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La publication d’un ouvrage …
À l’heure où est créé un secrétariat aux sports disjoint de l’action en faveur de la jeunesse, il m’a paru utile de m’intéresser à l’éducation populaire, branche de l’action publique et sœur de l’action sociale. Or, est paru, il y a 6 mois, un livre bien intéressant : « L’histoire de l’éducation populaire ». L’ouvrage, écrit par un conseiller technique Jeunesse et Sports, Jean-Marie Mignon, est publié par les Éditions La Découverte. Il rappelle que les années 1940 à 1970 ont vu émerger 2 secteurs d’activités complémentaires, l’action sociale et l’éducation populaire, avec des passerelles. Nombreux notamment sont les travailleurs sociaux, dirigeants associatifs des organisations sociales et médico-sociales, qui ont fait leurs premiers pas professionnels ou bénévoles en éducation populaire… Ce fut mon cas, les jobs d’animateur de centres de vacances et de loisirs, dès mes 16 ans, puis, plus tard, les fonctions de formateur ou de dirigeant dans une grande association d’éducation populaire ont été les portes d’entrée à ma formation d’éducateur spécialisé, la professionnalisation et l’engagement m’entraînant ensuite à des fonctions de formateur, puis de dirigeant en organisation sociale, enfin de consultant et d’auteur.
… partant d’un creuset historique
L’ouvrage propose un retour sur 70 années de vie sociale et institutionnelle autour de l’éducation de la jeunesse. Il démarre avec l’héritage du XXIe siècle.
- Le lien construit par les encyclopédistes entre l’idée sociale d’émancipation des peuples et une pédagogie de l’enseignement destinée à la promotion sociale, est traduit dès 1792 dans un projet d’éducation populaire favorisant le développement d’activités socio-éducatives diverses, en faveur de la jeunesse. Ce n’est qu’à partir de 1830 qu’apparaissent des mouvements (d’éducation populaire et d’éducation ouvrière, tant pour les jeunes que pour les adultes).
- Deux grands courants oeuvrent ensuite : le courant chrétien et social (hérité des penseurs comme F. Ozanam, Albert de Mun, Frédéric le Play, puis Marc Sangnier), le courant laïque (hérité de l’action de Jean Macé et de la nébuleuse de la Ligue de l’enseignement).
- L’ouvrage décrit ensuite les constructions foisonnantes des années 1930, avec en parallèle une approche diversifiée de corps intermédiaires (les associations, l’économie sociale) et le volontarisme ministériel (Léo Lagrange, etc…). Le développement des « patros » *, (les patronages) bat son plein, toujours avec une double approche chrétienne-sociale (le scoutisme, les activités de paroisse) et laïque.
- La 2ème guerre mondiale viend modifier les cartes : la création des chantiers de jeunesse (initialement proches de la Révolution nationale de Pétain), ouvre une parenthèse qui se referme vite avec l’entrée dans la Résistance de tous ces lieux de vie, dont la célèbre école des cadres d’Uriage (E. Mounier, H . Beuve-Mery, S. Nora, etc…).
… pour décrire 3 grandes phases de l’essor de l’éducation populaire
La libération de la France verra le volontarisme du soutien à l’Education populaire :
- Du milieu des années 1940 au milieu des années 1950 : une phase de reconstruction. Elle est décrite dans l’ouvrage à travers les redynamisations associatives (l’exemple de Peuple et Culture, du rayonnement d’actions culturelles, des chantiers de jeunes, du scoutisme). Elle se poursuit dans la description, non plus des activités de vacances et des « patros », mais des activités périscolaires et postscolaires (avec un dépassement de l’opposition initiale mouvements chrétiens / mouvements laïques). Est aussi décrite l’émergence de secteurs nouveaux : les foyers pour la jeunesse (maisons des jeunes et de la culture, foyers ruraux, auberges de jeunesse, foyers Léo-Lagrange de Pierre Mauroy, foyers de jeunes travailleurs). Dans cette période faste, un mouvement contradictoire guide les pouvoirs publics : créer une direction de l’Éducation populaire au sein de l’Éducation nationale en 1944 (la mise en avant), la fondre dans la Direction des Sports deux ans plus tard (l’effacement).
- Des années 1950 aux années 1960 : une progression du lien entre l’éducation populaire et l’éducation permanente. Sont décrites les initiatives diverses (progression des modes de loisirs, invention de liens sociaux au cœur des ensembles immobiliers phares, etc…), et la progression vers un ministère à part entière. Le haut-commissariat à la jeunesse et aux sports (M. Herzog) de 1958, initiant les congés salariaux pour des activités consacrées à la jeunesse, développe ses activités en concurrence avec une direction des affaires culturelles (via le ministère d’A. Malraux), pour des actions d’éducation autour de l’art dramatique, de l’expression musicale, du livre, etc… Et parallèlement, l’Éducation nationale soutient le développement d’initiatives autour de l’éducation populaire et de l’éducation permanente…. Tout est réuni pour voir, à terme, une liaison des trois approches dans une seule direction publique, en lien avec des corps intermédiaires associatifs fortement mobilisés.
- Des années 1960 aux années 1970 : la naissance du travail social et de l’animation socio-éducative, et la séparation avec l’éducation populaire. Le lien entre l’éducation socio-éducative autour de problématiques d’exclusion et de société va favoriser la création d’un métier à part entière, issu du monde de l’éducation populaire, l’animateur socio-culturel. Mais peu à peu, ce métier va rejoindre un secteur différencié et en forte structuration, celui du travail social. L’ensemble, pendant la période agitée d’après 1968, aboutit à une professionnalisation/institutionnalisation qui désosse l’éducation populaire d’une part de ses acteurs, les animateurs, vite aspirés vers d’autres horizons, ceux de l’action sociale et protectionnelle.
… afin d’aborder la perte d’influence d’aujourd’hui
De 1980 à aujourd’hui, l’ouvrage décrit une phase progressive d’usure et de déconnexion de la portée de l’éducation populaire. L’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981, malgré les grandes options volontaristes (ministère du temps libre en 1981 par exemple) va pousser la perte d’influence et l’image passéiste de l’éducation populaire. La dégradation est d’autant plus sensible que de nouveaux défis se font jour : celui de secteurs de vie multiculturels rendant nécessaire des lieux d’expression de la diversité, celui de nouveaux analphabétismes, celui d’un nécessaire appui de formes renouvelées d’éducation face à la dévalorisation de l’éducation. L’auteur décrit cette érosion lente, malgré les discours publics : le ballottement des années 1986-1997, les intentions vaines des années 1997-2002, les valses-hésitations de 2002-2007 (la direction de l’éducation populaire et de la jeunesse, séparée de celle des sports allant d’abord à l’Éducation nationale pour revenir ensuite aux Sports). Il ne pouvait encore décrire la situation d’aujourd’hui confirmant cette érosion : un rattachement au ministère de la santé et une disjonction entre Jeunesse (sans secrétaire d’Etat) et Sports (avec secrétaire d’Etat).
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In fine : un livre qui laisse un goût amer
J’étais parti dans cette lecture, plein d’enthousiasme, heureux de retrouver des racines, des références, une part d’un passé motivant. Et de fait je l’ai retrouvé…
Mais vite, le délitement d’un secteur pourtant porteur de nombreuses initiatives, de modes de promotion des hommes, de la culture, du savoir et du lien social, apparaît dès la deuxième partie de l’ouvrage. Le lecteur mesure alors le gouffre qui se creuse entre des défis à relever pour l’action publique, pour l’action associative redynamisée, et la réalité progressive d’un délitement de plus en plus marqué. Comment ne pas voir les perspectives de participation sociale, de construction de lieux de solidarité naturelle, capables de relever les défis des villes, des échanges culturels et sociaux, voire internationaux, des échanges économiques solidaires, de l’éducation de la jeunesse ? Et comment ne pas percevoir en parallèle l’absence de réflexion politique sur le thème dans l’ensemble des partis politiques ? Considérant que l’éducation populaire est une des branches de l’action sociale, je la pense complémentaire des actions protectionnelles ou spécialisées, je la pense indispensable. Commençons par lui créer un ministère et un budget, en lien avec des objectifs lisibles… Finalement, je serais ravi que l’éducation populaire bénéficie du discours volontariste et même de la culture du résultat qui se développent aujourd’hui à la tête de l’État.
Daniel GACOIN
* il sera intéressant de lire un autre ouvrage, un petit trésor, publié par le Centre National de Formation et d’Études de la PJJ à Vaucresson : « L’âge d’or des patronages (1919-1939) » de D. Dessertine et B. Maradan, publié en 2001 et consacré aux « patros » en région lyonnaise.
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