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L’occasion offerte par la revue Esprit…
La revue Esprit propose dans son numéro de janvier 2007 un dossier détaillé sur « L’hôpital en mouvement ». L’introduction, bien originale, s’intitule « Silence, on bouge », marquant le désir des auteurs de présenter des évolutions évidentes certes, mais peu perçues par le grand public du fait d’une médiatisation réduite, ayant l’avantage de ne pas générer des résistances internes.
… de présenter le spectre global de l’évolution des hôpitaux
Partant du principe que l’hôpital est « le service public le plus apprécié des français », l’article brosse le portrait général du changement sur 10 ans : chocs exogènes (apparition et disparition de maladies, évolutions sociétales dont les 35 h), mouvements internes. Il prend le pari de donner la parole, non aux professionnels soignants ou usagers, mais aux responsables des structures, ciblant ainsi la réflexion sur des « révolutions en série » :
- Réorganisation des pouvoirs à l’hôpital,
- Nouvelle place des patients,
- Rapport médecine / justice, notamment la plus fréquente mise en cause judiciaire de la responsabilité médicale,
- Crise de la démographie médicale et son illusion : on croit à une crise de démographie, alors qu’il s’agit d’une crise de répartition,
- Avenir de la recherche médicale à l’hôpital et les modifications, notamment le développement des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), destinées à développer, évaluer, professionnaliser et valoriser cette dernière dans les hôpitaux,
- Qualité des soins et gestion des risques, notamment la progression des démarches qualité, bien au-delà du principe de l’accréditation, qui vient promouvoir des bonnes pratiques professionnelles à partir d’une connaissance actualisée du niveau de preuve de l’efficacité de tout acte (evidence-based medecine),
- Accès aux soins, notamment d’urgence, dans une logique territoriale,
- Questionnements éthiques, notamment pour l’accompagnement de la dépendance du grand âge ou des situations de fin de vie.
… et de faire le lien avec le secteur social et médico-social
Les analogies entre ces évolutions du monde hospitalier et celles du secteur social et médico-social sont nombreuses. On trouvera un contexte général (pilotage, planification), l’axe de la qualité (et de sa preuve), un nécessaire management stratégique (intégrant la participation des professionnels et usagers), des questionnements éthiques (notamment à l’égard de situations de vie chargées de sens et de douleur), l’interrogation sur l’innovation et la recherche, les risques (en particulier judiciaires). Malgré les différences, le parallèle est troublant.
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La « gouvernance hospitalière » comme nouvel horizon…
Le thème de la conduite des changements et de la direction des structures m’aura le plus mobilisé. La revue présente en effet la nouvelle organisation des pouvoirs à l’hôpital, dans la mise en œuvre du Plan Hôpital 2007, et notamment sa traduction dans une ordonnance de 2005 sur la « nouvelle gouvernance hospitalière ». La volonté première des pouvoirs publics : poursuivre un mouvement général faisant de l’hôpital, non plus l’alpha et l’oméga du soin, mais une étape, parfois décisive, du parcours de soin. Nous partons en effet de l’époque où l’hôpital était tant un lieu d’accueil qu’un lieu de soin (ce n’est qu’en 1941 que l’hôpital cessera d’être lieu de soin et hospice). Elle sera suivie des années de construction de l’hôpital moderne (à partir notamment des CHU) de 1958 à 1983. Viendra le temps de l’encadrement des dépenses hospitalières (1983-1990), puis le renouveau de la planification (1990-1996 et notamment la loi de 1991), et enfin, après la réforme Juppé de 1996, la phase actuelle, qui se prolonge, de recomposition hospitalière, de planification territoriale et de maîtrise négociée des dépenses hospitalières. C’est dans cette phase que l’association des médecins à la conduite de l’hôpital, que la participation des usagers, que la maîtrise/contrôle de la qualité (via l’ANAES), que la planification via les Agences régionales de Santé trouvent tout leur sens.
… reliée à un contexte/bilan
Néanmoins, il convenait de sortir de dérives que la loi hospitalière de 1991 n’avait pu modifier, malgré son intention de décentraliser les responsabilités, puisque persistaient une opposition binaire entre soignants et gestionnaires, le cloisonnement entre professions, des autorités et responsabilités parallèles entre le cure et le care, des freins à l’innovation et la coopération, et surtout un désenchantement des praticiens et de l’ensemble du personnel.
… et déclinée dans des contenus
C’est l’objet de l’ordonnance du 2 mai 2005 sur la « nouvelle gouvernance hospitalière ». Elle vise à augmenter l’autonomie de l’hôpital, à développer les responsabilités des acteurs (soignants et administratifs) et généraliser les contrats d’objectifs et de coopération au sein de ce dernier. Elle allège les responsabilités de structures : Conseil d’administration (CA), commission médicale d’établissement (CME) et comité technique d’établissement (CTE). Elle en crée de nouvelles : obligatoires ou facultatives. Un Conseil exécutif notamment, composée à parité de directeurs et de praticiens, présidé par le directeur, qui a voix prépondérante, prépare le projet d’établissement, le projet médical, le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, les plans de formation, le plan de redressement, donne un avis sur les nominations des responsables de pôle et des chefs de service. CME et CTE peuvent fusionner. Mais surtout, la création des pôles d’activité au sein de l’hôpital, avec pour chacun un responsable de pôle assisté par un cadre de santé et un cadre administratif, et un Conseil de pôle, est censée développer du dynamisme et du décloisonnement.
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La gouvernance comme vecteur du changement ?
J’ai déjà évoqué en février 2006 le concept de « gouvernance », terme à la mode censé répondre à une volonté de gouvernement formel (instances formelles, conception hiérarchique, administrative et centralisée du pouvoir) et d’association (fonction de pilotage, pouvoir partagé entre une pluralité d’acteurs). Trois approches pratiques :
- Un mode de direction : il s’agit en particulier d’assumer la formulation des orientations, liée à la communication d’une analyse..
- Un mode de construction et d’association : notamment autour du fonctionnement concret de services communs.
- Une conception/vision : des démarches de progrès, sans règlement unique par la décision autoritaire, mais à partir de la participation ouverte aux débats internes et externes.
La réforme comportera dans son application des dérives (notamment, la nomination des responsables de pôles s’est heurtée, dès 2006, au report du système de liste d’aptitude en 2007, ce qui fait que les directeurs auront pu, dès 2006, nommer qui ils voulaient). Elle est en phase avec la taille des établissements hospitaliers, forcément plus importante que pour les structures médico-sociales, et peut donner le sentiment « d’usines à gaz », encore plus illisibles que les structures antérieures. Néanmoins, elle consacre une démarche partagée entre gestionnaires et soignants, la mobilisation possible autour de pôles de coopération et, espérons-le, d’innovation.
Ces deux dimensions sont la pierre angulaire ddu changement dans la conduite de toute structure, qu’elle soit sanitaire, sociale ou médico-sociale : une conduite stratégique réduisant les écarts entre gestion et action (ce qui suppose des efforts réciproques de compréhension entre toutes les parties), une conduite du changement autour de pôles concrets (des projets) mobilisant et fédérant les énergies dans la proximité.
Daniel GACOIN
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