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L’adoption récente d’un texte de référence…
La presse a relayé l’adoption d’un Charte éthique dans l’activité de maraude. Elle a été signée le 27 janvier 2008 par 27 grandes associations autour de l’éthique de la relation dans les « tournées de rencontres » auprès de personnes sans domicile fixe, vivant dans la rue, rencontres ayant pour but de répondre à des besoins immédiats, de développer un dialogue et de favoriser une orientation de ces personnes vers des lieux d’accueil ou d’accompagnement. Elle est disponible sur plusieurs sites, par exemple www.espace-ethique.org.
… facilitée par un réseau expérimental
À l’origine de cette adoption, les travaux engagés par un laboratoire d’éthique médicale de l’Université Paris Descartes, le comité d’éthique médicale de l’INSERM, le département de recherche en éthique de l’Université Paris Sud XI, et l'Espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Ils ont contribué depuis 1997 au réseau de diffusion de connaissance intitulé ÉTHIQUE ET SANTE – RÉSEAU RODIN. Ce réseau et un site promeuvent la collecte et l’accès au savoir en éthique médicale, par la diffusion de travaux de recherche, mais également l’incitation des chercheurs, des professionnels de santé et du public à « surfer » sur Internet autour des réflexions éthiques de leur domaine ou des méthodologies d’évaluation. Ce réseau développe des rencontres régulières, fort intéressantes, sur le thème de l’éthique. Il est possible de le connaître via le site www.ethique.inserm.fr.
Dans le prolongement, a été créée en 2006 une commission « Charte éthique et maraude » associant les grandes associations, , la Mairie et la DASS de Paris. Pour contacter la commission, une adresse : [email protected]
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Un contenu structuré par une ambition….
L’élaboration de la charte est passée par un questionnaire en 2006, les données recueillies étant retravaillées par l’Université Paris XI et l’Espace éthique de l’APHP, avec concertation inter-institutionnelle. L’introduction du texte rappelle l’idée de départ, le besoin d’approfondir et de formaliser des principes partagés :
- Des repères forts, indispensables à la conception de projets attentifs aux droits de l’homme, aux fondements de la démocratie,
- Des valeurs communes permettant à chacun de s’y référer pour préserver une capacité de vigilance, conforter la rigueur de l’action et prévenir tout risque faute d’une pleine conscience des enjeux.
… puis une définition…
La charte présente une définition finalisée : la maraude « consiste à prendre l’initiative d’une rencontre avec une personne vivant dans l’espace public, la rue ou tout autre lieu précaire ». « Elle a pour cadre l’espace de vie de la personne à un moment donné de son parcours. Ce premier contact peut intervenir avant même une éventuelle demande formulée par la personne. »
… en enfin des positionnements fondamentaux…
Elle indique que la mission de maraude « procède de la reconnaissance de l’autre, au-delà de sa vulnérabilité ». Rencontrer la personne et par la suite l’accompagner, c’est aussi « la respecter dans sa réalité et ses choix », d’où les 3 spécificités de l’engagement de tout intervenant, « la solidarité, la sollicitude, l’aide ou le soutien », d’où également sa nécessaire position : « digne, juste, rigoureuse, à l’écoute et au service ». Enfin, est-il ajouté, c’est bien à la personne que doivent revenir « la liberté et la responsabilité de déterminer les orientations de sa vie, le suivi proposé dans le cadre de la maraude pouvant favoriser à terme le souhait d’un mode d’existence différent, voire une insertion dans la société visant à une véritable intégration ».
…déclinés dans des principes d’actions
Les 4 chapitres de la charte prolongent en effet ces affirmations:
- Les conditions d’intervention : l’intervention ne peut se concevoir « qu’à partir d’une structure institutionnelle reconnue et organisée », « avec un lien évident avec les valeurs de la république », « après une rigoureuse sélection des intervenants » (dont compétences et savoirs), et « un engagement de respect de principes éthiques » (dont la préparation nécessaire pour anticiper des éventuels abandons de neutralité).
- Les modes d’intervention : c’est la cohérence de l’intervention qui est visée par l’évaluation d’une situation, non pas seul, mais en équipe, en recherchant en permanence l’adhésion de la personne. Les principes de confiance et de responsabilité supposent « une acceptation du refus » (même si la personne compromet ses intérêts) et « la recherche de son consentement », une gestion rigoureuse des situations de crises et d’urgence, avec « maîtrise chez l’intervenant de son engagement personnel dans une présence sans autre finalité immédiate que la construction d’une relation de confiance ». Le respect de la confidentialité est aussi une obligation formelle (non-partage des données personnelles en dehors de l’équipe d’intervenants, masquage du nom dans les échanges entre structures).
- L’objet de l’intervention : « une relation où la personne trouve elle-même sa place », condition de « l’émergence progressive d’une demande exprimée par la personne », avant tout processus d’accompagnement et d'orientation.
- L’approche de la personne : l’intervenant, « personne de confiance », « repère et référence », a des qualités d’ouverture, de bienveillance, de neutralité, de justesse et de prudence, rencontre la « personne dans ce qu'elle vit sans jugement ».
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Une première question : le lien avec le travail social
Ces principes généraux rappellent les qualités de tout travailleur social, même si la dimension philosophique est plus affirmée : « la maraude comme expression d’une fraternité et d’une solidarité témoignées à l’autre dans sa vulnérabilité ». J’ai apprécié évidemment la construction institutionnelle, rigoureuse de l’intervention, s’appuyant sur une recherche de neutralité dans un accompagnement limité, centré sur la place, la parole et la demande de la personne. Les références méthodologiques sont encore peu présentes, mais s’articulent autour d’une relation de confiance et d’une construction évaluée, réfléchie. Je l’apprécie d’autant plus que j’y trouve une articulation entre valeurs incarnées et professionnalisme.
Une deuxième question : l'inadaptation du mot « maraude »
Je reste interloqué par le mot « maraude », utilisé en permanence depuis de nombreuses années… Je n’ai pas de vocable de remplacement, néanmoins je ne comprends pas l’usage du terme, par analogie avec les larcins commis par des soldats qui errent, des petits voleurs de vergers, ou des chercheurs de clients à plumer, pour désigner ces tournées. Quand trouvera t-on un terme plus adapté ?
Une troisième question : l’usage de « références de bonnes pratiques »
La Charte Éthique et maraude est un texte souple qui prononce des « intentions éthiques ». Comme pour les nombreuses « intentions éthiques » en travail social, je me pose toujours la question des stratégies qu’elles favorisent : respect de conduites codifiées ou recherche de discernement et de changement. Le prolongement de cette Charte devrait ainsi être le développement des échanges entre intervenants (et pourquoi pas un temps d’analyse des pratiques ?) et d’organisations attentives aux intervenants (la contrepartie de leur professionnalisation).
Daniel GACOIN
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