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Le regard d’une revue spécialisée
Le magazine Direction(s) a installé depuis 4 ans sa place dans l’action sociale et médico-sociale : diffusion régulière, contenus de qualité, informations nombreuses, reliant pratique managériale des directeurs d’organisations sociales et médico-sociales et outils/réflexions juridiques, politiques, éthiques et techniques. Je conseille à toute personne voulant prendre des responsabilités dans l’action sociale et médico-sociale de lire ce mensuel devenu incontournable. Lors de la remise de ses 2èmes Trophées en novembre 2006, le magazine a publié le résultat d’un sondage, réalisé par KPMG auprès d’un panel de 300 directeurs, sur « l’encadrement intermédiaire » dans l’action sociale et médico-sociale, relatif donc aux cadres hiérarchiques animant et conduisant de petites unités d’action sociale intégrées à des dispositifs plus larges (établissements par exemple) dont ils ne sont pas dirigeants.
… sur un thème complexe
D’emblée, le thème interpelle puisque l’usage du mot « encadrement intermédiaire » avait perdu de son acuité ces dernières années. En effet, les conceptions successives de ce type de poste avaient donné lieu à une progression dans les termes. Des mots initiaux (« éducateur chef » ou « assistante sociale chef ») des années 60 avec leur évolution des années 70 (« chef de service » ou « cadre socio-éducatif »…), l’usage avait promu le terme ambigu de « cadre intermédiaire » dans les années 80-90, puis celui de « cadre de proximité » à la fin des années 90. Ce dernier terme insistait sur la place effective des cadres concernés dans les instances de direction (des relais/représentants de direction proche du terrain), par opposition au « cadre intermédiaire » (ni du côté des acteurs professionnels de terrain, ni de la direction). Néanmoins, il est utile de rappeler que, depuis 2 ans, l’officialisation d’une formation/qualification (le CAFERUIS) a mis en avant une nouvelle désignation : celle de « responsable d’unité d’intervention sociale ».
… traduit dans des données chiffrées
Le sondage publié par Direction(s) donne l’image des changements en cours. Selon ce sondage, le point de vue des directeurs sur les « cadres intermédiaires » indique que :
- 62 % doivent posséder un diplôme spécialisé en travail social : chiffre éloquent… Il y a 20 ans, l’accès à la fonction de cadre intermédiaire était, pour le secteur social et médico-social, à 100 % lié à l’expérience et à un diplôme de travail social (était un bon cadre celui qui était surtout un bon, voire un super professionnel).
- Au moins 68 % font partie de l’équipe de direction. Là aussi, le chiffre est important puisqu’il y a 20 ans, les proportions étaient inverses, le « cadre intermédiaire » était situé entre le marteau et l’enclume, ni professionnel, ni membre de l’équipe de direction. Être membre de l’équipe de direction : une clarification certes, une valorisation surtout, une nouvelle contrainte évidemment.
- La majorité se voit attribuer des responsabilités stratégiques : en phase avec le positionnement (membre d’équipe de direction), 78 % reçoivent des délégations pour représenter l’établissement en interne, 66 % pour conduire des projets stratégiques, 61 % pour représenter l’établissement à l’externe. Par contre, les délégations stratégiques sont minoritaires pour les recrutements et licenciements (38 %), la signature des chèques et virements (31 %), la relation avec les représentants du personnel (26 %), les signatures de contrats (26 %) ou les négociations avec les autorités de tarification (18 %).
- La majorité se voit associée effectivement aux décisions stratégiques de l’établissement : 71 % participent aux décisions de recrutement, 71 % à la gestion des ressources humaines, 71 % à la représentation extérieure, 59 % aux instances internes (AG ou CA, séminaires de direction), 50 % à l’élaboration du budget. Par contre, les décisions budgétaires et financières, négociations avec les autorités de contrôle et réunions extérieures restent une réalité minoritaire. Les directeurs interrogés pensent à 71 % que les domaines d’intervention des cadres intermédiaires, en termes d’autonomie et de responsabilité, vont continuer à s’étendre.
- La majorité est positionnée dans des compétences humaines : 85 % doivent posséder des compétences relationnelles, 84 % des compétences pour animer le travail en équipe, 78 % des compétences managériales, et 77 % des compétences techniques.
- 75 % seraient suffisamment formés pour exercer leur fonction : pourtant, ce chiffre est pondéré par la mention des domaines où des améliorations de compétences sont largement citées (démarche qualité, management, évaluation, juridique, nouvelles technologies).
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Elargir la question…
Ce sondage est à relativiser : des points de vue de directeurs, non de « cadres intermédiaires ». Il illustre pourtant un paradoxe pour ce type de cadres, peu explicite dans le sondage présenté. Présentés en effet comme les vecteurs de la conduite du changement, ils sont encore souvent des animateurs/exécutants, plus que des concepteurs de ce changement. Intégrés aux équipes de direction certes, leur responsabilité d’un (et de) projet(s) reste encore trop centrée sur la mise en œuvre. Également, ils sont souvent les principales victimes des insécurités du changement. J’ai évoqué dans mon dernier livre 4 exemples de ces processus :
- La confrontation à des professionnels parfois « propriétaires de leur poste » : sûrs de leur technique, d’une niche au sein de l’organisation, ces derniers s’inscrivent dans des biais de satisfaction et zones de repli, refusant la conduite par un cadre tant par défiance que par des demandes d’intervention protectrice certes, mais instrumentalisée. « Ce n’est plus le subordonné qui dépend du chef, mais l’inverse ! En somme, c’est lui qui aurait besoin d’être protégé. », disait F. Dupuy dans son livre « La fatigue des élites » (Seuil 2005)
- L’application de l’ARTT : la réglementation a suscité un émiettement des interventions, obligeant les cadres intermédiaires à compenser les manques, avec parfois des acteurs exigeant toujours plus de compensation, demandant en outre que leur responsabilité soit respectée. On peut aboutir parfois, sur le terrain, à un « harcèlement inversé » : cadre stressé, sans cesse sollicité de manière pressante… parant les manques de toute part, en n’ayant ni le temps ni les moyens pour son rôle d’animation de démarches ou de construction de garanties (on n'hésitera pas d'ailleurs à lui renvoyer ses insuffisances).
- L’impact de la qualité : si la conduite de projet est un critère de leur compétence, ils s’inscrivent aussi dans la garantie de la qualité, avec des mécaniques complexes (démarches qualité, évaluation). Si l’objectif est compris, les méthodes sont souvent plus difficiles, générant malentendus et quiproquos, et surtout une énorme « chronophagie ».
- Les modes managériales : les disciplines du management ont été reçues parfois, non comme des clés de lecture, mais comme des modèles de méthodes et positionnements, évoluant au rythme de leur diffusion. Cela crée parfois des ravages quand il ne s’agit que d’application de recettes, alors même que l’essence de la position, le sens sont oubliés, ou que les cadres doivent évoluer face à des injonctions de telle ou telle méthode nouvelle présentée, pour un temps, comme fondamentale.
Le paradoxe s’aggrave quand les cadres de proximité sont sollicités sur de multiples champs, voire des multiples sites, perdant ainsi leur proximité du terrain, précisément. Comme les directeurs, engagés sur plusieurs fronts, ils parent alors au plus pressé et finalement, passent plus qu’ils ne conduisent.
… pour promouvoir une approche globale
Les « cadres de proximité » méritent à mon sens d’être « intermédiaires », non par leur position dans les organisations, mais parce qu’ils relaient la transition du secteur social et médico-social, étant « intermédiaires entre un avant et un après » : l’avant centré sur le métier, la professionnalité, la hiérarchisation et la faible responsabilité des professionnels, l’après centré sur la réponse aux besoins, formulés par l’usager lui-même, sur l’autonomie des professionnels et leur incitation aux projets et apprentissages collectifs. En situation de responsabilité, avec autonomie et initiative, ils devront porter de manière solidaire le projet stratégique de la direction (anticipation, décision, modalité de construction, garantie et contrôle). Mais ils devront surtout maintenir, selon moi, le principal ingrédient du management des hommes : « le sens et la vision traduits dans une réalité d’écoute et d’humanisme ». Le reste ne serait que littérature.
Daniel GACOIN
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