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Une injonction rappelée par la loi du 2 janvier 2002 …
La loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale est venue réaffirmer, à partir de son article 7 consacré aux droits des usagers, une position forte : toute personne accompagnée par un établissement ou service social ou médico-social « a accès aux informations la concernant, dans les conditions prévues par la loi ou la réglementation. La communication de ces informations ou documents par les personnes habilitées en vertu de la loi s’effectue avec un accompagnement adapté de nature psychologique, médicale, thérapeutique ou socio-éducative ».
… et les positions induites
Les conclusions évidentes, pour toutes ces organisations : organiser l’accès et la communication de dossier dans des règles de droit, notamment …
- Mettre en place un dossier unique (même s’il peut avoir plusieurs parties, notamment une partie médicale protégée par les règles du secret médical, et une partie socio-éducative et administrative par le devoir de confidentialité) : cela signifie que le dossier ne comporte pas une part communicable et un part non communicable,
- Tenir des règles explicites pour les notes personnelles (provisoires, non partagées, non réutilisables) à détruire régulièrement. On se référera sur ce thème à l’arrêté DGAS du 5 mars 2004 sur les recommandations de « bonne pratique » en matière de dossier médical,
- Affirmer et respecter les règles de consultation inscrites dans le règlement de fonctionnement (première section) communiqué aux usagers et recueillant l’avis du Conseil de la Vie Sociale,
- Tenir des règles de protection des données des dossiers papier ou informatisés,
- Développer les normes de bon sens pour l’écriture des écrits des dossiers (observations, comptes-rendus de synthèses, rapports de situation, projets personnalisés) en tenant compte de la lecture possible de tous les écrits par le « destinataire éthique » (l’usager), selon le terme de Jacques Riffault (« Penser l’écrit professionnel en travail social », chez Dunod). L’élimination des jugements, interprétations, approximations devrait devenir la norme.
… s’appuyant sur une lecture du droit
Ces recommandations et/ou obligations s’appuient sur des lois ou des textes ou réglementaires : loi de 1978 (communication par tout organisme de service public des documents administratifs sur un usager, s’il en formule la demande), et son pendant pour les dossiers informatisés (loi Informatique et Libertés de 1979), loi du 2 janvier 2002, décret du 15 mars 2002 pour les dossiers judiciaires (en assistance éducative, lecture directe de son dossier par l’usager ou ses représentants, au greffe du Juge des Enfants), loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades (droit à communication du dossier médical).
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Une récente décision du Conseil d’Etat qui jette le trouble …
Dans un arrêté du 22 février 2007, le Conseil d’Etat a statué sur le fait que les ESAT (ex CAT) ne relèvent pas de la loi de 1978 lorsqu’ils sont gérés par un organisme de droit privé, puisque n’assumant pas une mission de service public.
Le différend à l’origine de cet arrêté concernait une demande de salariés d’ESAT de se voir communiquer les états du personnel, en vertu de la loi de 1978. Pour le Conseil d’Etat, il s’agissait d’évaluer si un ESAT ou tout établissement social ou médico-social géré par une association est chargé d’une mission de service public, c’est-à-dire si 3 conditions sont remplies : mission d’intérêt général, contrôle de la puissance publique, prérogatives de puissance publique. Même si une personne privée ne dispose pas de prérogatives de puissance publique, elle peut est regardée comme assumant une mission de service public « lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ». La section du contentieux du Conseil d’Etat a affirmé, dans l’arrêté de 2007, que pour un établissement géré par une personne morale de droit privé : « Il n’y a pas de mission de service public lorsque le législateur a écarté cette notion : or, dit-il, tant à l’occasion du vote de la loi du 30 juin 1975 (…), qu’à celui de la loi du 2 janvier 2002, le législateur a refusé des amendements qui visaient à instaurer un service public de l’action sociale ».
Le Conseil d’Etat prend ainsi une position qui fera jurisprudence : une personne privée gestionnaire d’un établissement ou service social ou médico-social n’assume pas une mission de service public et ne relève pas des dispositions de la loi de 1978 sur la communication des documents administratifs. Seules exceptions : les structures oeuvrant dans le champ de l’Aide sociale à l’enfance ou de Protection judiciaire de la jeunesse.
… qui change le cadre mais pas les obligations
Ainsi, l’appui sur un cadre légal et public, généralisé, pour la communication des dossiers administratifs ne peut s’appliquer aux OSMS gérées par des associations, mutuelles, coopératives, sociétés à but lucratif. À mon sens, cela ne change rien à la communication possible du dossier, au moins dans ses fondements.
… et surtout, qui ne change pas les positions éthiques
Une nouvelle fois, nous voilà confrontés à des subtilités juridiques pour régler des approches sociales, voire cliniques. J’affirme que ce n’est pas en s’appuyant sur la loi (1978 ou 2002) et en demandant des recommandations à des juristes que l’on règlera la question (je reviendrai sur ce thème dans un prochain post). C’est en affirmant un positionnement lié à la considération de la personne, l’usager, comme sujet et acteur, que l’on trouvera des repères fondés :
- Un dossier, ses écrits, sont des documents construits à partir d’une technique professionnelle, et partagée,
- Il est élaboré avec une mise en ordre d’informations dont un établissement, un professionnel, ne sauraient être que des dépositaires,
- Il est à tout moment consultable par les usagers, cette consultation étant une opportunité, utile pour eux-mêmes, utile pour les intervenants : c’est un mode d’accompagnement,
- Tout écrit d’un dossier respecte une approche éthique : le respect des personnes, l’objectivité des faits (actions engagées, évolutions constatées), la subjectivité éventuelle des analyses et préconisations (dans ce cas, elles sont présentées comme telles et différenciées des observations), le partage possible sur les contenus avec la personne,
- Il convient de faire la chasse à tous ces écrits qui circulent entre institutions, parfois au mépris des règles de droit les plus élémentaires, et qui ne sont pas connus des intéressés eux-mêmes.
Je souhaite donc voir, dans les établissements et services, moins de temps consacré à l’examen des dispositions et subtilités réglementaires et davantage pour aborder, avec chaque acteur et dans une véritable « éthique de discussion », les modalités pratiques de mise en œuvre de ces repères.
Daniel GACOIN
A l'heure où l'institution qui m'emploie a engagé un travail sur le dossier unique ainsi que sur les écrits professionnels, ce post résonne avec d'autres réflexions puisées ailleurs. J'attire votre attention sur l'ouvrage d'Ermitas EJZENBERG - Les écrits professionnels dans le secteur social et médicosocial - Vuibert 2007. Et plus précisément sur un chapitre dédié à l'éthique. Cela permettra aux personnes intéressées d'aller plus loin sur ce questionnement, cette exigence éthique, ainsi que sur la nécessaire subjectivité qui caractérise la rencontre entre le sujet bénéficiaire de l'action sociale et le sujet professionnel...
Rédigé par : Sandrine FORTINA | 14 novembre 2007 à 18:42