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L’arrivée des ARS…
J’ai commenté ici le 12 mars 2008 la décision gouvernementale de créer des Agences Régionales de Santé (ARS). Le projet de loi vient d’être adopté par le Conseil des ministres et sera présenté au Parlement en procédure accélérée. Chacun aura pu lire les commentaires, souvent édulcorés, de la presse. Je m’empresse d’apporter mes réflexions avec d’emblée un premier sentiment : une affaire énorme pour le travail social et ses bénéficiaires.
… avec l’intention politique initiale…
L’objet de la réforme ? Donner une cohérence à la conduite de l’action sanitaire et médico-sociale par 3 processus : 1. Pilotage (planification plus affirmée, plus lisible, davantage territorialisée), 2. Maîtrise des dépenses (démarche contractuelle reliant des objectifs nationaux et des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM), 3. Gouvernance (selon le concept : conduite d’orientations puis des modalités participatives de construction des diagnostics et des plans de mises en œuvre).
… et leur champ d’intervention
Territorialisant les politiques de santé avec un pilotage unifié, la loi donne aux ARS un vaste champ d'intervention : soin (médecine libérale et hôpitaux), santé publique et prévention (expertise, veille et alerte), action médico-sociale pour personnes âgées ou handicapées, formations médicales. Les ARS regrouperont les ARH et Unions régionales d'assurance maladie et les pôles « santé » et « médico-social » des DDASS et DRASS.
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La lecture plus attentive des 73 pages et 33 articles du projet de loi…
> Le titre 1 est axé sur la modernisation des établissements de santé. 33 pages et 13 articles prévoient l’affirmation des missions de ces établissements, leurs obligations de démarches qualité, leur gouvernance (prédominance du directeur et autonomie financière, appui sur une commission médicale, un conseil de surveillance, un directoire), le développement de coopérations (communautés hospitalières de territoire, groupements de coopération), la coordination des évolutions par l’ARS.
> Le Titre 2 valorise l’accès de tous à des soins de qualité. 12 pages et 8 articles prévoient l’organisation de l’accès aux soins (premier recours et continuité, fixation du quota régional des internes par l’ARS, non-refus de soins pour des titulaires de la CMU), la coopération entre professionnels, la gestion de fonds de formation continue par l’ARS.
>Le titre 3 est centré sur la prévention et la Santé publique. 4 pages et 4 articles promeuvent l’éducation thérapeutique du patient, la limitation de la vente de boissons alcooliques (aux mineurs notamment).
> Le Titre 4 confirme une nouvelle organisation territoriale du système de santé. 23 pages et 8 articles indiquent le statut et l’organisation des ARS (missions, large pouvoir du directeur général, appui sur un conseil de surveillance, une conférence régionale de santé et 2 commissions de coordination, régime financier et personnel des agences), la conduite régionale de l’ARS (responsabilité du projet régional de santé, des CPOM, des inspections et contrôles), la représentation des professions de santé libérales, la responsabilité des ARS sur les établissements et services médico-sociaux, la mise en place progressive des ARS (pour le 1er janvier 2010, c’est sûr maintenant !).
… et des changements pour les établissements et services médico-sociaux
C’est l’article 28 sur le médico-social (5 pages) qui m’a le plus interpellé : il bouleverse la tutelle publique des structures pour mineurs et jeunes adultes handicapés ou avec des difficultés d’adaptation (IME, SESSAD, ITEP, CMPP, CAMSP…), des centres de réadaptation, préorientation ou rééducation fonctionnelle, des établissements ou services pour personnes âgées dépendantes (EHPAD, SSIAD,…) ou pour adultes handicapés médicalisés (MAS, FAM, etc…), des centres de ressources, d’information ou coordination, expérimentaux ou prestataires de services de proximité pour personnes handicapées ou âgées dépendantes, des établissements et services d’aide par le travail (ESAT), des structures du secteur addictologique (CSAPA, CAARUD et ACT).
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Ce qui va changer pour le médico-social ? Une planification régionale…
> Si les schémas nationaux sont maintenus (handicaps rares), l’élaboration et le suivi des schémas régionaux en action médico-sociale (partie des plans régionaux de santé) seront de la responsabilité du directeur de l’ARS : finis les schémas départementaux. Les programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (PRIAC), financés par la CNSA, seront également arrêtés par le directeur de l’ARS.
> L’État gardera la tutelle des schémas régionaux pour l’inclusion sociale (dont CADA), pour la protection des majeurs et les AGBF : aide à la gestion du budget familial : une surprise !). Les conseils généraux garderont la tutelle des schémas départementaux de l’aide sociale à l’enfance ou en offre de proximité pour les personnes handicapées ou en perte d’autonomie (avec concertation avec le directeur de l’ARS)
… et ses conséquences concrètes pour le médico-social
> La réforme évoque nommément la réorientation d’une partie de l’offre hospitalière vers le médico-social. À noter sur ce thème l’avis du Conseil d’administration de la CNSA (14 octobre 2008) indiquant une limite nécessaire : « les structures médico-sociales ne doivent pas être considérées comme le "réceptacle naturel" de sorties hospitalières ».
> La commission de coordination du médico-social mobilisée autour du directeur de l’ARS comprendra une très faible représentation du secteur professionnel (uniquement des personnes qualifiées, au bon vouloir du directeur de l’ARS).
> La création d’un établissement ou service médico-social ne passera plus par le Comité Régional des Organismes Sociaux et Médico-Sociaux (le CROSMS) : finie cette structure avec des représentants des fédérations professionnelles ! Lorsque les projets concerneront un financement public (partiel ou intégral), l’autorisation sera délivrée après avis d’une « commission d’appel à projet social ou médico-social » placée auprès de l’ARS. La mise en concurrence des projets (respectant « un cahier des charges » établi par les autorités concernées) est ainsi inscrite dans la loi, comme le caractère décisionnel de l’ARS. Pour les projets de relevant pas de financements publics, l’autorisation sera accordée si le projet satisfait aux règles d’organisation et de fonctionnement prévues par la réglementation et s’il prévoit des démarches d’évaluation.
> La procédure de CPOM pour les structures relevant de l’ARS ou du représentant de l’État est confirmée à partir d’un seuil qui sera fixé par arrêté. La généralisation de cette nouvelle forme de contractualisation est bien en cours.
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Autre changement pour le médico-social ? Le nouveau cadre des évaluations…
J’ai également été interpellé par les clarifications du projet de loi sur les évaluations :
- Tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux seront tenus de réaliser, pendant leurs 15 années d’autorisation, 2 évaluations internes (et non plus une tous les 5 ans) et 2 évaluations externes (2 ans après une évaluation interne).
- De manière dérogatoire, toutes les structures en place avant le 1er janvier 2002, procéderont uniquement à une évaluation interne et une évaluation externe avant la date de renouvellement de leur autorisation (dates butoirs de 2015 et 2017).
- Pour les structures créées après le 1er janvier 2002, la durée de validité de l’autorisation court à partir du 1er janvier 2009, imposant les 2 évaluations internes et les 2 évaluations externes avant le 1er janvier 2024.
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Mes réflexions avant la discussion parlementaire de ce projet de loi
Le cadre régional de l’action médico-sociale me paraît un nouvel horizon, bien intéressant et en tous cas plus adapté que le cadre départemental. De même, l’idée d’une plus grande cohérence, garantie par les autorités publiques, manquait à un secteur en absence de lisibilité. Néanmoins :
- Je continue à penser que l’alignement du secteur médico-social à la santé promeut une philosophie qui méconnaît la spécificité du travail social et des personnes accompagnées.
- Je persiste à demander qu’on n’évoque pas le terme de « gouvernance » pour parler du pilotage/dirigisme à venir du secteur médico-social, sauf à faire dire au concept le contraire de ce qu’il contient (voir mon billet du 5 février 2006).
- Les futures formes de pilotage du secteur médico-social, alliées à la mise en concurrence (avec fixation en amont de coûts standards, en contradiction avec la loi du 2 janvier 2002), seront inadaptées, d’autant que disparaissent les CROSMS, les schémas départementaux établis avec participation des organismes concernés.
- Je crains l’administration nouvelle, moins proche du terrain et l’absence de contre-pouvoirs des directeur généraux des ARS.
- Les nouvelles dates butoirs des évaluations (encore une surprise !) donnent une idée de l’indécision des pouvoirs publics sur ces démarches : je continue, sans m’en réjouir, à anticiper sur une autre évolution (après 2015) de ces dernières vers un processus d’accréditation.
Daniel GACOIN
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