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L’esprit de la réforme…
Les 3 lois sociales majeures de mars 2007 (protection de l’enfance, prévention de la délinquance, protection juridique des majeurs) sont acquises. Chacun commente les changements qu’elles génèrent, pour les appuyer ou les éreinter, en faisant comme si elles étaient déjà appliquées. C’est loin d’être le cas. Je l’évoquais il y a peu (billet du 24 mars) pour les mesures de responsabilisation des parents, je le confirme aujourd’hui pour les tutelles, je le développerai demain pour la protection de l’enfance. Dans ces lois, la « réforme des tutelles » concerne en fait 2 réformes, avec un même état d’esprit : action plus protectrice et moins stigmatisante, nouvelles mesures plus préventives et moins privatrices de libertés, en amont de mesures judiciaires.
… peu connu du grand public …
Seuls quelques journalistes parlent au grand public de ces réformes, alors que leur nécessité se faisait jour du fait du nombre de personnes concernées : en 2005, 600 000 mesures de tutelles ou de curatelle (1% de la population française et une prévision de plus d’1 million de mesures en 2010) et 27 000 familles avec une tutelle aux prestations sociales pour 100 000 enfants bénéficiaires.
… bousculant un édifice ancien ...
Jusqu’en 2007, les « tutelles » étaient des mesures judiciaires…
- au profit de mineurs « dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d’alimentation, de logement ou d’hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n’est pas employé dans leur intérêt ». La tutelle aux prestations sociales pour enfant (TPSE) est alors prévue par la loi du 18 octobre 1966 (dans la foulée de dispositions de 1942) pour la gestion, à la place des parents, des prestations sociales reçues. Des organismes associatifs, agréés, contrôlés et financés par les pouvoirs publics (UDAF, associations de Sauvegarde, etc…) sont désignés par le juge des enfants pour l’exercer,
- pour des adultes « lorsqu’en raison d’une altération des facultés mentales (dues à la maladie, à une infirmité ou à l’affaiblissement lié à l’âge) ou de l’altération des facultés corporelles, une personne est empêchée d’exprimer sa volonté ». Par la loi du 3 janvier 1968, existent 3 mesures possibles, décidées par un juge des tutelles à la demande des familles ou du Procureur : sauvegarde de justice (protection provisoire laissant à la personne sa possibilité d’agir), curatelle (gestion des biens, ou des biens et revenus, par un curateur), tutelle (gestion des intérêts, biens et revenus et représentation par un tuteur ; dans ce cas, la personne est nommée « incapable majeur »). Ces mesures ont été créées progressivement avec 3 dates-clés : 1808 (1ère législation pour les « imbéciles, déments et furieux »), 1838 (1er statut du malade mental), 1968 (indépendance entre régime de soins et gestion des intérêts de la personne). A noter : une curatelle peut être décidée au bénéfice d’une personne « prodigue, intempérante ou oisive », dès lors « qu’elle risque de tomber dans le besoin ou de ne pas faire face à ses obligations familiales » ; cette possibilité a multiplié des décisions pour des personnes ayant des problématiques sociales lourdes (exclusion, dettes, précarité, etc…). Les tuteurs sont des personnes de l’entourage (famille dans 60 % des cas), des associations agréées, ou des personnes privées professionnelles (notaires, banquiers, médecins...) ou non.
- au profit d’adultes encore « lorsque les allocations d’aide sociale, les avantages vieillesse (…), l’allocation supplémentaire, ne sont pas utilisées dans l’intérêt du bénéficiaire ou lorsque, en raison de son état mental ou d’une déficience physique, celui-ci vit dans des conditions d’alimentation, de logement ou d’hygiène manifestement défectueuses ». Une tutelle aux prestations sociales pour adultes (TPSA) est prévue par la loi du 18 octobre 1966 pour la gestion, à la place de la personne, de ses prestations sociales, tutelle assurée également par des organismes associatifs privés (UDAF, associations de Sauvegarde, etc…).
… mais avec un fort besoin d’évolution
Des changements sont intervenus à la fin des années 1990 à la suite de rapports des inspections générales des finances, des affaires sociales et de la justice (signalant de nombreuses dérives : décisions sans écoute des personnes, possibles captations de revenus financiers, fraudes, exercice illégal des activités bancaires, détournements de fonds, vols etc). Un des changements a été l’abandon des comptes pivots (qui permettaient la captation des intérêts bancaires des bénéficiaires). Mais restaient de nombreuses questions : nombre de mesures (un record pour la France… avec ses effets : coûts, juges et greffes débordés, faiblesse des contrôles), atteintes aux droits des personnes, stigmatisations, absences d’accompagnement social ou d’aide à la sortie des situations de dépendance, faible niveau de compétences des tuteurs, modes de contrôle, irréversibilité des mesures…
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Et la réforme dans son détail …
10 ans plus tard, les 2 réformes arrivent enfin… avec des ambitions :
> pour la loi du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs * :
- Sortir du statut « d’incapable majeur » au profit de celui de personne « vulnérable », ayant des droits : mise sous tutelle (perte des droits civils) ou curatelle (conseil et contrôle par curateur) réservée à l’altération des facultés constatée par certificat médical, suppression des motifs de « prodigalité, intempérance ou oisiveté », durée limitée (avec modalités de renouvellement, non automatique), la personne systématiquement entendue par le magistrat.
- Diminuer le nombre (et le coût) des mesures de tutelle et de curatelle : personnes en exclusion sociale soutenues par une mesure d'accompagnement social personnalisé (MASP) avec aide à la gestion des revenus sous forme de contrat passé avec le Conseil général et passage à une mesure d'assistance judiciaire (MAJ) en cas d'échec, sous le contrôle d'un juge.
- Créer un « mandat de protection future » : possibilité de prévoir son éventuelle protection future, notamment en désignant à l’avance qui sera chargé de veiller sur ses intérêts et sa personne en cas de besoin, possibilité ouverte aux parents d’un enfant handicapé pouvant ainsi organiser sa prise en charge après leur mort ou lorsqu’ils deviendraient eux-mêmes incapables (application dès que l’altération des capacités est médicalement constatée, sans qu’un juge n’ait à intervenir).
- Développer encore le nombre de tutelles assurées par les familles plutôt que par des organismes,
- Poursuivre l’encadrement et la qualité de travail dans les services de tutelles : formation obligatoire des délégués, comptes-rendus plus effectifs et annuels, prédominance de la protection de la personne sur la protection de ses biens, association de la personne à la gestion de sa vie et de sa protection.
> pour la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance :
- Transformer l’accompagnement des familles sur le plan budgétaire et social : suppression de la TPSE, création d’une mesure d'accompagnement en économie familiale sociale (MAESF) avec soutien social et à la gestion sous forme de contrat passé avec le Conseil général et passage à une mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial (MAGBF) en cas d'échec ou de refus de la MAESF, sous le contrôle d'un juge.
… et la prévision du chantier
La loi sur la protection juridique des majeurs entre en application en janvier 2009, celle sur la protection de l’enfance (avec MAESF et MAGBF) dès maintenant au fur et à mesure de sa prise en compte par les Conseils généraux (les nouvelles mesures et leurs modalités) : tout paraît simple, et pourtant…
- Les associations agréées pour être services de tutelle, dans les nouvelles configurations doivent encore, pendant une période transitoire qui ne peut excéder 2011, mettre en œuvre tous les outils reliés au positionnement comme structure sociale et médico-sociale (les outils de la loi du 2 janvier 2002), rédiger un projet institutionnel, réaliser un projet d’agrément à examiner en CROSMS, entrer dans le régime classique de l’évaluation sociale et médico-sociale (accompagnant des services de tutelle, je ne peux que confirmer l'ampleur de la tâche, et son intérêt)
- Les mesures MAJ (peu différentes des TPSA) seront vite opérationnelles et pourront être exercées dès 2009 par ces associations déjà en place, mais ce sera bien différent pour les MASP, non encore formalisées à travers des cahiers des charges par tous les Conseils généraux : seuls quelques-uns sont en cours de préparation sérieuse **,
- Les mesures AGBF sont très proches des anciennes TPSE, mais les MAESF ne sont pas encore balisées à travers des cahiers des charges par tous les Conseils généraux **,
- Le mandat de protection future ouvert dès janvier 2009 risque ainsi d’être adressé uniquement à des personnes privées, tant que les associations ne sont pas agréées dans les nouvelles configurations.
On le voit, le chantier est immense et, si ces réformes ont été acquises à la satisfaction générale, il conviendrait aujourd’hui de ne pas perdre de vue leur effectivité, la mobilisation nécessaire des moyens, la conduite politique des mises en œuvre. Pour cela, ne faisons pas comme si, une fois les lois votées, elles étaient acquises. La réforme est encore devant nous.
Daniel GACOIN
* on lira avec intérêt : « A propos de la réforme des tutelles » (Les Cahiers de l’Actif, Sept-octobre 2007) ; « Les tutelles » (de T. Fossier et M. Bauer, ESF, 4ème édition 2007 : un ouvrage intéressant mais très confus, malgré la volonté de présenter des fiches, quelques erreurs isolées et une absence problématique sur les tutelles aux mineurs) ; « Point d’actualité de mars 2008 sur la réforme de la protection juridique des majeurs » (UNAF)
** voir à ce titre le document de juillet 2008 du Conseil général des Hautes-Alpes : www.cg05.fr/uploads/Document/ WEB_CHEMIN_3100_1216385000.pdf
Bonjour,
- En donnant des contraintes supplémentaires(justifiées) aux associations tutélaires, le législateur va répondre à son objectif (de contrôle de coût) d'augmentation des tutelles familiales
- QUID des exigences, des critères de compétences, de qualité pour ces tuteurs familiaux ?
louis, travailleur social
Rédigé par : louis | 04 septembre 2008 à 09:18