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Un colloque récent …
Le 21 janvier dernier s’est tenu à Paris un colloque sur le thème de « la responsabilisation des parents : une réponse à la délinquance des mineurs ». Il était organisé par le Centre d’Analyse Stratégique, organisme sous l’autorité du Premier ministre succédant depuis 2006 au Commissariat général du Plan, chargé d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle. Il a été largement commenté par la presse nationale (article d’A. Chemin dans le Monde du 6 février) ou spécialisée (article des ASH du 22 février).
… sur un thème polémique
Pendant la campagne présidentielle de 2007, le sujet a suscité des oppositions fortes. Elles tournaient autour d’une politique, efficace et utile selon les uns, injuste et contreproductive selon les autres, de contrôle accru et de responsabilisation voire de sanctions à l’égard de parents laissant leurs enfants commettre des incivilités, accumuler l’absentéisme scolaire, dériver vers la délinquance.
… ayant fait l’objet d’une inflation de décisions publiques depuis 2002
Les récentes lois ont contribué à des dispositifs de responsabilisation des parents, certains générant les polémiques :
- Création en 1999 des Réseaux d’Appui et d’Aide à la Parentalité (les REAAP),
- Mise en place en septembre 2002 (loi Perben I) d’amendes pour les responsables légaux de mineurs ne répondant pas aux convocations de la justice, de sanctions (amendes et emprisonnement) pour les parents se soustrayant à leurs obligations,
- Création du « contrat de responsabilité parentale » en mars 2006 (loi pour l’égalité des chances),
- Mise en place à partir de 2004 dans le cadre de circulaires, puis à partir de la loi de mars 2007 de prévention de la délinquance, de la possible suppression des allocations familiales et de « stages de responsabilité parentale » (peine complémentaire à celle du mineur),
- Mise en place en 2007 d’un Conseil pour les droits et devoirs des familles, présidé par le maire de chaque commune, avec possibilité pour le maire de proposer aux parents, en cas de défaut de surveillance ou d’assiduité scolaire, un accompagnement dont le non-respect peut être sanctionné (saisine du président du conseil général pour la mise en place d’un stage de responsabilité parentale).
Un colloque au contenu impliquant et riche...
Dans ce contexte, le colloque suscitait des doutes (possibilité de mener une réflexion effective). Les retours oraux de participants, les articles de presse m’ont confirmé la richesse et la liberté de contenu des experts appelés à « plancher ». J’attends avec impatience la parution des actes sur le site du CAS (www.strategie.gouv.fr) promise pour février 2008 (c’est donc imminent !), mais j’ai déjà retenu plusieurs réflexions à travers les comptes-rendus disponibles.
... sur une évolution constante et générale des politiques publiques, depuis 15 ans …
Depuis la fin des années 1980, progresse une tendance à considérer qu’une plus grande responsabilité des parents serait une réponse aux problèmes de délinquance juvénile, du fait d’une lecture des manques éducatifs, de direction ou de surveillance des jeunes auteurs de délits. L’idée d’une crise de l’éducation et de l’autorité a suscité une centration nouvelle, au sein de tous les pays de l’OCDE, voire au-delà (Afrique, Maghreb, Asie), dans des actions pour responsabiliser :
- Le mineur déviant ou délinquant (lui faire prendre conscience, lui faire réparer les conséquences des actes),
- Les parents (leur faire assumer les obligations éducatives, dans l’intérêt du mineur et le souci de protection de la société),
- La communauté ou le quartier (les faire participer de plus en plus à la prise en charge des jeunes, au maintien de la sécurité collective),
- La société (l’inciter à aider de façon appropriée les parents).
Le colloque le suggère d’entrée, les politiques publiques tendent vers une « co-production de la sécurité publique avec les familles », perspective reliée à un souci d’efficacité de la dépense publique : « pour 1 euro investi en prévention de la délinquance, indique le dossier préparatoire, ce sont à terme 7 euros qui sont économisés ! »
Premier constat : le discours stigmatisant progresse, en décalage parfois avec la réalité des parents
Le retour des experts est intéressant : l’association concrète de la délinquance à un défaut d’éducation, de direction ou de surveillance se traduit par des mots stigmatisants (défaillance, démission, etc…). Or, selon F. Sottet, substitut du Procureur de Paris, une étude a montré que rien ne permet de caractériser ainsi les familles concernées, même celles des mineurs les plus réitérants : « certaines sont démissionnaires, d’autres non, on ne trouve pas de constantes dans les attitudes vis-à-vis des enfants ». Les parents sont plutôt « déboussolés », « on est dans une société d’adultes qui craignent de mal faire », indique P. Jeammet, psychiatre pour adolescents, qui ajoute : « les parents rencontrent deux types d’impuissance, l’une, objective, fondée sur des conditions matérielles et sociales très défavorables, l’autre, plus subjective, en découle en partie ». M. Mohammed, sociologue post-doctorant (Cesdip-CNRS) indique que « quand la délinquance émerge, les parents s’investissent, cherchent à agir, multiplient les partenariats. Cela marche ou pas, et dans le dernier cas, leur conduite dépend de la manière dont ils anticipent le résultat, ce n’est que lorsqu’ils pensent avoir tout tenté qu’ils baissent les bras ».
Deuxième constat : la stigmatisation est contreproductive
Le même chercheur poursuit en soulignant les 2 types de regards structurant les discours sur les parents : le premier « misérabiliste » (leur statut social, leur image publique), le deuxième « défiant » (relevé des contentieux et passifs en jeu à l’adolescence des enfants, violence, rejet du père ou de la mère, etc…). En réalité, ces regards disqualifient, délégitiment de manière temporaire et sélective (sur la dimension normative de l’éducation). Ils favorisent l’amplification de ruptures sociales (perte d’emploi, divorce, déménagement, décès, transfert d’autorité, glissement des normes parentales ou scolaires des jeunes vers les conduites déviantes, la rue…).
Troisième constat : les exemples étrangers et leurs apports
Pour la co-production de la sécurité par la responsabilisation des parents, de nombreux dispositifs ont été initiés d en Amérique du Nord, dans les années 1980 et se développent en Europe et au-delà depuis les années 1990. Le modèle le plus courant dans les pays anglo-saxons : les obligations formelles (les « parental orders ») à suivre des stages parentaux (« family group conférence ») visant à développer des compétences nouvelles (« parental skills »), ces dispositions visant principalement des mères isolées en situation de précarité. Aux Etats-Unis, la responsabilisation prend dans certains États un visage plus répressif. Pour ceux qui s’y intéressent, le dossier préparatoire (40 pages) du colloque comporte de nombreux retours sur les politiques (4 types de politiques) et dispositifs de responsabilisation (Angleterre, Nouvelle Zélande, Belgique, Etats-Unis etc…). Les retours des experts sont en tous cas convergents : les « parental orders » (1300 familles en Angleterre depuis 2003) n’auront pratiquement aucun impact sur le comportement des enfants à long terme (dixit D. Munton, du Ministère de la justice britannique), ces dispositifs n’auront qu’une faible incidence sur la prévention de la délinquance.
Quatrième constat : la situation française
Le dernier retour des experts concerne la France : si les nouveaux outils ont donné lieu à des discours enflammés, ils sont pourtant restés lettre morte (aucune suppression d’allocation familiale depuis 2004, des contrats de responsabilité parentale très exceptionnels, aucun stage de responsabilité parentale).
Finalement, le premier retour des politiques (préférer des dispositions basées sur le volontariat, l’aide et non sur la punition) indique, selon les chercheurs, un véritable positionnement : les politiques de responsabilisation, avec leurs défauts (vision mécaniste, infantilisante ou stigmatisante) sont essentiellement symboliques. Selon E. Burney (Institut de criminologie de Cambridge), elles « servent plus à afficher des valeurs qu’à prévenir réellement la délinquance ».
Je ne saurais mieux dire
Daniel GACOIN
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