.
Un livre récent de Francis Batifoulier…
La sortie d’un ouvrage aux Éditions Dunod me permet de revenir sur les évolutions en cours en Protection de l’Enfance. L’ouvrage s’intitule « Refonder les internats spécialisés : pratiques innovantes en protection de l’enfance ». Il est dirigé par Francis Batifoulier, directeur d’une Maison d’enfants à caractère social (MECS) à Biarritz, co-auteur d’un autre livre (« Fonction de direction et gouvernance dans les associations d’action sociale » : cf. mon billet du 5 février 2006), formateur des cadres du secteur social et médico-social en IRTS (j’ai eu le plaisir de travailler avec lui à plusieurs reprises). L’ouvrage apporte des propositions, bâties essentiellement sur une expérience unique.
… sur les évolutions des MECS dans la Protection de l’Enfance…
Les MECS sont à l’origine de la Protection de l’Enfance, qui a vécu de nombreuses évolutions depuis 900 ans. Ce secteur concerne l’intervention de l’Etat dans la vie privée des familles (dans les années 1970, J. Donzelot a parlé de « police des familles »), par une aide sociale obligatoire, parfois imposée, au bénéfice d’enfants dont les parents ne peuvent pas assumer leurs responsabilités, ou sont parfois maltraitants.
- Il est d’abord né dans l’action philanthropique privée, puis dans l’action publique : 1ers accueils familiaux au XIème siècle, accueils dans les Hôtels-Dieu (mélange des situations), puis en orphelinat avec Vincent-de-Paul (le premier à parler du devoir d’accueil en institution spécifique) et enfin dans les hospices royaux. L’échec social de la Révolution française aboutit, à la fin du XIXème siècle, au développement d’institutions privées : orphelinats, lieux d’accueil des enfants « vicieux » ou malades, lieux des « corrections paternelles ».
- Les années 1950 à 1980 verront la spécialisation de l’éducation en suppléance provisoire des parents sur décision judiciaire ou administrative : MECS, accueils familiaux, foyers éducatifs. Les années 1980 verront deux évolutions : la place du Conseil général (le Président) gérant une nouvelle administration territoriale (l’Aide Sociale à l’Enfance, permettant de ne plus parler des « enfants de la DDASS »), l’attention à la fonction parentale (les parents aidés et non plus mis à l’écart). On parle toujours de placement, mais apparaît la volonté affichée de respect et d’accompagnement des parents, et se développent en parallèle les actions éducatives en milieu ouvert, créées dès 1958.
… qui vient d’être l’objet d’une des grandes lois sociales de 2007
La loi du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance, parallèle à la loi de prévention de la délinquance, était mal partie (velléités de dépistage systématique des enfants de moins de 3 ans « possibles futurs délinquants »…). Elle est pourtant venue affirmer des évolutions mises en place progressivement, notamment :
- L’insertion de la protection de l'enfance dans la politique familiale, rattachée ainsi à des angles individuels (mineurs) et sociétaux (familles, parents, vie sociale), et la reformulation des bénéficiaires : mineurs en danger ou en risque de danger (dont mineurs isolés et jeunes majeurs), détenteurs de l’autorité parentale rencontrant des difficultés porteuses de dangers potentiels,
- Le développement des approches préventives et précoces autour des situations à risque, sans référence unique à la notion stigmatisante de « maltraitance »,
- Le nouveau fonctionnement autour des signalements d’enfants en danger : recueil des informations préoccupantes par la cellule de signalement avec maintien des actions de coordination de l’autorité judiciaire, mise en œuvre d’une évaluation coordonnée, transmission à l’autorité judiciaire et évaluation judiciaire (enquête sociale, IOE) si l’évaluation de la cellule est insuffisante, se heurte au refus de la famille ou est impossible à réaliser,
- L’aménagement du secret professionnel avec le principe, limité, du secret partagé,
- De nouvelles missions de l’Aide Sociale à l’Enfance : soutien des liens de l’enfant avec d’autres personnes que les parents pour « l’intérêt supérieur » de l’enfant,
- La suppression de la notion de « retrait » de l’enfant, avec marginalité du placement judiciaire direct, l’organisation par le Président du Conseil Général du parcours en protection de l’enfance « en amont, en cours et en fin de mesure », l’obligation de rapport annuel fondé sur l’évaluation pluridisciplinaire, la gradation du droit de visite ou d’hébergement des parents, la limitation des mesures à 2 ans avec reconduction,
- Le développement de nouvelles formes d’aide : nouvelle prestation d’accueil de jour, accueil individualisé (à temps complet, partiel, modulable selon les besoins), nouvelles formules d’accueil d’urgence (dont accueil de 72 h pour des mineurs en fugue), soutien des entretiens et rencontres aménagées entre des parents et enfants.
.
Le travail des MECS et le contenu du livre de F. Batifoulier…
Le livre répond à ces nouvelles formes d’aide citées par la loi :
- Un regard thématique sur la place des MECS : dans un paradoxe juridique, dans leur intervention auprès d’une population qui évolue, dans leur évolution vers de multiples formules résidentielles,
- Une réflexion sur les fondements des institutions de placement : approche clinique institutionnelle, approche éducative professionnelle, nouage individuel / collectif, question du soin, question de l’aide et soutien à la parentalité,
- Enfin un regard sur les modalités de mise en œuvre de l’innovation : la gouvernance autour de la logique de service (nouvelle conception d’un cadre d’évolution pour les adolescents, modes de gouvernance sociale), la modélisation d’un service expérimental (le Groupe d’accueil et d’accompagnement modulable, GAAM pour adolescents mis en œuvre par l’Association Saint-Vincent de Paul à Biarritz).
… apportant des perspectives
La première idée présentée est la confirmation d’une possible intervention, fondée, utile, non stigmatisante, en « suppléance parentale » : loin du « retrait », un accueil est une occasion d’entrer dans un parcours et même de le développer, en s’articulant avec des parents, tout en assumant une fonction de cadre structurant et de protection, « un travail de transition » dans « une éducation résidentielle ». Les traductions concrètes : des unités de vie aux dimensions plus restreintes, des modes d’accueil articulant l’accueil collectif et l’accueil familial, des modalités adaptées (appartement en ville pour les adolescents), l’ouverture sur l’environnement et des actions de prévention (lieux d’écoute, de rencontre, de soutien scolaire, soutien à la parentalité…), le relais parental, l’accueil de jour, l’accueil de jour du groupe parental, l’accueil séquentiel, l’accompagnement liant intervention au domicile et suppléance parentale… Le livre développe particulièrement l’expérience du GAAM ados de la MECS en détaillant la démarche structurée, engagée dès l’accueil, et également les parcours rendus possibles par cette structure dans ses services diversifiés (accueil séquentiel, mobilisation en temps de crise, etc…).
L’ensemble est revigorant et nous indique que l’internat a plus que jamais sa place en Protection de l’Enfance, s’il développe des formules plurielles.
… malgré les manques
Une première piste me paraît manquer : l’investissement possible et nécessaire dans des dimensions collectives de l’action, avec ses détails, ses pratiques, notamment en termes d’activités, de démarches de projets, de vie ensemble (voir mes propositions sur le thème dans mon billet du 13 février 2006).
Par ailleurs, l’ouvrage questionne : l’exemple cité (MECS Biarritz) a été rendu possible grâce aux moyens alloués par un Conseil général (financement du séquentiel, souplesse budgétaire, budget global, moyens suffisants), or il n’est pas toujours possible que l'évolution d’une MECS soit réellement, et partout, soutenue de la même manière par les départements, c’est même rarement le cas.
Ne boudons pas notre plaisir néanmoins. Ce livre nous incite à penser qu’il est possible d’innover, d’inventer encore, de porter des projets. Cette « logique de l’offre » n’est pas incompatible avec la rationalité institutionnelle et la mise en place d’une relation de service, avec « la logique de la réponse » donc, à condition d’en avoir l’ambition. Merci Francis de tous ces propos et à bientôt …
Daniel GACOIN
je me permets de vous contacter à propos des modalités de financement de l'accueil séquentiel pour des enfants de l'ASE.
Responsable de tarification de structures ASE au Conseil Général des Yvelines, j'anime actuellement un groupe de travail sur l'accueil séquentiel et m'interroge sur le type de tarification à appliquer.
Problématique
Le placement à l’ASE se traduit classiquement par une alternative : AEMO ou placement.
Avec l’évolution sociale, tant du point de vue des typologies très complexes des jeunes accueillis dans les établissements que du droit des familles, cette alternative est désormais réductrice.
Si ces types de prises en charge ont démontré tout leur intérêt, ils révèlent aujourd’hui des limites.
En effet, l’accompagnement implique de plus en plus la prise en compte de la famille dans un travail de proximité. Il s’agit d’inverser le phénomène classique qui se traduit par l’accueil du jeune dans un établissement avec la permission de sortir certains week-ends. Dorénavant, c’est l’accueil en établissement qui s’ajoute à l’éducation familiale.
Cela consiste à aider la famille dans leur rôle parental au sein de la Protection de l’Enfance. Il s’agit de soutenir la famille par des accueils séquentiels assurés par l’établissement lorsque la fonction parentale risque de mettre en péril l’avenir de l’enfant.
L’accompagnement familial, effectué par une équipe de professionnels, veillera à respecter le droit des familles et les soutiendra dans l’exercice de leur fonction parentale. Il sera donc question de relégitimer les parents dans leurs droits et devoirs éducatifs et restaurer leur autorité parentale.
C’est par cette prise ne charge partagée entre la MECS et le milieu familial que les difficultés des parents et celles de leurs enfants seront prises en compte.
Disposez-vous d'informations à me communiquer sur les modalités de tarification applicables aux places d'accueil séquentiel de structures ASE que vous pourriez connaître ?
Je vous remercie par avance de votre bienveillance et reste à votre disposition le cas échéant.
Rédigé par : Gilles de Raynal | 11 mai 2011 à 15:57
Bonjour,
Votre analyse sur l’intérêt des formes alternatives à l’ancien schéma AEMO / placement me semble bien intéressante. C’est bien sûr celle qui guidait la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.
Concernant les modalités de tarification applicables aux places d'accueil séquentiel de structures ASE, il n’existe pas de modèle, bien malheureusement. Les solutions peuvent évoluer entre :
- Une dotation globale pour le budget de l’établissement concerné, intégrant une activité modifiée (accueil séquentiel, augmentation de l’action auprès des parents)
- Le paiement d’un prix de journée pour l’accueil séquentiel (différencié de l’accueil à temps complet), intégrant les temps dans l’établissement et les temps dans la famille (supposant accompagnement)
- Le paiement d’un prix de journée pour les temps effectifs dans l’établissement (malheureusement cette formule n’est pas incitatrice).
Dans tous les cas, il convient de prendre en compte le fait que l’accueil séquentiel n’est possible que si les places installées permettent d’accueillir de manière séquentiel (il faut que les lits disponibles permettent des temps dans l’établissement et des temps dans les familles : il faut bien 2 lits, pour 2 accueils séquentiels !).
Vous pourriez contacter Francis Batifoulier (Association Saint Vincent de Paul à Biarritz) qui a étudié le sujet, a mis en place des formules dans sa structure (avec un système de type dotation globale).
Je reste à votre disposition
Bien cordialement
Daniel Gacoin
Rédigé par : Daniel Gacoin en réponse à Gilles de Raynal | 23 mai 2011 à 12:53