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Le Médiateur de la République, une institution…
Mis en place depuis 1973 (par adaptation d’une pratique des pays anglo-saxons et scandinaves), le Médiateur de la République assume une fonction originale : faciliter la résolution des dysfonctionnements de l’administration, en étant totalement indépendant. En droit, il est saisi par des parlementaires de toutes questions concernant le rapport des usagers avec les administrations au sens large, pour favoriser le règlement de litiges. En pratique, et c’est son originalité, il est saisi directement par des usagers ou personnes morales, transmettant alors une information sur la réclamation aux parlementaires de la circonscription. Il émet des vœux de réforme au niveau du Parlement, peut s’autosaisir, dispose de délégués médiateurs dans les régions ou départements. Leur influence doit beaucoup à la personnalité des Médiateurs : les promoteurs de la fonction que furent Robert Fabre et Paul Legatte de 1980 à 1992, ou l’homme d’ouverture pragmatique que fut Jacques Pelletier, de 1992 à 1998, mort il y a quelques mois, pour lequel j'ai toujours eu une grande admiration. Les deux derniers ont assumé une orientation originale : pour Bernard Stasi (1998-2004) l’idée d’une décentralisation de la fonction (des délégués décentralisés), pour Jean-Paul Delevoye (2004-2010) le souci d’une autorité morale renforcée.
… et ses propositions régulières
Depuis 2001, le Médiateur présente un rapport annuel au Parlement : un bilan sur son activité, des analyses sur la mise en œuvre des réformes parlementaires ou des propositions d’amélioration.
… notamment dans son dernier rapport
Le rapport 2007 a été publié il y a 5 jours. J’ai été particulièrement intéressé par son contenu :
- 65 000 situations examinées, dont 35 000 pour des réclamations (le reste correspondant à des demandes d’information et d’orientation) : 80 % des réclamations sont traitées par les délégués départementaux (un tiers concernant des questions sociales) et 20 % sont traitées au niveau central (dont 20 % pour les questions sociales).
- 39 propositions de réformes ont été formulées par le Médiateur en 2007 : 24 ont été suivies (par exemple : modalités d’attribution et de calcul de la retraite anticipée des assurés handicapés), 2 ont été abandonnées (protection sociale des demandeurs d’emploi créateurs d’entreprise, accès des notaires au fichier informatisé des comptes bancaires), 13 encore en cours d’instruction fin 2007 (certaines mesures ont été adoptées en 2008).
- 13 réflexions thématiques : de l’accès au droit des détenus aux pensions de réversion, en passant par des thèmes qui ont depuis peu une grande actualité (l’aide aux familles traversant des heures difficiles avec la naissance d’un enfant sans vie, etc…).
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La mise en place des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH)…
Une réflexion du rapport a attiré mon attention. Elle concerne un bilan des MDPH, à partir d’une enquête menée auprès des délégués départementaux, installés par le Médiateur auprès de ces nouveaux organismes. On se rappelle la spécificité des MDPH : une création au cœur de la loi du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées, dans une logique de discrimination positive et de guichet, pouvant faciliter l’accès aux droits nouveaux des personnes, notamment le fameux « droit à compensation » (traduit dans une décision de plan individuel, le PCH). Dès juillet 2006, soit 6 mois après l’installation théorique des MDPH (voir mes billets de juin et octobre 2006), le Médiateur a créé un délégué correspondant auprès de chacune d’entre elles. C’est à partir du retour de ces délégués que le Médiateur a voulu présenter des analyses sur 3 axes : les modes d’articulation délégués/MDPH, la mise en place des MDPH, la mise en œuvre effective de la loi du 11 février 2005.
… et un premier thème fort...
Le Médiateur rappelle (une lapalissade) la complexité de la loi du 11 février 2005 et des textes d’application (101 articles, 110 décrets et arrêtés d’application). Il constate la méconnaissance importante des dispositifs, par le grand public comme par les acteurs spécialisés, y compris dans les MDPH. Notamment, est soulevée la méconnaissance des circuits contentieux sur les décisions prises par une MDPH : auprès des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), auprès des tribunaux de contentieux de l’incapacité (TCI) ou auprès des tribunaux administratifs (TA). Est soulevé le fonctionnement insatisfaisant des TCI (financement DRASS avec du personnel du ministère de la justice, absence de formation adaptée des magistrats, sous-effectifs notoires, etc…).
… suivi d’une inquiétude…
Il relève les enjeux de financement des mesures prévues par la loi du 11 février 2005 (accessibilité des équipements publics, places en établissements, coût des aides techniques et humaines des PCH). Il ne propose malheureusement pas d’évaluation chiffrée des besoins à venir… et des manques.
… mais également de questions ou difficultés
Je retiens dans ce rapport, avec des exemples individuels présentés de façon précise :
- Le manque de dialogue entre les MDPH et l’Éducation Nationale (autour de la mise en œuvre des attributions de matériel pédagogique par exemple),
- Les difficultés dans les possibilités de cumul d’emploi salarié et de l’AAH,
- Les difficultés de prise en charge des frais de transports (notamment pour des personnes adultes en MAS), nécessitant de mener une analyse approfondie et globale,
- Les retards dans des décisions à prendre par les MDPH (demandes d’invalidités, bénéfices de cartes de stationnement, réponse à des demandes particulières…),
- Le manque d’information, par exemple sur la majoration de la durée d’assurance vieillesse pour charge d’enfant handicapé, etc…
- Le retard pour l’application des droits civiques des personnes handicapées, malgré les engagements de la loi et la signature en 2007, par la France, de la convention internationale sur la protection et la promotion des droits des personnes handicapées.
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Les enseignements à tirer
L’ensemble de ce rapport pour utile, qu’il soit, reste très partiel voire même décevant, notamment pour ceux qui comme moi ont été amenés à travailler sur la dynamique des MDPH et à constater les grandes disparités (modes de structuration, moyens, application rigoureuse des textes, prestations). Parler ainsi de « premier bilan des MDPH » est trompeur : en fait, le document présente une addition de types de situations, importante mais en deçà d’une analyse complète des MDPH, 2 ans après leur installation. C’est dommage, d’autant que ce bilan manque singulièrement.
Certes, un bilan approfondi est difficile : les responsables des Conseils généraux, fortement impliqués dans l’installation, la gestion et l’animation des MDPH, sont particulièrement attentifs à ce que des mises en cause éventuelles ne soient pas publiques.
Pourtant, dépêcher une mission d’évaluation, par une autorité indépendante (État central, CNSA ou Médiateur de la république) est une nécessité… Elle serait un bon vecteur d’évaluation de la loi du 11 février 2005. Il conviendrait, selon moi, d’utiliser un mode d’entrée premier : la réalité des actions, des accès aux droits, des prestations, des informations dispensées auprès des usagers, en pensant à la réalité de l’égalité de traitement sur le territoire français. L’approche devrait ainsi faire le point, dans le cadre de l’évaluation de la loi, sur la réalité des MDPH : conformité des fonctionnements aux textes, progressions effectives (situation avant et après l’arrivée des MDPH), effets escomptés et réels. La piste des réclamations, utilisée par le Médiateur de la république, est un outil, il est loin d’être le seul, surtout quand il ne fait pas le tri entre des situations spécifiques (sans aucune statistique) et les prestations effectives (accueil, information, soutien de l’expression des aspirations, évaluations individuelles, financement de la PCH, travaux de la CDAPH, décisions effectives, accès aux droits).
Pourquoi ne pas se donner l’impératif d’une évaluation sérieuse, pour cette loi majeure, comme cela avait été le cas, 2 ans après la mise en place du RMI ?
Daniel GACOIN
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