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Une question sans cesse présente…
Accompagnant des organisations sociales et médico-sociales dans leurs projets, je les soutiens dans la formulation des valeurs et convictions qui les animent, qui structurent leur fonctionnement ou les différencient dans la philosophie de l’action. La question est fondamentale pour leurs acteurs tant l’action ne saurait être définie par la seule description de missions, prestations, procédures, positions opératoires. Des mots sur l’éthique, le message, le sens, visent ainsi en amont à marquer la volonté d’incarner des finalités. Mais les mots mis en avant sont souvent liés à une affirmation identitaire, pour se différencier d’abord… des entreprises (pensées comme lieux de profit et de réussite) ou des administrations (pensées comme univers de procédures, inadaptées et immobiles).
… et pourtant le maintien d’un certain flou
L’expression de valeurs est alors marquée par le manichéisme, sur 2 vecteurs : la frontière (l’univers du profit d’un côté, celui du social de l’autre), le temps (nous serions dans un temps de délitement, différent de « l’âge d’or du social », puisque la raison gestionnaire tiendrait lieu de base à toute évolution). Ces présentations jettent aux orties la complexité des processus et l’intérêt d’une progression de la rationalité et du droit positif… Elles mettent en avant une opposition supposée entre des structures à éthique différente, alors même que le mot « valeur » n’est pas défini. C’est pourquoi, je pense nécessaire de transformer la dynamique d’affirmation des valeurs dans les approches projets du secteur social et médico-social. D’autant plus que les projets structurels de ces organisations ont des dimensions nouvelles : dynamique (plans stratégique et d’actions), organisationnelle (non uniquement les abords socio-éducatifs ou cliniques des prestations), évaluative (formulation des indicateurs de qualité), contractuelle (les projets comme base des contrats d’objectifs et de moyens).
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Partir d’une définition …
Ce mot « valeur » est ambigu, il introduit un rapport de comparaison (grandeur ou prix), mais surtout un lien avec la morale (ce qui est bien), la science (ce qui est vrai), la justice (ce qui est juste) ou l’esthétique (ce qui est beau). La définition du Petit Robert renvoie ainsi « la valeur » à ce qui est « vrai, beau ou bien, selon un jugement personnel plus ou moins en accord avec celui de la société ». Le poids des représentations est donc important, dans ce jugement, mais il ouvre pourtant une réflexion sur les critères universels ou normatifs, sur la science d’élaboration des jugements (dont la philosophie), sur les modes de discernement ou l’éthique appliquée.
… en admettant qu’elle pose des difficultés
La valeur est ainsi liée à une relativité des représentations, individuelles ou collectives, sur les faits, normes et changements sociétaux. Il convient non pas de se satisfaire de ce relativisme, mais de l’accepter pour faire fonctionner les valeurs comme des hypothèses, non des certitudes. A contrario, les formules incantatoires ou affirmatives, n’intégrant aucun doute, semblent avoir surtout une fonction de reconnaissance, de différenciation, même quand les contenus sont peu explicites, entre « ceux qui en auraient » (des valeurs), et ceux « qui n’en auraient pas » ou « les auraient perdues ».
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L’action sociale : une valeur ?
Et apparaît ainsi une idée de base : l’action sociale, la protection sociale, seraient en soi « des valeurs », résultats d’une conception de l’existence et du vivre ensemble faite de liens solidaires, par opposition avec les logiques individualistes ou responsabilisantes. Cette idée de base résiste mal à l’analyse. La protection sociale constitue bien sûr un univers institutionnel dont la base est celle du compromis (rendre compatible l’égalité des citoyens avec un nécessaire développement économique construit sur l’inégalité des moyens), qui en soi, constitue une valeur : je ne suis pas sûr que la logique du compromis social généralisé soit comprise par tous ceux qui mettent en avant les valeurs de solidarité. Mais la protection sociale est également un secteur construit sur la sédimentation de décisions prises, depuis 150 ans, en fonction des connaissances et occasions du moment, sans référence toujours à un corpus philosophique établi ou unique.
L’évitement généré par la pensée d’une action sociale comme valeur est fréquent : on affirme en énonçant ce que l’on n’accepte pas (monde de l’entreprise, logique de la contrainte, libéralisme supposé porteur d’abandon du solidarisme, poids des normes), pas toujours en s’inscrivant dans une logique positive. Et les conséquences des positionnements philosophiques et sociétaux ne sont pas toujours reprises dans leur lien avec des conceptions plus larges ou des postures opératoires. L’absence de précision est marquée par l’ambivalence à propos des normes morales : priorité à une approche libératrice à l’égard de contraintes, qui, en soi, est également porteuse d’un éloignement des fondements de la solidarité.
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Le sens, mais quel sens ?
Retrouver le sens, et les dimensions dialectiques autour du sens, est le premier des chemins. Je préconise, dans toute démarche projet (associatif, d’établissement, de regroupement, partenarial), de prendre le temps de définir ce sens, non en dénonçant ou en se posant contre, mais en travaillant quatre niveaux de contenus :
- Les visions du monde et de l’homme dans le monde, y compris l’homme en difficulté : une approche politique et philosophique. La construction ne saurait venir du terrain, mais d’abord des instances politiques des organisations.
- Les conséquences stratégiques ou en termes de choix d’action de ces visions : cela concerne les directions d’une part, les équipes professionnelles de l’autre.
- L’énoncé, à partir des visions, de recommandations ou d’engagements dans des postures opératoires (pour le message, ou les attitudes déontologiques des acteurs, ou la dynamique de l’organisation) : l’implication des cadres et des équipes professionnelles devra y être forte.
- L’énoncé de la « plus value » (pas la valeur en soi, mais « le plus » apporté à l’autre, l’usager ou l’organisation, ou même les professionnels), recherchée à travers ces recommandations ou postures. Là également, l’implication cadres /professionnels est nécessaire.
Je propose ainsi d’éviter, et même de fuir, l’énoncé de normes impératives pour décrire d’abord, à travers les projets de fonctionnement, comment des normes/visions seront un support pour l’interrogation. L’énoncé ne devrait être pas prescriptif (support de jugement), mais prédictif (support d’une éthique appliquée, d’une éthique du doute et de la discussion). Cette dimension de l’interrogation (la valeur permet de se questionner en avançant) est l’objectif au moment de l’élaboration des contenus et pour leur mise en œuvre.
Daniel GACOIN
Educateur spécialisé dans un IME, la valeur unique et servant de seul alibi dans mon établissement est: le bien être de l'usager.
On pourrait très bien rapproché cette démarche de celle des pouvoirs publics, la bientraitance.
Ces dernières années, les établissements du médico-social se sont vus assaillis par les accusations, plus ou moins voilées des organismes de tutelle, de maltraitance.
Bien évidemment, ces établissements ont très mal vécu ces attaques.Vos propos sur la valeur m'apparaissent comme teintés du doute qui a prévalu dans cette période.En conséquence, le milieu s'est recroquevillé et a paré au plus pressé en exhibant sa bonne foi: par exemple, la valeur "bien être"...
Les difficultés rencontrées par nos étabblissements pour définir une ou des valeurs sont symptomatiques du manque d'analyse des pratiques professionnelles et de leur sens.Il me semble qu'il faudrait rattaché cela à la façon dont ces mêmes établissements ont géré les conséquences de la loi 2002.2. Très peu ont abordé la loi comme un plus leur permettant d'avancer vers une plus grande profssionnalisation et une analyse plus fine de leurs missions.
Mais, il se peut que le peu de sens que contient la loi 2005 (scolarisation généralisée des handicapés)soit pour quelque chose dans ces doutes du médico-social...
Rédigé par : Denis PERIGNON | 12 juillet 2007 à 17:35