.
La transformation de l’action sociale …
J’évoque souvent le contexte de mutation que traversent les organisations sociales et médico-sociales (OSMS) : évolution des politiques publiques, transformation interne agie par les acteurs des organisations par touches successives, expérimentations, progressions sédimentaires, ensemble de contraintes mais aussi d’opportunités. Les professionnels peuvent encore parfois choisir de les refuser, voire les dénoncer, ou encore de les mettre à distance, ou enfin de les utiliser comme perspective (projets possibles, sens à développer, compatibilité à rechercher entre influences externes et culture interne).
… et les limites internes
Le fait de prendre sa place dans les évolutions suppose que les OSMS soient animées comme des organismes dirigés et apprenants avec une transformation des modes de management, singulièrement pour les cadres de proximité. Une limite concerne le quantité de cadres susceptibles d’impulser ces dynamiques, simplement même pour des raisons démographiques. En effet, 40 % des 25 à 30 000 cadres du secteur social et médico-social, recrutés lors des années 60-70 à l’époque du développement et de la construction du travail social (ces cadres ont d’abord été, dans leur immense majorité, des travailleurs sociaux) sont, depuis 2002-2003 et jusqu’en 2010, en train de partir à la retraite. Et bien sûr, le volume des remplaçants potentiels n’est pas à la hauteur des besoins.
… et la promotion de rôles transversaux non-hiérarchiques
Les conséquences sont multiples : cadres gérant plusieurs dispositifs et n’ayant pas le temps d’être présents dans la proximité, arrivée possible de cadres venant d’autres secteurs, promotion de rôles de coordination ou transversaux confiés, au sein des organisations, à des salariés non cadres. J’examine cette dernière conséquence avec intérêt (c’est une opportunité), même si je constate que mon point de vue n’est pas toujours partagé.
.
L’exemple du changement : référents des projets personnalisés…
Au sein des établissements sociaux et médico-sociaux, une de ces fonctions transversales est celle de « référent de projet individualisé » ou « de projet d’accompagnement personnalisé » pour reprendre les dernières conceptions. L’évolution est nette : autrefois engagé dans une relation forte avec les usagers concernés, le référent est davantage conduit à une fonction institutionnelle (coordination et conduite de projet).
… avec l’évolution des concepts
Le chemin parcouru dans les conceptions est important, surtout si l’on songe aux repères originels. Le référent, essentiellement éducateur, naît dans les centres d’observation d’après-guerre (lieux d’accueil de jeunes en voie de marginalisation, conçus comme des lieux d’orientation), avec une fonction centrale : accueil, proximité et vie avec le jeune, responsabilité dans l’orientation finale. Il est à la fois engagé dans la relation et décideur. L’accueil familial est le deuxième champ de développement : on parle de référent affectif, comme tuteur parentifié. On trouvera évidemment des déclinaisons diverses : le(a) référent(e) de la pédagogie Loczy en Petite enfance (tuteur affectif stable, avec la ritualisation, comme « le tour de rôle », qu’il suppose), le référent dans les groupes de vie (y compris le modèle parental masculin-féminin des couples éducatifs), etc… Ceci générera, dans les années 70-80, le terme de « référent de proximité ». Dans les établissements sociaux et médico-sociaux, ce professionnel désigné (souvent après de nombreuses heures de débat) assumait :
- Soit une fonction psychoaffective et relationnelle d’aide au cheminement de l’usager concerné. Ceci supposait un travail fort de réflexion sur soi-même, pour prendre en compte et discerner les processus relationnels à l’œuvre. La pratique comportait ses travers : appropriation, dépendance. Je caricature souvent ce modèle affectif-électif en parlant non de référent, mais de « préférent »,
- Soit une fonction pratique centralisant toutes les actions d’accompagnement ou résolutions concrètes de la vie de l’usager. Le référent était celui, notamment en internat, qui « faisait tout ». Un accompagnement était nécessaire, au référent de l’assurer, une décision s’imposait, encore le référent, de l’argent de dépannage ou de poche était à donner, toujours le référent. Les travers étaient évidents : appropriation, déresponsabilisation des autres professionnels, non réponse parfois.
Le Guide de l’Education spécialisée de G. Dréano (Dunod) présente les deux modèles d’aujourd’hui : le « référent de projet » (assurant une position de fil rouge auprès de la personne concernée, lui donnant du temps, notamment par des entretiens, pour l’aider à s’approprier « son » projet), le « coordinateur de projet » (assurant l’articulation des actions et de l’information, ou un rôle parfois de vigie auprès de l’équipe pluridisciplinaire engagée).
… comme nouvelle modalité de travail
La transformation est importante : d’une fonction relationnelle, laissant parfois le professionnel et l’usager concerné dans une proximité / dépendance peu régulée, on aboutit à une fonction plus lisible et centrée sur « le projet » de la personne avec appropriation / implication dans le processus. Les uns diront que l’on aura perdu le vecteur relationnel, principal axe d’émergence du positionnement comme « sujet » de la personne accompagnée, les autres avanceront qu’il aura gagné une place « d’acteur-décideur de son accompagnement ». On verra surtout de nouveaux modes de travail et outils se développer : temps d’écoute et d’aide à l’expression certes, mais aussi formalisation importante (écrits, dossiers). La nouvelle génération de travailleurs sociaux est à l’aise dans la formalisation, l’ancienne revendique d’abord une compétence dans le soutien de l’expression (est-ce si exact ?).
… comme perspective de transformation
Cette transformation porte une perspective essentielle : ce n’est pas le rôle professionnel et son action qui sont primordiaux dans les nouvelles pratiques, c’est la finalité du projet et le changement qu’il apporte qui deviennent prédominants. « L’offre » s’efface au profit de la « réponse aux besoins », la logique de service met au cœur du processus le changement de l’interaction professionnel / usager.
.
Nouvelles fonctions, nouvelles compétences…
Mais surtout, c’est la progression d’un rôle institutionnel qui m’intéresse. Elle met les référents en position d’animer, d’apporter des informations, de développer une régulation, d’être des personnes ressources. Une part de la fonction managériale (participer, impliquer, motiver, apporter ou soutenir la compétence et l’adaptation de chacun à la logique de service) sera à l’œuvre, même si le référent ne peut revendiquer le rôle de garant / décideur institutionnel des projets d’accompagnement personnalisés (qui reste le rôle du dirigeant de la structure). Elle entraînera une évolution des compétences et donc des formations : lier fonction technique et engagement institutionnel, apprendre à animer, mettre en place des suivis d’actions, des échéanciers et des supports.
Cela permettra à chacun de s’associer à l’esthétique des fonctions institutionnelles, de porter les engagements de la structure, de changer d’état d’esprit dans la responsabilité, notamment en passant d’une position de retrait (« responsable de rien, victime de tout »), si facile parfois, à une position de devoir.
Daniel GACOIN
Commentaires