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Poursuivre un regard …
Ce deuxième billet sur le management social présente un livre dirigé par Patrick Lefèvre, à vocation beaucoup plus large que l’ouvrage de J-R. Loubat (voir mon billet du 23 octobre), et qui porte le titre de « Guide du management stratégique des organisations sociales et médico-sociales ». Il vient d’être publié par Dunod et sort depuis quelques jours en librairie.
… sur un sujet complexe
Le volume et la présentation soignée signalent l’intention exhaustive et l’ambition de l’ouvrage : être un guide de référence sur le management, pour des approches et compétences renouvelées dans un secteur social et médico-social confronté à des évolutions, des contraintes et recompositions. La question stratégique est présentée dans une valorisation de la direction et des stratégies de gestion et des organisations. Le contenu est massif, permet de penser autant que de se préparer à agir. Dans chaque chapitre, des tableaux, schémas, résumés d’une grande clarté illustrent les propos. Chaque partie est organisée dans une déclinaison : des données ou concepts (du savoir), pour aborder des problématiques et aboutir à des stratégies et méthodes. L’ensemble évite les polémiques pour des approches abordables. La complexité est notable et compréhensible… au point que l’on « avale » les 560 pages sans difficulté et avec un intérêt constant.
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Une introduction finalisée…
Proposée par J. Bogdan et B. Rodrigues (deux directeurs généraux d’association) l’introduction part du concept d’entreprise pour ouvrir sur celui d’entreprise d’économie sociale. Au-delà de généralités, elle ne propose pas une définition unique mais un patchwork administratif, juridique, moral, économique et social et décrit l’entreprise d’économie sociale dans son évolution historique. Elle se tourne ensuite vers les associations gérant des établissements et services sociaux et médico-sociaux. La comptabilité de ces établissements et services, dans un tableau final, semble indiquer que les 31 800 structures sont gérées essentiellement par des associations. Cette description est favorable au secteur associatif. Il faut plutôt lire l’ouvrage de J-Pierre Hardy (« Financement et tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux », Dunod, 2ème édition 2006) pour trouver une réalité plus équilibrée. Sur 30 697 structures, soit 1 238 575 places et 328 000 ETP, les associations et fondations occupent une part majoritaire (57 %), mais les structures publiques restent fortement impliquées (35 %), de même les structures commerciales occupent un part non négligeable (8 %). La présentation prédominante des associations, de l’économie sociale, dans l’introduction a évidemment une vocation : proposer un modèle.
… et une première partie sur le management
La vulgarisation des théories des organisations et du management est aujourd’hui très courante, c’est pourquoi il faut saluer cette partie très didactique de P. Lefèvre (en partie reprise de ses précédents ouvrages). L’ensemble est attractif. Le chapitre le plus théorique ouvre sur une classification maintenant bien connue de P. Lefèvre (organisation charismatique, techniciste, légaliste, entreprise, missionnaire). Un chapitre consacré aux méthodes et stratégies ouvre des perspectives, notamment parce qu’il définit le management stratégique : une approche globale, théorique et pragmatique de tout responsable à l’égard de la conduite son organisation et de sa pérennité, pour orienter ses choix, prendre des décisions à partir d’éléments essentiels (le projet, les contraintes, les opportunités de développement, l’organisation interne et la dynamisation des ressources). J’ai apprécié le corps du texte sur le management du changement, notamment sur la question de la motivation avec l’appui sur les 3 C (contrat, culture, compétence) et les 3 R (responsabilité, reconnaissance, rémunération). Je suis moins convaincu par l’abord de l’innovation, mais beaucoup plus sur celui de l’organisation. Notamment, la tension entre une structure mécanique ou organique constitue un thème majeur pour les phases de transition du changement. Enfin les 120 mots clés de la gouvernance et du management des OSMS est particulièrement intéressant : des références de base. Seules quelques définitions me semblent encore à enrichir, notamment sur des mots comme innovation, information.
… suivie de la deuxième sur les OSMS
L’historique du secteur est un condensé bien utile (pas seulement parce qu’il m’a fait plaisir à travers les reprises des contenus de mon premier livre), notamment un tableau récapitulatif des différentes phases de développement du secteur. Mais c’est surtout la définition et la différenciation des termes « institution » et « organisation » qui permet de thématiser une sociologie des OSMS.
Deux chapitres majeurs y présentent les définitions fondamentales : l’évolution du métier de dirigeant (notamment les 5 postures : symbolique, éthique, décisionnaire, innovatrice, analysante), et les formes d’organisation avec notamment l’ouverture à l’organisation apprenante. Quant aux méthodes, elles partent de l’exercice du pouvoir à la conduite de projet, puis le travail en équipe, le développement des compétences, la communication et l’information. Je remercie Patrick Lefèvre pour ses nombreuses références à mes deux livres sur ces thèmes. Enfin, le texte termine sur la gestion des ressources humaines, avec des positionnements utiles pour avoir les idées claires.
… puis revenir à la stratégie dans une troisième partie
Le thème de la stratégie est traité par J. Bogdan. La présentation est d’abord classique avec l’utilisation des apports essentiels de H. Mintzberg (lire sur ce thème l’ouvrage majeur : « Safari en pays stratégie », Ed. Le Village mondial, 1999) indiquant combien la stratégie ne peut se lire uniquement dans une dimension analytique ou normative, mais plutôt dans les dimensions interactives (écoles de la négociation, de la configuration, des processus émergents, de la production collective). C’est dans cette même mesure complexe que j’évoque la stratégie comme articulation entre les positionnements des décideurs et les processus complexes et innovants de construction collective, interne et externe. Les deux chapitres qui suivent sont moins classiques. Le premier, sur les problématiques, évoque la conduite du changement permanent (un tableau est particulièrement éclairant sur les quatre principaux types d’attracteurs) et l’abord des stratégies de résistance. Le deuxième élabore les trois temps de la stratégie, avec notamment quelques modèles sur les approches de la décision et de la gestion des risques.
… enfin l’ouverture, à travers les deux dernières, à des dynamiques propres
Écrites respectivement par B. Rodrigues et D. Vilotte (directeur de l’organisme de formation l’Institut de la performance publique), elles abordent les acteurs de la dirigeance associative et de la coopération dans le champ associatif (avec l’ouverture au concept de management stratégique participatif), puis le management des organisations publiques du secteur social (avec le rappel des fondements du management par objectifs). Si elles sont moins décisives que le reste de l’ouvrage, j’ai trouvé des contenus intéressants : notamment un texte sur l’abord de l’absentéisme en structure publique.
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Revenir à la question centrale : le management social
L’ouvrage n’est pas un livre de plus, ou de trop, c’est un texte de base dépassant largement les contenus du livre de J-R. Loubat (sur le management de positionnement sur la relation de service) et apportant des notions de base, dans leur complexité et leur construction, sans dogmatisme. La stratégie décrite est essentiellement celle du positionnement, avec néanmoins une approche ouverte sur la question participative. Merci à tous les auteurs pour cet ouvrage.
Je souhaite poursuivre ces réflexions majeures en explorant des constructions sur trois thèmes du management social qui me sont chers : « la qualité du climat et des relations sociales » avec la fonction modèle du dirigeant, « la coopération par élaboration successive et formalisée », « l’innovation ». Par ailleurs, le modèle associatif, trop valorisé, semble faire insuffisamment la place aux recompositions et aux modalités de travail par coopération en secteur concurrentiel, thème fort du management stratégique et néanmoins social, à mon sens.
Je reprendrai dans un prochain billet, en résumé bien sûr, mes propres apports à la question du management social. A bientôt sur ce thème donc…
Daniel GACOIN
Le lecteur attentif n’aura pas manqué de noter que mon propos sur les 2 dernières parties de l’ouvrage (écrites par Bernard Rodrigues et Denis Villotte) était bien trop rapides. Il me semble juste de revenir sur leurs contenus bien intéressants.
Pour la 4ème partie, rédigée par B. Rodrigues, consacrée aux acteurs de la dirigeance associative et de la coopération, il est utile de lire les définitions juridiques et les positionnements proposés sur les places de chacun dans une organisation associative, et notamment de situer un fonctionnement managérial participatif que j’appellerais isomorphique : une même approche, cohérente, se déclinant des sphères politiques et stratégiques (dont l’action des bénévoles) à celles des acteurs techniques.
Pour la 5ème partie, rédigée par D. Villotte avec qui j’ai toujours plaisir à collaborer en animant des séminaires de son Institut de la Performance Publique, l’intérêt du contenu est de proposer un premier écrit sur les structures sociales et médico-sociales gérées par le secteur public. A ce stade, ce type d’approche manquait pour les OSMS. Et d’emblée, j’ai été frappé par l’image nouvelle, les perspectives ouvertes, pour le secteur social et médico-social. Je renvoie le lecteur à un tableau original (page 467) redessinant les services publics en action sociale et médico-sociale à partir des statuts juridiques et localisation des centres de décisions. Et bien sûr, je renvoie à l’utilisation de ses méthodes sur 2 chantiers décisifs pour un autre management public : généralisation du management par objectifs, changement dans la gestion des ressources humaines. Un dernier conseil : il est intéressant de mettre ces contenus, sur le management en organisation publique, en lien avec 2 ouvrages complémentaires. Le premier, collectif (L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet) et paru il y a 2 ans (Presses de la Fondation nationale des sciences politiques) : le « Dictionnaire des politiques publiques », une vraie mine sur la question des décisions et de la relativité des processus managériaux. Le deuxième, de P. Naves et H. Defalvard, vient de paraître chez Dunod, et s’intitule « Economie politique de l’action sociale ». Très original, il complète utilement la dernière partie de l’ouvrage dirigé par P. Lefèvre.
Merci Bernard Rodrigues, merci Denis Vilotte, pour ces contenus présentés trop rapidement dans un premier temps.
Rédigé par : Daniel Gacoin : retour sur les 2 dernières parties du livre | 02 décembre 2006 à 21:26