.
Un thème adapté aux débats préélectoraux…
Le dossier de la revue Sciences Humaines, de mars avril 2007, « Peut-on changer la société ? », est bien utile, en cette période, pour penser règles du changement et desseins collectifs. 4 thèmes y sont traités :
- Les grands enjeux : dynamiques démocratiques, marges de manœuvre des politiques, développement durable comme problème. À lire notamment l’article de Pierre Rosenvallon sur les démocraties de défiance.
- Les spécificités de la France : cohésion sociale, changement de société et adaptation constitutionnelle de la Ve République, démocratie participative, visages de la précarité, évolutions de l’école, départs plus tardifs à la retraite.
- Les évolutions du monde : mouvements en Chine, Amérique latine et Afrique du monde nouveau, présentés dans un premier texte intitulé « l’histoire n’est pas finie ».
- Les nouvelles utopies : mouvements d’idées alter ou ultra, mais également la transformation « transhumaniste » de l’homme et de son corps.
… qui oblige à poser les enjeux
Le contenu de ce dossier part de la dissociation actuelle du progrès social et du progrès économique, qui nous laisserait à la croisée de chemins : passage du modèle de l’Etat providence (dans une impasse du fait de moyens finis face à une demande potentiellement infinie), à un modèle nouveau d’investissement social. Dans ce cadre, l’Etat qui protège devrait se muer en un Etat qui rend capable, en assumant plusieurs directions :
- Rapporter chaque politique (santé, éducation, logement, emploi, action sociale…) à chaque groupe concerné, à chaque région, afin de rapprocher les chances de chaque citoyen,
- Rendre visibles et concrètes les politiques publiques,
- Promouvoir le civisme pour orienter chacun dans le souci de l’avenir de la société à laquelle il appartient, au lieu qu’il attende de celle-ci la seule protection de son existence séparée. La « cohésion sociale » est ainsi l’appui de valeurs partagées et d’un discours commun, la réduction des écarts de richesses et de revenus, le développement de la participation en faisant partie de la collectivité / entreprise commune.
… particulièrement actuels, y compris au niveau européen
Hasard ? Un numéro de janvier de la revue Etudes et résultats (DRESS, l’organisme de recherche des ministères sociaux) présentait ce même thème autour des « indicateurs européens de cohésion sociale ». La « cohésion sociale » est en effet devenue le 3ème pilier de la stratégie de l’Union Européenne, adoptée au sommet de Lisbonne (les 2 autres piliers étant la croissance économique et l’amélioration quantitative et qualitative de l’emploi) pour aider à changer la société. L’UE a prévu une méthode pour favoriser coopération et convergences dans des domaines où les Etats continuent d’exercer leurs prérogatives. Cette « méthode ouverte de coordination » comprend 4 étapes : échanges d’expériences et formulation d’objectifs, mesure des progrès avec indicateurs, formulation tous les 3 ans de stratégies par pays, synthèse et recommandations par la Commission. Pour la cohésion sociale et ses applications (inclusion sociale, pensions, attractivité de l’emploi, soins de santé), elle va soutenir 3 objectifs :
- La promotion de la cohésion et de l’égalité des chances par des systèmes et politiques adaptés, pertinents, fiables, accessibles.
- L’interaction pour renforcer la croissance et l’emploi, avec un accent sur le développement durable
- L’amélioration de la gouvernance, de la transparence et de la participation des parties intéressées à ces politiques (conception, exécution, suivi).
Il est intéressant de noter une relative analogie entre ces objectifs et les directions proposées dans le dossier de Sciences Humaines, même si dans les 2 textes, contenus et propositions sont davantage incantatoires que précis.
.
Un thème qui nécessite de savoir de quoi on parle …
Les deux textes font l’impasse sur une définition précise du concept de « cohésion sociale », définition pourtant utile si l’on veut en faire un vecteur de changement.
- Durkheim, analysant la solidarité organique moderne (des hommes allant vers la différenciation, à condition qu’ils aient conscience de faire partie d’un tout) rattachait la cohésion sociale à la conscience collective (valeurs, interdits et impératifs). D’autres insistent sur le lien social (« vivre ensemble », « actions réciproques ») ou les représentations collectives « d’ancrage et de cohérence ». Pour la sociologie, la « cohésion sociale » c’est donc 2 axes : solidarité d’une part, conscience collective/ordre social d’autre part.
- Les travaux de l’ex-Commissariat au Plan (1993, « Cohésion sociale et prévention de l’exclusion ») insistaient sur le lien entre mécanismes de solidarité et structuration des liens sociaux, tant au niveau social global que de proximité, notamment à travers des réseaux et la participation/implication des personnes exclues.
La « cohésion sociale » est ainsi un concept hybride, générant des orientations multiples, voire l’indétermination. Reste que le concept est largement utilisé depuis 20 ans et peut être un vecteur de changement dans la société par ses 5 directions :
- L’appartenance : partage de valeurs et sentiment de faire partie d’une même communauté (avec ses règles).
- L’insertion : partage de l’utilisation économique, notamment du marché du travail, par correction des inégalités (c’est ici qu’interviendront les actions d’accès à l’emploi ou d’inclusion sociale)
- La participation : implication dans la gestion des affaires publiques et la vie sociale.
- La reconnaissance : pluralisme et tolérance à l’égard des différences.
- La légitimité : institutions publiques et privées médiatrices des conflits.
… et de comprendre ses déclinaisons au niveau européen
L’article d’Etudes et Résultats sur la cohésion sociale présente des indicateurs de convergence / changement en cohésion sociale, transversaux aux 25 pays adhérents de l’UE en 2006 :
- Pour la lutte contre la pauvreté et les inégalités financières, 3 indicateurs : taux de pauvreté monétaire, intensité de la pauvreté, inégalités des niveaux de vie. La France reste proche de la moyenne de l’UE (13 % des ménages au niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian, un rapport de 3,5 entre le niveau de revenus des 20 % les plus faibles et les 20 % les plus élevés), sans être en situation trop positive,
- Pour les situations défavorisées particulièrement représentatives, 4 indicateurs : état de santé dont espérance de vie, niveaux d’études, nombre de ménages sans membre ayant un emploi, nombre de personnes ayant un emploi et au niveau de vie inférieur au sein de pauvreté. Sur tous les points, la France est proche de la moyenne de l’UE.
- Pour les situations de protection sociale et de pensions, 2 indicateurs : niveau des pensions de retraites, taux d’emploi des personnes de 55 à 64 ans. La France présente le paradoxe de niveaux de retraite élevés, et d’un taux d’emploi des 55/64 ans inférieur à la moyenne européenne,
- Pour l’accès aux soins, 1 indicateur : taux de renoncement aux soins, en fonction des revenus (pas de statistiques probantes à ce stade).
- Pour des thèmes transversaux, 3 indicateurs : disparités régionales dans les taux d’emploi, proportion de personnes en emploi (en % de la population d’âge actif), projection du poids des dépenses sociales liées à la structure de la population à l’horizon 2050. On notera une France sans performance, dans la moyenne européenne.
… pour formuler des objectifs expérimentaux
Les deux articles montrent la difficulté du concept de cohésion sociale, par ses nombreuses portes d’entrée. Du côté du principe de solidarité ou d’égalité sociale, les réalités sont faciles à constater, difficiles à corriger. Du côté de la participation à une communauté, les réalités ne sont pas évaluées, les stratégies ne sont pas formulées. L’ensemble montre l’insuffisance des stratégies : au-delà des mots d’ordre, quelles politiques pertinentes, compréhensibles, efficientes et communiquées ? Je prends l’exemple de la participation : des stratégies (gouvernance/participation) sont possibles, tant à un niveau local que global. Pourquoi ne pas les formuler ? Pourquoi ne pas les mesurer ? L’exemple du secteur social et médico-social est de ce point de vue un bon exemple : il a montré que la participation des usagers, largement communiquée, a participé, au-delà des droits,à la construction d’une politique attractive, suscitant l’implication réelle des personnes aux conceptions, aux décisions, aux applications, aux évaluations.
La recherche d’une alternative (changement dans les positionnements des acteurs pour éviter le consumérisme social et sociétal) à travers des objectifs expériementaux et lisibles, connus de tous, sera la source du changement pour chacun et pour tous, du changement pour la société.
Daniel GACOIN
Commentaires