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La publication d’un nouvel ouvrage …
Fin novembre 2007, est paru un livre de Michel Chauvière intitulé « Trop de gestion tue le social, essai sur une discrète chalandisation » (Ed. La Découverte). L’auteur, sociologue, directeur de recherche au CNRS, est connu de ceux qui s’intéressent au « social ». Ses premiers ouvrages des années 70 et 80 ont marqué par sa critique de l’idéologie du « social » (« Les socio-clercs. Bienfaisance ou travail social » de 1976 et surtout « Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy », de 1980). Ses travaux des années 90 et 2000 sont bâtis comme des remparts à l’égard « d’une déconstruction » de l’action sociale (fin de l’État providence, décentralisation / territorialisation, marchandisation via la relation de service, progression de l’idéologie gestionnaire et néolibérale).
… conçu comme un réquisitoire
Le lecteur y est soumis à une construction implacable sur les changements en cours. Selon l’auteur, « devenue pensée unique, l’idéologie néolibérale est désormais assez incorporée au social pour que des entrepreneurs malins y fassent des affaires ». Il constate, dans les changements générés par « les tables de la raison gestionnaire et managériale libérale », des processus aux conséquences diverses : réduction de la voilure, ouverture d’un « marché du social », imposition de normes de « bonne gestion », valorisation d’un nouvel affairisme, nouveau lexique (services à la personne, accès aux droits, démarche qualité) favorisant un processus de chalandisation et de formatage des consciences, sapant les fondamentaux de l’action sociale et préparant la privatisation des services. Ce qui est visé dans ce réquisitoire contre une idéologie nouvelle, « sa rationalité technique et sa novlangue pseudo-éthique », c’est que le « social réalisé » (en actes, en droits et en institutions) « fuit par tous les bouts ». C’est aussi que la « bien-pensance » libérale imposerait des normes aux mouvements sociaux, aux professions établies, aux experts présentés comme « attardés », des normes sur les prestations instillant progressivement « un habitus commercial banalisé » offert au marketing. C’est enfin la préparation d’une réorganisation totale, où toutes les interventions sociales devraient être vendues (ou affichées avec leur coût réel), confondant le « vivre ensemble » avec le « faire des affaires ». Le livre comprend ainsi :
- Une 1ère partie intitulée « Société de services et fétichisme de la qualité ». Elle décrit la métamorphose, consumériste, de la notion de service : une métamorphose mettant en danger un équilibre acquis, au début du XXème siècle (le compromis autour d’un État social). Puis, elle présente le développement de 3 types de situations des services sociaux et médico-sociaux : un « social de crise », un « social de gestion », un « social banalisé », marché libre et en expansion pour tous les gadgets. Cette différenciation nouvelle serait le résultat, selon Chauvière, d’influences cumulées : décentralisation, construction européenne, progression du management public, privatisation gestionnaire de l’État soutenue par les pratiques de gouvernance et de dirigeance des organisations, économie nouvelle de l’offre avec développement du marketing, nouveau régime financier, effets pervers de la contractualisation individualisée au détriment de la solidarité. L’univers nouveau de la qualité et des normes est ensuite décrypté : nouvelle branche d’activité (métiers, officines, etc…) déléguée par l’État qui abandonnerait sa fonction de contrôle direct, chalandisation des comportements, progression des normes sur les bonnes pratiques, démarches et référentiels qualité peu probants en termes de rigueur, évaluation obligatoire avec une visée essentiellement administrative, progression de la compétitivité.
- Une 2ème partie intitulée « Le domicile, l’accès et l’usage, facteurs d’individualisation ». Elle indique combien, dans un contexte d’hégémonie de la gestion et du management, le cadre de l’action sociale se réduit, favorisant l’individualisme consumériste. L'auteur cite ainsi l’action à domicile (avec un rapprochement, pour Chauvière, entre des actions de proximité et des techniques de traçabilité humaine : guichets uniques, « GPSisation » des conduites, nouvelles technologies de l’information) ou la progression du « droit à l’accès à… » (au logement par exemple) souvent envahissante, mais peu probante au regard des manques (des logements effectifs). Enfin, il reprend la progression majeure de la loi du 2 janvier 2002 sur les droits des usagers : pour l’auteur, il s’agit d’un progrès apparent, mais en fait d’un leurre majeur favorisé par une élite réformiste, après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Il ne retient qu’une progression normative, administrative, « délégitimant » les professionnels et favorisant la consommation de services et « une compréhension individualiste, privatiste et consumériste de la pensée sociale ».
- Une 3ème partie intitulée « Forçage territorial et commerce des compétences ». Elle part de la promotion des approches territoriales : de la décentralisation aux incertitudes de politiques de développement local, avec leurs conséquences en termes de désordre de l’action sociale localisée… Elle poursuit sur la conversion des compétences sociales au marché (extension du secteur professionnel, mais déclin des régulations professionnelles). Une « industrialisation du social » s’organise, selon Chauvière, en 3 temps : 1. Travail de sape idéologique (opprobre sur les approches de type clinique, critique du corporatisme), 2. Passage d’une culture du salariat professionnel (années 60 et 70) à une culture de programmes et de réseaux, 3. Ouverture vers une culture du produit (qualité, évaluation de la satisfaction de l’usager clientélisé).
Le résultat global se veut imparable : rien ne trouve grâce à ses yeux, la seule alternative possible, c’est la résistance et la modernisation de la solidarité, appuyée sur un service public relégitimé, des actions non lucratives, des professions revalorisées, un droit des usagers plus citoyen que consumériste.
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Accepter les questionnements de Chauvière …
D'abord saisi par le contenu uniquement à charge de l’ouvrage, j’ai rapidement été intéressé par ses propos. Notamment, j’ai apprécié la présentation de certaines évolutions : progression de la mise en concurrence, ouverture du champ des services aux personnes aux entreprises lucratives, dérives technicistes et gestionnaires (essentiellement comptables et à courte vue), euphémisations des référentiels métiers et absence de rigueur et de pertinences de certaines démarches qualités ou évaluatives, progression d’une novlangue éthico managériale, multiplication des dispositifs et réseaux rendant illisible le regard sur les manques et les actions mises en œuvre. De nombreux points méritent d’être repris, certains sont bien intéressants et l’ensemble confirme que le livre est important.
… tout en déniant son approche globale
Des objections, de forme tout d’abord, me semblent nécessaires :
- Sa construction est à sens unique, rejetant la complexité des mécanismes à l’œuvre pour une relecture systématique, à l’appui de sa démonstration globale, au risque parfois d’inexactitudes (sur l’ANESM notamment). De même, les dérives dénoncées, à juste titre, ne peuvent être une preuve d’exactitude du raisonnement global.Certains contenus paraissent même à la limite du raisonnable (une supposée « GPSisation des conduites » par exemple)
- Le contenu du livre souffre d’un syndrome que j’appellerais… « bourdieusien » (en m’inspirant de l’excellent ouvrage de Nathalie Heinich, Pourquoi Bourdieu, Gallimard, 2007). On trouve ainsi : une rigueur de raisonnement, mais des propos contradictoires tenus avec autant de force à quelques années de distance (dans les années 70, dénonciation des idéologies du travail social soutenues par un État contrôleur / dominateur, aujourd’hui défense du travail social public), une stigmatisation de certains concepts et de penseurs sans qu’ils ne soient explicitement nommés, une position moniste sur fond de discréditation systématique de positions opposées.
Et surtout, il convient d’opposer des objections de fond :
- La vraie construction de Chauvière est, selon moi, une fiction : le compromis global (l’État garant d’une protection solidariste, puis assurantielle dès le début du XXème siècle) à la base du « social » et remis en cause depuis 25 ans sur fond de pensée dominante et néolibérale (réduction des dépenses, marchandisation), à preuve l’ouverture au marché du champ des services à la personne. Le compromis global présenté par Chauvière n’était ni global (addition de compromis partiels), ni acquis au début du XXème, ni même garanti par l’État, les corps intermédiaires étant particulièrement engagés dans la conception et la réalisation d’actions sociales privées. L’auteur s’arrête à la construction historique de 1945 et fait l’impasse sur la construction du « social » des années 60 et 70 : le triptyque « populations en difficulté / institutions sociales / professions sociales », conduisant à confier l’action sociale, non à un corps social en mouvement, mais à des professions agissant dans des institutions à part.
- La définition du « social », qui ne peut être compris comme l’ensemble des « services aux personnes », me semble à reprendre (pour moi, l’ensemble des actions réciproques favorisant le développement du lien social et les compromis du « vivre ensemble »), autorisant une construction plurielle, mais à rendre très lisible, de l’action sociale : une part solidariste garantie par l’État, une part assurantielle, une part collective et territoriale, une part ouverte à la concurrence.
- La défense des professions sociales, telle qu’elle est présentée, me semble absurde : le travail social ne peut se justifier par sa seule existence, mais par des finalités mises en mouvement, interrogeables, dirigées et contrôlables. Pour quelqu’un qui a, comme moi, été formé à l’idée d’un travail social construit autour de la rencontre humaine, de la clinique et de la mise en mouvement, individuelle ou collective, soutenue par une institution, il existe une interaction nécessaire entre un travail social fort, des professionnels engagés et des organisations managées autour de projets structurés par des valeurs. Je ne peux donc épouser la dénonciation, par nature, du management (systématiquement associé à gestion comptable, culture du résultat, concurrence et loi du marché), d’autant que les idéologies dénoncées ne sont pas définies.
Malgré leur outrance, les propos trempés de Chauvière permettent de s’interroger et, même quand des objections essentielles sont à poser, ils aident à continuer à penser l’action sociale, pour aujourd’hui et pour demain.
Daniel GACOIN
Madame, Monsieur,
Nous sommes actuellement étudiants en master « Droit et Management des établissements et services sociaux et médico-sociaux », et conduisons une recherche de fin de cycle.
La thématique générale de recherche pour l’année 2007 porte sur la triangulation : performance, évaluation, mesure.
Nous orientons nos travaux de recherche sur :
la corrélation entre projet de structure
(établissement et/ou service) et performance de l’organisation.
La définition de la notion de performance d’une structure est soumise à des interprétations. Afin d’étayer notre propre représentation de la performance d’une structure du secteur social et médico-social, nous sollicitons votre coopération en vue de l’élaboration d’un référentiel de lecture de celle-ci.
A cette fin , nous vous demandons de bien vouloir réponrde succintement aux questions ci dessous posées. Nous vous précisons que toutes les informations recueillies dans le cadre de cette recherche seront anonymisées.
Cordialement.
Baudet Sébastien
Leblond Landier Eric
Lobut Dominic
Quels sont selon vous les deux critères principaux de la performance d’une structure sociale et/ou médico-sociale
Pouvez vous indiquer, les trois éléments (mot clé) qui contribuent à la performance d’une structure du secteur social et médico-social ? Vous pourrez les commenter.
Rédigé par : Lobut dominic | 09 janvier 2008 à 14:31