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La revue « Etudes et Résultats »… et une recherche sur le handicap.
Editée par le ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement et celui de la Santé et des Solidarités, via la direction des études (DREES), la revue « Etudes et Résultats » propose 6 numéros par mois, avec des contenus divers et toujours intéressants, pas seulement pour les spécialistes. Pour accéder aux différents numéros , il suffit d’aller sur le site www.sante.gouv.fr/drees/. Le numéro 506 de juillet 2006 est signalé par Alain Lefèvre (« Faut-il brûler le modèle social français ? », Seuil, mars 2006) dans son blog « societesnordiques.blogspirit.com ». Il présente une étude, importante en période de débat sur l’intérêt ou les limites des systèmes de protection sociale, sur « la prise en charge des personnes handicapées en Allemagne, Espagne, Pays-Bas et Suède »… La recherche compare les réponses concrètes apportées par les pouvoirs publics à 10 situations types de personnes handicapées, des "cas types", dans ces 4 pays.
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La méthode utilisée, bien originale
Les "cas types" présentés ciblent des variations liées aux déficiences, parcours et situations professionnels, degrés d’autonomie physique et mentale, environnement des personnes. Chacun type est représenté par une personne avec son prénom, par exemple :
Nick, 32 ans : célibataire, vit seul dans un appartement, sourd de naissance, n’a pu suivre une scolarité en milieu ordinaire, pratique la langue des signes, longtemps isolé, n’a pas le permis de conduire, possède la lecture et l’écriture, n’a pas de formation professionnelle, ne trouve pas de travail, a un projet de création d’une centre de garde d’enfants sourds
Le panel est ouvert, avec des profils différents présentés d’une manière vivante.
…et des résultats, il fallait s’y attendre, indiquant de grandes différences dans les réponses au handicap
De nombreuses questions sont détaillées, exprimant les divergences entre les pays :
- « Les situations des personnes handicapées ». Les différences sont parfois criantes. L’exemple d’un jeune de 30 ans, aveugle dès l’âge de 6 ans, vivant chez ses parents agriculteurs, sans perspective de travail dans l’environnement proche, serait relativement courant aux Pays-bas, beaucoup plus rare en Allemagne, contraire à la réalité en Espagne (importance d’une mobilisation du réseau social) ou en Suède (une scolarité et une formation auraient été systématiques).
- « Le rôle de la famille dans la prise en charge du handicap ». De nombreuses différences existeraient, allant d’un extrême, en Espagne (prise en charge importante de la personne par sa famille) à une autre, en Suède (haut degré de « défamilialisation »).
- « L’évaluation du handicap ». Elle s’effectue avec de grands particularismes. Aux Pays-Bas, le handicap est calculé par quantification de la capacité restante de progression chez la personne, en Suède, par un taux d’invalidité pour une pension. En Allemagne, le handicap est évalué par calcul de l’incapacité totale ou partielle de travail (avec échelle en heures), plus une évaluation complémentaire du besoin d’assistance médicale, en Espagne, par évaluation médicale d’invalidité (avec des conséquences différentes sur les pensions en fonction du travail antérieur des personnes). Les différences de reconnaissance du niveau de handicap peuvent ainsi être énormes entre les pays.
- « Le montant des prestations attribuées ». Le remplacement de revenu par exemple, dans les 10 cas de figure, peut varier d’un pays à l’autre du simple au double.
- « Le maintien à domicile ou le placement en institution ». Les réalités sont diverses entre la Suède (fermeture des institutions réalisée dès les années 1970) et l’Espagne (primauté familiale), mais aussi entre l’Allemagne (choix souple entre soutien à domicile et placement en institution en fonction du coût de l’assurance dépendance) et les Pays-Bas (aiguillage important vers l’institution en cas d’invalidité lourde). Les orientations ont des conséquences sur le type d’hébergement (logement individuel, collectif, familial…). Pour une personne polyhandicapée de 40 ans vivant chez ses parents, la question du futur, après la mort de ses parents, peut entraîner des réponses opposées, d’un pays à un autre: un appartement individuel avec assistants personnels en Suède, un hébergement en établissement pour les Pays-Bas et l’Allemagne, un hébergement collectif (pas forcément en établissement) pour l’Espagne.
- « L’aide à la personne ». En Allemagne, une assurance dépendance (5ème risque de la Sécurité sociale) permet de développer dans certains cas une aide à domicile, pas toujours très diversifiée (soutien, ménage, soins, aide aux relations). Elle concerne uniquement les personnes ayant travaillé - les autres étant soutenues par l’Aide sociale. C’est la même chose aux Pays-Bas (l’AWBZ, « assurance maladie pour le gros risque »). En Suède, il n’y aura aucun critère pour bénéficier de l’aide à domicile, via l’obligation des municipalités de délivrer 10 grands types de soutien aux déficiences fonctionnelles, l’Etat finançant les besoins dépassant 20 heures par semaine. En Espagne, les services à domicile sont limités (3 heures par semaine, avec une condition de ressources). Dans certains cas, les différences sont énormes, tant en soutien qu’en participation financière.
- « L’accessibilité ». La Suède paraît en avance sur les autres, mais la réalité est semblable d’un pays à l’autre : coût de l’adaptation du véhicule peu pris en charge, accès aux transports en commun difficile, utilisation de transports spécialisés avec forte participation financière , etc….
- « L’emploi ». Les mêmes variations sont constatées. Pour certains profils de handicap, un même type accompagnement est réalisé dans les 4 pays : emploi protégé, ou son alternative (en Suède) par une activité occupationnelle offerte par la municipalité (programme LSS), retour au milieu ordinaire. Dans d’autres situations, par exemple des personnes ayant travaillé et atteintes par une déficience après 50 ans, les réponses sont relativement semblables (peu de perspectives), la Suède se distinguant par une interpellation et un engagement fort de l’employeur antérieur de la personne.
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L’interrogation sur la situation en France
La méthode est intéressante parce qu’elle met en valeur les disparités, non dans l’organisation du système de protection, mais dans ses résultats. Le grand regret : ne pas voir la France dans la liste des pays examinés. Si celle-ci avait été incluse dans cette recherche par comparaison, le résultat aurait risqué d’être inexact, tant la situation est en cours de mutation avec la mise en place de la loi du 11 février 2005.
… et la mesure des évolutions récentes.
Cette loi a déjà été présentée ici dans ses aspects les plus visibles : droit à compensation des conséquences du handicap, mise en place des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), droit à l’inscription scolaire et mobilisation autour des projets personnalisés de scolarisation.
Je propose, notamment à la CNSA, de mettre en place une étude, tous les deux ans à partir de la méthode des « cas types » (avec 25 profils), sur la réalité des modes d’accueil et d’écoute du projet de vie ou d’évaluation de la situation, sur la réalité des réponses proposées (en termes de droit à compensation et de prestations d’accompagnement) dans les différentes MDPH de France.
Daniel GACOIN
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