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Un thème ouvert en 2 étapes …
Ce premier billet sur le management social présente le dernier livre de J-R. Loubat, « Penser le management en action sociale et médico-sociale » (Dunod, juin 2006). L’auteur, psychosociologue, a œuvré dans un CREAI avant d’être consultant dans les organisations sociales et médico-sociales (OSMS), a écrit de multiples articles et plusieurs ouvrages : « Élaborer son projet d’établissement », largement diffusé et réédité en 2005 (voir mon billet de janvier 2006), « Résoudre les conflits dans les établissements sanitaires et sociaux » (1999), « Instaurer la relation de service » (2002). Le deuxième billet sera consacré au livre collectif, à paraître dans quelques jours chez Dunod, dirigé par P. Lefèvre avec le titre de « Guide du management stratégique dans les OSMS ».
… pour trois raisons majeures
Le « management social », concept central de mon cabinet, est la clé de ma relecture :
- J-R. Loubat n’avait pas approfondi complètement le thème, il le présente dans un contenu construit, posé, avec une expression provocante et un vrai positionnement,
- P. Lefèvre avait largement travaillé la fonction de directeur et de cadre, il proposera un contenu reconstruit, élargi à l’ensemble des vecteurs du management stratégique.
- Les 2 livres s’inscrivent dans une période charnière. Après les précurseurs (dont J-M. Miramon et P. Lefèvre), les livres sur le management sont nombreux, chez ESF et surtout Dunod. Ils peuvent comporter des approches ciblées (par exemple mon livre, « Conduire des projets en action sociale » en 2006). Ils peuvent regarder le métier de cadre ou certaines thématiques. Seuls quelques-uns ouvrent, ou ouvriront, une pensée globale plutôt qu’une approche partielle ou des concepts travaillés ailleurs. C’est pourquoi, mon commentaire des 2 livres est construit sur une même question : quelle conception d’ensemble du management social ?
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L’ouvrage de J-R Loubat…
Les 400 pages se déclinent en 17 chapitres. L’introduction situe la problématique : un secteur décrit comme un « bric-à-brac institutionnel », régulé au départ par un management invisible et confronté à une révolution culturelle justifiant le passage « d’un management empirique qui privilégie le contrôle et la préservation » à un « management repérable qui privilégie l’efficacité et la qualité de service ». La conception est construite sur la pensée d’un management rigoureux, anticipateur visant à ce que, dans « l’entreprise sociale ou médico-sociale », « les parties soient comprises comme élément d’un tout ».
… et ses contenus
4 grandes parties, peu visibles d'emblée, constituent la trame de l'ouvrage :
- 2 chapitres étudient le lien management / changement. L’idée de l’organisation comme « fiction collective » est reliée aux théories de l’organisation, détaillées sur des concepts classiques plus que sur les théories nouvelles. Le regard sur le changement des OSMS est construit sur des modifications qui heurteraient « des promoteurs d’une pensée collective » et des professionnels « qui ne changeront pas » ou « coupés de la réalité de l’environnement socio-économique depuis des décennies ». Le propos est sévère, peu tempéré par le rappel que de nombreux personnels, la majorité est-il précisé, sont ouverts à une action dirigée. Il propose un triple challenge : situer son management opérationnel, se préparer à des bouleversements, dépasser le syndrome d’Astérix (la résistance à l’envahisseur).
- 2 chapitres développent le management comme « positionnement ». Les associations gestionnaires y sont lues à travers la nécessaire réduction d’écart « entre la technostructure professionnelle et l’association militante ». Est préconisée la sortie des faiblesses identitaires par l’affirmation de l’utilité sociale, un management « ad hoc » et un projet associatif. Un plan utile est proposé pour ce dernier, qui ne reprend pas c’est dommage, le thème de l’histoire associative, ou de la conception de l’animation et de la direction. Une étude sur les dirigeants présente les évolutions en cours et les typologies des styles, Loubat insistant sur sa classification de types de cadres en 3 profils : stratégique, technique, politique.
- 9 chapitres détaillent l’application du « management de positionnement ». Ils concernent la stratégie (instaurer, structurer la relation de service), l’organisation au meilleur coût, le management des compétences, la gestion des ressources humaines et la clarification des fonctions, statuts et rôles. Est ensuite détaillée la mobilisation des professionnels : l’exposé est plus construit sur l’exposé des dérives que sur des méthodes. Quand elles existent, elles sont précises, s’appuient sur des tableaux, des questionnaires indiquant une approche technique. Trois thèmes sont ajoutés : la promotion de la formation du personnel (bien intéressant, malgré la faible reprise du nouveau dispositif DIF), le harcèlement (très intéressant), la gestion des réunions et de l’information (exemples nombreux, mais l’approche a déjà été présentée dans les ouvrages précédents).
- Dans une dernière partie enfin, J-R. Loubat présente 3 études de cas approfondies, là encore basées sur des dérives et dysfonctionnements, aboutissant à des préconisations.
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L’intérêt de l’ouvrage
Basé sur l’affirmation de dirigeants qui doivent, nécessairement, se positionner, tenir la conduite de l’organisation dans son utilité sociale à formuler, construire et garantir, le livre a l’intérêt de partir des nombreuses dérives constatées sur le terrain. Il permet de proposer une approche simple : clarifier l’essentiel, la notion « d’entreprise de service de cause sociale », comme point de départ des repositionnements de chacun à partir des positions des dirigeants. J’apprécie les propos sur des vecteurs du management comme la responsabilisation, l’ouverture de perspectives pour les professionnels. Autre intérêt : les propos sur l’articulation des modes d’intervention avec les besoins, avec de nombreux outils de travail pour analyser et résoudre les écarts dans les prestations, les dynamiques collectives. Le propos est en phase avec son terrain d’application : les 32 000 établissements et services définis par la loi du 2 janvier 2002. Il est conforme, c’est son mérite, avec le sillon régulièrement creusé par J-R. Loubat, malgré des répétitions.
… et mes questionnements
L’approche semble peu regarder l’ensemble du secteur social, notamment les services sociaux de premier rang, guichets d’accueil, services d’orientation ou d’insertion, ou les services publics. Le livre dirigé par P. Lefèvre sur le management stratégique y sera plus ouvert, notamment dans sa partie sur le management public. Je propose à J-R. Loubat deux points de réflexion, au-delà de mon intérêt pour son livre :
- La forme d’expression, systématique, renvoyant les dérives éventuelles, manie trop facilement l’épouvantail du changement et des bouleversements à venir, en soulignant la résistance fondamentale, parfois congénitale selon lui, des personnels. Ce faisant, il communique surtout en direction de ce public, mettant au second plan les constructions à l’œuvre et les professionnels qui y prennent place, parlant de ce qui doit être corrigé au lieu de développer des propositions positives avec pédagogie. Or le changement se développera difficilement sur la base d’un tel malentendu, selon moi, surtout si n’est pas soignée l’esthétique des démarches.
- La différenciation et l’articulation entre cadres de proximité et de direction restent peu travaillées autour de la notion d’équipe de direction, comme d’ailleurs une approche d’accompagnement posée à partir de ce que vivent et tentent les cadres, y compris les processus de compensation et le stress qu’ils mettent en œuvre ou ressentent.
… pour revenir à la question centrale
Le management social, de J-R. Loubat s’appuie sur une première dimension, celle du positionnement. Elle est centrale, elle est nécessaire. Elle ouvre néanmoins peu de pistes sur 3 autres dimensions du management social : la garantie éthique (y compris la présence et l’attention aux personnes), l’entraînement des professionnels dans la recherche et l’innovation (y compris l’animation de l’apprentissage collectif, de « l’apprendre à apprendre »), l’entrepreneuriat social (y compris le partenariat, la prospective, la capacité à créer et à entreprendre, la responsabilisation transversale). Le management stratégique ainsi décrit est centré sur la rationalité et la conformité, sur la qualité, c’est un préalable. Selon moi, cela devrait aussi être une porte d’entrée pour poursuivre la dynamique d’un service « non commercial » guidé par l’éthique, l’innovation et le développement, la mobilisation des ressources dans une vision d’avenir.
C’est un autre chapitre de la « nouvelle action sociale » à ouvrir. Comme prévu, faisons-le ensemble Jean-René…
Daniel GACOIN
Daniel,
Enfin un peu de temps pour poursuivre nos échanges!
Je n'aurais pas la prétention d'un commentaire aussi soigné que le tien sur le livre de Jean-René Loubat, ... simplement quelques remarques :
- le schéma (p 16) sur les 3 dimensions du management et sa déclinaison, pour chaque dimension, en 3 vecteurs colinéaires, me semble vraiment remarquable. C'est clair, précis ... un vrai outil pédagogique, que je reprendrai avec les équipes que je dirige.
Simplement je n'aime pas trop le mot "situationnel" auquel j'aurais préféré le mot "politique". Mais globalement, chapeau pour la pertinence de ce schéma.
- sur le fond, ce livre nous enseigne sur les évolutions et les positionnements du secteur et de nos organisations, dans une dimension économique et managériale. Je souscris à de nombreux points (décapage des idées reçues, plaidoyer pour une plus grande souplesse et une refondation des organisations, adhocratie, etc), je déplore cependant une vision un peu caricaturale des acteurs du secteur... Pour avoir rencontré de nombreuses équipes en tant que consultant, j'ai souvent constaté qu'un fort désir de changement et d'évolution était prégnant au sein des établissements et des services. Bien sur, je n'ai qu'une approche partielle, mais il me semble qu'une importante majorité d'acteurs sociaux n'est plus dans une nostalgie permanente des modèles des années 70 à 90, et développe une vision plus large, plus pragmatique... plus citoyenne. Souhaitons le en tout cas !
- enfin, je voudrai reprendre ici le concept "d'empowerment" auquel Jean René Loubat fait souvent référence. Concept utile, décrivant bien l'évolution actuelle des fonctions et des délégations dans notre secteur, il recouvre cependant une réalité complexe. En effet, si l'éducateur spécialisé devient un coordinateur, si l'adjoint de direction bénéficie d'une large délégation et d'une réelle autonomie de décision, il n'en est pas de même pour ceux qui sont "en bas" de l'échelle. Comment permettre au moniteur éducateur, chargé du quotidien, à la "lingère ravaudeuse", chère à la convention de 1966, de bénéficier du même mouvement d'empowerment ?
Il me semblerait important, en effet, qu'une telle politique associe l'ensemble des équipes, au risque sinon de créer des clivages, et une nouvelle forme de hiérarchie ...
La formation me semble être un élément clef de cette politique, je pense par exemple à la formation des maîtresses de maison, des veilleurs de nuit, des ouvriers d'entretien, à la VAE pour les moniteurs éducateurs, etc ... nous en reparlerons!
Voilà pour aujourd'hui, juste un mot pour ton article sur éduquer et punir, qui propose une vision moins passionnelle et plus stratégique du débat actuel sur la "prévention" de la délinquance. J'adhère tout à fait à ta conclusion sur la nécessité de penser en amont, de ne pas isoler cette problématique sociale d'un contexte sociétal, tout en prônant un positionnement plus cohérent sur la Loi et sur la règle... Bravo.
A très bientôt
Bien à toi
Jean-Michel
Rédigé par : jean michel zejgman | 24 octobre 2006 à 08:45