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Les enjeux des organisations…
En parallèle à la nécessaire souplesse et adaptation de la société française au monde d’aujourd’hui, la conduite des organisations publiques et privées est fortement questionnée. Souvent appelée gouvernance, elle suppose des modèles managériaux qui, s’ils ne sont pas nouveaux, semblent remplacer toute réflexion sur les politiques proprement dites : les idées directrices s’effaceraient devant les modes de conduites, au point que des méthodes managériales seraient prédominantes sur les orientations qu’elles servent.
- Néanmoins, les organisations privées, au-delà du repositionnement économique (rééquilibrage des impératifs financiers, dans les nouvelles formes de capitalisme, aux impératifs économiques et sociaux), sont confrontées à une réelle problématique. L’enjeu du changement dans la gouvernance d’entreprise concerne des stratégies de dialogue, du haut jusqu’en bas de l’échelle, permettant à tous les acteurs d’une entreprise d’être associé à la réussite économique et sociale, d’être réellement des « parties prenantes ».
- Pour les organisations publiques (ou privées associées au service public), l’enjeu du changement de la gouvernance concerne un management post-bureaucratique modernisant les conditions structurelles de conduite par objectifs, résultats, qualité. Tout un programme si les impératifs de qualité sont soutenus par une démarche volontariste et ouverte, et non la seule application de consignes ou procédures.
… et l’évaluation de la qualité et de la performance
Dans ce contexte, il convient d’apprécier un ouvrage édité en novembre 2006 par la Documentation Française : « Evaluer la qualité et la performance publiques ». Il est rédigé par l’association France Qualité Publique (regroupant des représentants des ministères, collectivités publiques, associations d’usagers et syndicats) ayant l’ambition d’être un observatoire partenarial de la Qualité Publique. Le groupe de travail associé à l’écriture de ce véritable guide comporte des acteurs divers, dont Jean-Marc Dutrenit, du Réseau Qualité Sociale, qui a été un des premiers à explorer les méthodes et démarches qualité dans le champ social et médico-social. La philosophie est présentée d’emblée : « il n’y a pas de progrès sans évaluation », « la qualité publique est une exigence démocratique ».
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La justification d’une pratique à généraliser …
Pour les auteurs, la qualité et le pilotage de la performance sont au cœur de la réforme de l’Etat, ce dernier concernant aujourd’hui des institutions très diverses. Il existe 10 raisons majeures de développer l’évaluation dans les structures publiques, est-il affirmé :
- Décider sur des éléments plus objectifs,
- Donner confiance et acquérir de la légitimité,
- Permettre la comparaison pour progresser,
- Construire un diagnostic partagé,
- Identifier les besoins et services devant ou non relever de l’intérêt général,
- Prendre des risques maîtrisés,
- Définir, contractualiser et suivre la qualité et la performance,
- Développer une dynamique d’amélioration continue,
- Rendre compte, valoriser les résultats et les performances,
- Réduire les gaspillages.
Dans cette optique, la LOLF (loi organique pour les lois de finances), adoptée par le Gouvernement Jospin et qui entre dans sa première année pleine de mise en œuvre en 2007, est présentée comme un outil majeur : elle permet de segmenter les missions, programmes et actions en développant des indicateurs dont au moins un tiers est orienté vers la qualité. Elle permet en outre, à partir de l’examen de la Cour des comptes chaque année, de formaliser les objectifs ultérieurs.
… et la déclinaison dans une méthode
La méthode présentée s’appuie sur la définition des objectifs, l’association des acteurs, l’adaptation des moyens, la mise en œuvre de l’amélioration (au minimum 3 actions à l’issue d’une évaluation), la communication des résultats. 4 vecteurs sont possibles :
- La comparaison causes-effets,
- Le contrôle de gestion, centré sur l’efficacité,
- L’analyse de la cohérence et des effets directs et indirects d’une action publique,
- La construction d’un cycle de l’amélioration continue de la qualité.
L’ouvrage reste classique dans son approche. Mais il confirme combien, pour le secteur social et médico-social, les stratégies actuelles en sont encore aux balbutiements, notamment dans les constructions de l’évaluation : des missions et projets, de la place de chacun, du service rendu, de l’organisation, de l’inscription dans une dynamique territoriale. Ainsi certains services (insertion, formation) auprès de populations en difficulté sont évalués uniquement au regard du service rendu, alors que d’autres (le médico-social) sont évalués sur la qualité des processus (l’amélioration continue de la qualité).
… avec une présentation très riche et complète d’un panel d’outils mobilisables
L’ouvrage a le mérite de faire une présentation exhaustive (une vraie mine d’idées) de 23 outils pour identifier et évaluer la qualité :
- Les premiers outils s’attachent à la comparaison entre « qualité attendue » et « qualité perçue » (analyse des réclamations, identification des usages, groupes d’écoute, mesure de satisfaction, mesure d’accessibilité, prospective)
- Les seconds types d’outils permettent d’évaluer la « qualité servie » : différents types d’enquêtes, indicateurs de performance, évaluation de processus, ou des pratiques, accessibilité administrative, mesures des risques, suivis et tableaux de bord, mesures des impacts, audit et autoévaluation, notamment pour le secteur médico-social, analyse comparative, évaluation des coûts de l’absence de qualité.
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Les enseignements que je tire de l’ouvrage
L’évaluation, la mesure de la performance restent des mots qui fâchent dans le secteur social et médico-social : on y verra d’un côté la codification, de l’autre des possibles sanctions, ailleurs une démarche de progrès. Je plaide pour l’utilisation de ces démarches comme espace de débat, de progrès partagé et d’association de tous au bien commun. Ceci suppose que les acteurs s’emparent de ces vecteurs et entrent dans une action dynamique, ils auront tout à y gagner, pour revendiquer la performance et la qualité réelles, en sortant des fantasmes et des mécanismes de défense-attaque sans fondements rationnels.
Les outils proposés ne sont pas tous transposables, ils indiquent pourtant combien il est possible d’innover en évaluation (notamment de sortir du dispositif classique : rédaction d’un référentiel, mesure déclarative des réalités, sans recherche de la preuve ou de la qualité perçue) en pensant des modes de mesures plus ouverts. Néanmoins, les obstacles à cette innovation peuvent être culturels (mise à distance, répétition de process, résistances) ou matériels (temps, moyens). Raison de plus pour attirer l’attention des responsables de structures sur une nécessaire appréhension stratégique de l’évaluation. Raison de plus pour plaider, notamment auprès de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), pour développer un fonds spécifique de soutien aux méthodologies innovantes.
Daniel GACOIN
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