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La fascination nouvelle pour l’évaluation…
Les établissements et services sociaux et médico-sociaux ont bien enregistré la nouvelle (voir mon billet du 20 décembre 2006) concernant les dates butoirs nouvelles pour l’évaluation interne et externe. Et de fait, ce qui se développait déjà en 2005, qui s’est amplifié en 2006, se généralise en ce début d’année. Chaque structure se met en ordre de marche pour la réalisation de son évaluation interne, en ayant pris en compte les éléments formulés par les autorités publiques ou par le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale. Au point que l’horizon de conduite des structures paraît presque exclusivement construit autour de cette perspective. L’avancée est intéressante, puisque susceptible de favoriser la mobilisation des professionnels, les conduites stratégiques des structures dans un objectif majeur : l’amélioration continue de la qualité.
Néanmoins l’effet de pression pour une réalisation rapide, la fascination forte, et nouvelle, des responsables des organisations sociales et médico-sociales pour cette approche qui, jusqu’ici, ne faisait pas l’objet de démarches structurées, comportent un premier risque sur l’évaluation elle-même : être centré sur une production précise, rapide. On pourra alors oublier l’objectif : la mise en mouvement d’une interrogation critique et la nécessité d’une démarche de progrès et de débat, collective et plurielle, systémique, contradictoire et critique, compréhensible, de projet. Seront favorisées des approches qui s’arrêteront à un regard, critique certes, sur les pratiques, mais développant insuffisamment les constructions collectives des axes de progrès. Seront également privilégiées des adoptions de référentiels tout faits, descriptifs, peu nourris des références et recommandations de bonne pratique propres à chaque structure.
… et le risque d’oublier le fond
Cette fascination risque également d’occulter le premier repère de la qualité, inspirant l’esprit général : le projet d’établissement ou de service. Or, c’est précisément un type de démarches et de repères qui s’était généralisé dans les dernières années, devenant un élément majeur de mobilisation et de changement.
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Les fondements des projets
Les démarches pour concevoir des projets d’établissement ou de service sont originales dans le secteur social et médico-social. Participatives, elles dépassent largement la pratique du projet d’entreprise (mobilisation des technostructures ou dirigeants uniquement) ou du projet de centre hospitalier (essentiellement l’angle des négociations des moyens). On retrouve dans le secteur social et médico-social des approches diverses certes, peu maîtrisées parfois, mais qui répondent à des impératifs articulés (voir les différents ouvrages de P. Lefèvre chez Dunod) :
- Le projet permet de poser une identité et de la voir reconnue,
- Il cherche d’abord à formuler le sens des accompagnements, énonce des valeurs et fondements,
- Il soutient, tant dans son énoncé que dans les démarches engagées pour le formaliser, l’appartenance et le lien entre les acteurs,
- Il est générateur d’une dynamique (avancer vers des axes de progrès) et porte du changement,
- Il permet de formaliser des axes de développement dans une activité,
- Il permet de voir formulées l’expertise et les compétences à mettre en œuvre,
- Il est un outil de motivation et d’implication, dans son élaboration comme sa mise en œuvre,
- Il traduit des engagements,
- Il assure une régulation entre les contraintes et opportunités externes et les développements internes.
La pratique du projet d’établissement est ancienne, même si, dans les années 70 et 80, elle n’était pas générale. Elle est devenue systématique, notamment depuis la loi du 2 janvier 2002. Plus les établissements et services y ont développé une esthétique des démarches, une implication de tous, plus elles auront été productrices de sens et de motivation.
… et leurs développements nouveaux
Ce développement, dans les 10 dernières années, a vu néanmoins une transformation des contenus et finalement des approches.
- Par exemple, les projets ne sont plus une simple addition de points de vue des différents acteurs, mis dans un ensemble. Par exemple, au début des années 90, les projets des IME additionnaient les approches des secteurs éducatif, pédagogique et thérapeutique en s’attachant à un chapeau général les rendant compatibles. De fait aujourd’hui, c’est la conception globale (les orientations de fond sur « la relation de service » pour reprendre les contenus de J-R. Loubat, toujours chez Dunod) qui guide les énoncés avec une forte approche trans ou interdisciplinaire.
- Un autre changement, lié à la loi du 2 janvier 2002, modifie les contenus : un projet ne présente plus uniquement les conceptions et pratiques d’accompagnement, mais également le process, les modes d’organisation et responsabilité, la coopération interne/externe, les places et compétences de chacun.
- Par ailleurs, la loi a introduit la nécessité d’intégrer le point de vue des usagers (au minimum leur avis sur le projet à travers les instances participatives que sont le Conseil de la vie sociale ou les groupes d’expression des usagers).
- Surtout, la loi du 2 janvier 2002, en limitant la validité d’un projet d’établissement à 5 années (le projet doit ainsi être réécrit, à des étapes régulières), a insisté sur une dimension dynamique : des objectifs pour 5 ans. De manière classique aujourd’hui, un projet d’établissement présente, souvent dans un récapitulatif final, les chantiers de travail et objectifs d’évolution pour la période qui suit. Ceci ouvre la porte à une vision systémique de l’usage du projet.
- Les projets sont également une occasion de poser la question de la place d’une structure dans une dynamique territoriale et notamment, sur sa réponse aux besoins retenus dans les schémas territoriaux.
- J’ajoute, qu’aujourd’hui, le projet d’établissement ouvre la porte à une négociation d’un Contrat d’Objectifs et de Moyens avec les autorités publiques, il n’est ainsi pas rare de voir son contenu énoncé à la fin d’un projet.
- Enfin, le projet énonce des objectifs et références de la qualité (des prestations, de l’organisation). Il est donc le point de départ de l’entrée dans l’évaluation. Finalement un couple projet/évaluation est potentiellement la démarche fondamentale à développer, mettant ainsi un point final à la fascination actuelle pour la seule évaluation. C’est parce qu’il y aura un projet fondateur que des références de bonne pratique professionnelle seront utilisées dans les évaluations, c’est aussi dans cette mesure que l’évaluation sera un outil pour développer de nouveaux contenus des projets.
… confirmant les démarches stratégiques
Pour ma part, je considère que les démarches, dans le fond, dans la forme, doivent répondre aux enjeux et fonctions d’un projet d’établissement et finalement de tout projet dans quatre dimensions : le projet est une création, il est un changement, il est une garantie, il est une pratique. C’est pourquoi, je n’oublie pas que les démarches engagées par les dirigeants autour des projets comporteront des dimensions stratégiques nécessaires et finalement un véritable repère : commander la démarche, se positionner sur le fond, associer, animer, garantir.
… sans oublier la perspective de l’innovation
Et je souhaite confirmer l’intérêt principal des projets : ils sont un vecteur de changement, d’invention, de recherche d’innovation.
Gardons-nous donc de ne garder que l’angle de l’évaluation et continuons à promouvoir le couple systémique projet/évaluation, gardons-nous également d’une référence à des contenus uniformes, valables quelle que soit la structure, en entrant avec l’évaluation dans une poursuite d’une démarche de recherche, de progrès, d’organisation apprenante.
Daniel GACOIN
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