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Les attentes sur l’évaluation externe …
J’ai souvent évoqué ici la future évaluation des établissements et services sociaux :
- Un processus nouveau posé par la loi comme une contrainte, mais qu’il est nécessaire de penser, sous certaines réserves, comme une opportunité,
- Une démarche qui constitue une évolution majeure, dans l’esprit (même si les acteurs des structures disent avoir toujours évalué, tout cela est de l’illusion), dans la lettre (contenus et méthodes apparaissent, constituant de nouveaux horizons de rationalité, et de construction d’une éthique du doute, d’interrogation rigoureuse des pratiques).
- Une pratique à promouvoir dans des approches reliant éthique, développement humain, et organisation à des repères fondés, affirmés et opérationnels. Ceci devrait permettre de mettre de côté des approches uniquement centrées sur des référentiels clés en main, sur des notations jugeantes sans élaboration ou mise en mouvement.
- Une démarche à comprendre dans sa dimension systémique : un projet de chaque structure revu tous les 5 ans, couplé avec une évaluation interne tous les 5 ans et une l’évaluation externe tous les 7 ans. L’ensemble, articulé, permet de formuler des axes de progrès, repris dans les projets, révisés régulièrement.
- Une démarche nouvelle pour laquelle il me semble difficile de prendre le prétexte de dérives (venant parfois de cabinets experts, ou de responsables administratifs ou dirigeants, ou de professionnels) pour caricaturer les dynamiques à promouvoir.
Finalités, méthodes et approches ont été balisées pour l’évaluation interne en septembre 2006 par le Conseil National de l’Evaluation Sociale et Médico-Sociale (voir mon billet du 9 octobre 2006 sur le guide de l’évaluation interne du CNESMS). Nous étions dans l’inconnu pour l’évaluation externe, malgré la mise en place de l’ANESM (Agence Nationale de l’Evaluation et de la qualité dans les Etablissements et services Sociaux et Médico-sociaux) en mars 2007 et alors qu’une date butoir (3 janvier 2010) était affirmée pour sa réalisation. Dès décembre 2006, j’indiquais ici que la situation pouvait tourner à l’absurde.
…et l’arrivée du décret du 15 mars 2007
Est arrivé, comme cela a été présenté dans la presse spécialisée, le décret du 15 mai 2007, voulant préciser un cahier des charges pour l’évaluation externe. Il est important de préciser que son contenu, travaillé par l’ancien CNESMS, était connu des initiés puisque nous en avions eu copie au moment de son passage pour avis au Comité national de l’organisation sanitaire et sociale (CNOSS), le 26 avril. L’impatience était importante chez les cabinets ou consultants indépendants, brûlant d’utiliser ce marché, l’attentisme étant plus courant dans les établissements et services.
… avec des contenus forts
D’emblée, chacun notera les précisions et définitions importantes posées dans ce décret:
- La commande : il rappelle que chaque établissement est tenu de faire appel à un organisme ou professionnel habilité par l’ANESM, dans une procédure ouverte et concurrentielle, pour faire réaliser une évaluation : appréciation « dans une logique d’intervention et d’aide à la décision », mais pas un contrôle ou une certification. L’organisme évaluateur devra être « indépendant » de la structure qu’il évalue (aucun intérêt financier direct ou indirect dans l’année qui précède). Et l’établissement ou service finance l’intervention de l’évaluateur, après une contractualisation détaillée dans le décret.
- Les évaluateurs devront avoir des compétences effectives pour ces missions : expérience professionnelle dans le champ social ou médico-social (ceci éloigne le spectre d’évaluateurs venus d’autres univers, dont le sanitaire strict), formation aux méthodes évaluatives, connaissances actualisées dans le domaine de l’action sociale et des bonnes pratiques, capacité d’adaptation à la diversité des problématiques (pas une seule vision, ni une approche réduite à un seul champ).
- La méthode des évaluations externes comprend un ensemble articulé : recueil d’informations, observations, audition des professionnels (l’ensemble), interrogation des mises en œuvre et des effets ou impacts, analyse des systèmes complexes et interrelations de facteurs, élaboration de préconisations hiérarchisées, formalisation (l’écrit final est décrit de manière détaillée).
- Les contenus à évaluer sont explicités : une appréciation globale, l’examen des suites données aux résultats de l’évaluation interne, l’examen de certaines problématiques. Sur le dernier point, 15 thèmes sont déclinés : autour de l’usager et de son projet (évaluation, personnalisation, projets personnalisés, accès aux droits, participation), sur l’organisation (adaptabilité, prise en compte de bonnes pratiques, gestions des risques, cohérence/continuité, respect des réglementations, mobilisation des professionnels, dispositifs autour de la fatigue professionnelle, mise en œuvre des missions), sur la dynamique territoriale (perception externe, coopérations interinstitutionnelles, inscription dans l’environnement).
… mais peu de surprises
La production de ces contenus indique le caractère précis de la démarche souhaitée (effectivité des réalisations, étude des impacts) et peut constituer une nouveauté pour ceux qui pratiquent peu l’évaluation des établissements et services. Pour tous ceux qui oeuvrent déjà dans l’évaluation interne (c’est mon cas, au titre d’accompagnateur ou formateur depuis plusieurs années), ces contenus sont peu surprenants et relativement limités (surtout si on compare avec la liste de contenus de l’évaluation interne : cf. Guide du CNESMS). A quelques exceptions près (les 15 thèmes), ce cahier des charges apporte peu de précisions, peu d’informations nouvelles. Il confirme, sans approfondir véritablement. On est loin du cahier des charges nécessaire.
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Des points non résolus
Ces limites sont liées au contexte de l’élaboration du document : il est une production du CNESMS, pas de l’ANESM. Le CNESMS a voulu baliser une approche, éventuellement pour éviter une appréhension future différente de l’ANESM, l’identité de vue n’étant pas totale entre les porteurs/responsables des 2 structures.
Les manques concernent la manière avec laquelle les organismes seront habilités, de même que la précision de l’indépendance des organismes (quid des CREAI ? des fédérations ? etc…) et les financements. Je crains ainsi que le décret n’ait pas suffisamment éclairé et éventuellement découragé les intervenants, créatifs certes, mais sans compétence ni appréhension du sujet. L’idée du marché juteux est encore prédominante par rapport au sérieux à promouvoir. La question du coût, des normes de jours d’intervention, est encore à éclairer pour éviter les dérives.
… et les questions à éclaircir
J’engage les pouvoirs publics, comme l’a formulé l’UNIOPSS (Union Nationale Interfédérale des Œuvres Privées Sanitaires et Sociales) dans son communiqué du 15 mai, à revoir la copie de l’évaluation externe, à éclairer la question des financements et des délais. La réalisation d’évaluations externes, sur les bases actuelles (avant le 3 janvier 2010, avec l’actuel cahier des charges, sans clarté sur le financement, moins d’un an après la date butoir de l’évaluation interne, le 3 janvier 2009), est irréalisable et dangereuse. L’UNIOPSS propose de reporter les dates butoirs : pour l’évaluation interne au plus tard le 3 janvier 2010, pour l’évaluation externe entre 2013 et fin 2015. Cette proposition est trop extrême, et dissocie d’emblée évaluation interne et évaluation externe. Or c’est dès le départ qu’il convient de poser cette association dynamique. Je propose pour ma part de ne rien changer pour l’évaluation interne (début 2009), mais de décaler à début 2011 la date butoir de l’évaluation externe. Et j’y associe 2 conditions : d’avantage d’exigence et de contrôle à l’égard des futurs évaluateurs, clarté sur le financement.
Daniel GACOIN
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