées (dont j'ai repris ici quelques apports) indique ainsi que « dans tous les pays, les changements positifs dans la situation des personnes, dans l’égalisation de l’accès au marché du travail, le recul de la pauvreté, ne sont pas au rendez-vous », les grandes différences entre les « performances » sociales ont persisté entre les pays, presqu’inchangées après quinze ans de réformes ». Il donne des exemples :
… avec deux recommandations
1. Tout mode d’accompagnement devrait rendre le bénéficiaire acteur et non objet de prestations. C’est une question de fond. Le travail social a vocation à développer cette approche pour les groupes ou personnes en difficulté. Néanmoins, le lien social étant une interaction, tout volontarisme (activation au sens du « workfare ») dans un programme en direction de bénéficiaires devrait s’adosser à un même volontarisme à l’égard de l’environnement, du tissu social, des structures intégratives… C’est encore loin d’être le cas… Une fonction des structures sociales est aussi de rappeler cette double nécessité.
2. Toute mesure d’efficience d’une politique sociale, donc également des programmes inspirés du « workfare », devrait se réaliser de manière globale en prenant en compte : les changements, les effets des changements, tant du point de vue des masses financières, que de l’efficacité globale, des interactions institutionnelles et des dynamiques d’intégration, etc... J’aimerais aussi que le vécu réel des personnes concernées (pour l’un ou l’autre des systèmes) soit intégré dans les choix, prévisions, évaluations des politiques. Un bon exemple de cette nécessité de s’appuyer sur la vie réelle d es gens a été illustré par le livre marquant « American Dream, trois femmes, dix enfants et la fin de l’Aide Sociale aux Etats-Unis » paru en 2007, dont j’ai parlé dans ce blog (je renvoie chacun à la relecture de mon billet du 15 août 2007).
Et je reformule une question principale : et si les politiques sociales étaient systématiquement conçues en intégrant la réalité vécue des bénéficiaires ?
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