Une progression …
Le poids des collectivités locales dans les politiques sociales a progressé ces 10 dernières années. Les uns y verront l’abandon d’un Etat protecteur, pourtant garant de la solidarité nationale. Les autres y verront un progrès : proximité entre les politiques sociales et les administrés. Certains seront ambivalents : intérêt mais complexité des dispositifs, amélioration des réponses mais coûts transférés aux collectivités sans compensation, etc… Il convient d’en prendre la mesure, en partant du point initial, la décentralisation de 1982. Les conseils généraux y ont acquis la responsabilité de la gestion de l’action sociale, spécifiquement l’aide sociale obligatoire en faveur des personnes âgées, personnes handicapées, familles et de l’enfance.
… avec sa genèse
L’édifice de l’époque s’est encore enrichi, renforçant la complexité initiale des responsabilités : commune, département, région, Etat déconcentré, Etat central, puis Europe, mécanismes Etat-région, communautés de communes. La charge des responsabilités sociales des départements a subi deux progressions considérables.
La première est bien connue : c’est l’arrivée du RMI fin 1988 et la prise en charge (avec compensation financière par l’Etat) par les conseils généraux des actions d’insertion, le I du RMI. La deuxième progression, moins connue du grand public, est liée à un ensemble de réformes sur 5 ans : nouvelle étape de la décentralisation (2004), augmentation des réponses engagées en faveur des personnes âgées ou handicapées (1998 à 2005).
- Avec la nouvelle étape de la décentralisation, le transfert de la gestion du RMI a été total en direction des départements : au-delà du volet insertion, l’instruction et le versement de l’allocation. Ces dépenses ont été compensées par l’Etat et la CAF. A également été actée une plus grande responsabilité des conseils généraux sur les dispositifs d’action éducative judiciaire (en dehors de la délinquance) dans une expérimentation appelée, à terme, à s’élargir.
- La prise en charge de la dépendance a d’abord concerné les personnes âgées : prestation sociale dépendance (PSD) et l’allocation compensatrice tierce personne (ACTP) remplacées depuis 2002 par l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Elle s’est amplifiée avec la création des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), des fonds de compensation et leur pilotage fort par les départements.
… et sa réalité en chiffres
La revue « Études et Résultats » (voir mon billet du 7/10/2006), des ministères de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement et de la Santé et des Solidarités, publie 3 études bien intéressantes en novembre et décembre 2006 : l’organisation du RMI dans les départements, depuis la nouvelle étape de décentralisation de 2004 ; l’action sociale extralégale et facultative des départements ; les dépenses d’aide sociale des départements. Ces données peuvent être résumées ainsi :
- Les départements consacraient, en 2005, 25 milliards d’euros à leur mission d’aide sociale, qui se réduisent à 23 milliards après déduction de différents recouvrements,
- Ces dépenses, considérables, constituent 65 % des budgets des conseils généraux,
- Elles ont doublé (oui, doublé) entre 2001 et 2005,
- Elles se répartissent en 4 directions : RMI (30 %), aide sociale à l’enfance (26 %), aide sociale aux personnes âgées (25 %), aux personnes handicapées (19 %),
- Pour le RMI, il convient de noter que la part insertion est passée (en progression) à 13 % du montant des allocations (la loi de 1988 parlait de 20 %). La responsabilité des départements a entraîné en 2004 des restructurations des administrations (instances de décision ou techniques, services d’accompagnement) soit globales, soit ciblées. Les études font part de 2 modes de fonctionnements dans les départements : soit une centralisation et maîtrise de procédures contrôlées par le conseil général, soit une territorialisation et un partenariat avec un plus grand flou dans les organisations. Trois conceptions du rapport insertion sociale / insertion professionnelle apparaissent : 1. Une vision globale de l’insertion, 2. Un soutien de l’insertion sociale mais avec priorité à l’insertion professionnelle, 3. Une action exclusivement consacrée à l’insertion professionnelle et retour à l’emploi.
- Pour l’aide sociale à l’enfance, les ¾ des dépenses concernent des enfants placés en établissements ou en familles d’accueil,
- Pour l’aide aux personnes âgées : 52 % des montants concernent des personnes vivant en établissement ou familles d’accueil, un chiffre appelé à évoluer dans l’avenir avec l’augmentation des services à la personne,
- Pour l’aide aux personnes handicapées, une progression continue des dépenses pour l’accueil des personnes (4 % par an en euros constants)
- Enfin, les prestations et actions d’aide sociale extralégales (autres que celles rendues obligatoires par la loi) concernent un volume financier « faible, mais non négligeable ». Il n’est appréhendé que sur un plan qualitatif. On trouvera ainsi de l’aide aux personnes âgées (téléalarme, accueils temporaires…), de l’aide aux personnes handicapées (accueil, information, bourses…), à l’enfance (soutien jeunes majeurs, bourses, …), aux familles (REAAP, aide à l’accueil petite enfance,…), et des actions diverses en faveur de personnes en difficulté sociale (secours ou soutien de lieux d’accueil…) ou en matière de santé (programmes territoriaux de prévention, de dépistage…).
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Des questionnements nouveaux
La mise en place des politiques sociales par les départements répond à de nombreux enjeux, qu’il convient d’examiner sous un angle positif : cette décentralisation est un fait, c’est la pertinence de sa mise en œuvre qui est encore à construire.
- Premier enjeu : avoir une vision complète et globale de la politique départementale à travers des plans politiques et stratégiques. Les schémas départementaux d’action sociale sont devenus une obligation… mais restent construits de manière sectorielle, sans traduction globale et lisible de la politique poursuivie. Il convient donc que des documents d’orientation soient formalisés par les autorités départementales, avec une lisible articulation entre les secteurs de l’action sociale.
- Deuxième enjeu : la démocratie et le partenariat interinstitutionnel dans l’élaboration des politiques sociales départementales. La volonté actuelle de maîtrise des procédures et dépenses par les conseils généraux est louable à deux conditions : 1. Que les procédures soient bien au service d’une politique, 2. Que cette politique ait donné lieu à une réflexion partagée, une éthique de discussion, avant d’être arrêtée en responsabilité.
- Troisième enjeu : une conduite globale des organisations administratives et professionnelles. Il est en effet à craindre la levée d’une aristocratie bureaucratique, plus problématique encore que dans les services de l’Etat : irresponsabilité, recherche de niches et biais de satisfaction, absence de direction et de culture du service, de souci de l’évaluation ou de l’efficience.
Face à ces enjeux, la solution reste globalement la même que celle de la réforme de l’Etat, celle d’un management social affirmé :
- Une gouvernance basée sur l’affirmation des orientations politiques et la recherche partagée des solutions,
- Le devoir d’évaluation : des indicateurs clés de réussite, inclus dans l’énoncé de ces politiques, contrôlés systématiquement par des instances de démocratie participative,
- Des cadres impliqués sur le terrain, formés à la pratique managériale et attentifs aux impératifs d’accueil et de service à l’égard des usagers,
- Une politique de relations du travail et de gestion des ressources humaines rénovée : clarté des responsabilités, règles et sanctions, instances participatives, modes d’intéressement par la qualité, formation obligatoire et ciblée,
- Une conduite et un management des hommes, avec développement des projets institutionnels ou collectifs et valorisation des responsabilités.
Daniel GACOIN
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