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Le texte d’un spécialiste sur cette question sensible
La Revue Esprit propose en octobre un article équilibré, fondé, dynamique, sur l’évolution de la justice pénale des mineurs. Un thème important : objet de nombreuses polémiques depuis 10 ans, proposé en amont du débat présidentiel, au centre du projet de loi de prévention de la délinquance défendu par Nicolas Sarkozy. Il est rédigé par Dominique Youf (auteur de « Penser les droits de l’enfant », PUF, 2002), directeur et responsable de formation au Centre national de formation et d’études de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (CNFE-PJJ). J’ai le plaisir de le rencontrer régulièrement en enseignant à ses côtés dans la formation des directeurs d’établissements et services de la PJJ et, maintenant, au Conseil pédagogique de ces formations. Par sa connaissance de terrain, une analyse complexe mais limpide, D. Youf permet de penser la question et des propositions.
… avec un point de départ
Le « projet Sarkozy » de réforme de l’ordonnance de février 1945 pour l’enfance délinquante provoque des protestations fortes : il porterait atteinte à ce texte fondateur (basé sur les principes d’irresponsabilité, de protection et d’éducation). Or, D. Youf rappelle que l’ordonnance a subi de nombreuses transformations depuis 1993, notamment en 1998 (conseil de sécurité intérieure du gouvernement Jospin) et en 2002 (loi Perben) :
- L’aspect essentiel (des juridictions spécifiques pour les mineurs) a été conservé, mais le principe d’irresponsabilité pénale des mineurs a totalement changé depuis 13 ans,
- Les centres éducatifs renforcés (1998, après les UEER de 1996), les centres éducatifs fermés et établissements pénitentiaires pour mineurs (2002), apportant pourtant des changements, ont généré moins de protestations que le projet Sarkozy, du fait de ses 2 contenus majeurs : « un contrôle/sanction des familles n’assurant pas la surveillance de leur enfant », une « justice punissant plus fermement, éduquant plus efficacement aux règles sociales ».
… le retour sur des principes et réalités
La différence de réaction est expliquée par le sentiment d’atteinte au principe rappelé par Paul Ricœur : « tout modèle de justice doit viser à réconcilier trois référents, la loi, la victime et le coupable ». Le nouveau projet est ainsi perçu comme « une perte dans l’équilibre de justice que toute justice pénale doit rechercher ». Alors que le droit pénal devrait permettre à chacun, groupe social, coupable, victime, de « recevoir son dû », l’auteur indique que les grands modèles de justice ont toujours privilégié l’un des termes du triangle. C’est le cas du « modèle protectionnel » de l’ordonnance de 1945 qui a, précise-t-il :
- donné lieu à la construction d’une approche, la clinique éducative, basée sur la relation éducative et non sur la contrainte, ou l’activité, ou la correction rationnelle des comportements,
- comporté des faiblesses qui expliquent son échec en France ou dans d’autres pays : l’idée notamment, traitement social des situations oblige, d’une rupture avec les interventions contraignantes comme cœur des pratiques. Mais aussi l’idée que, l’infraction étant le symptôme d’une souffrance à traiter, une action éducative est fondée d’abord sur la relation, au point qu’il n’était pas rare que des jeunes accueillis dans les structures de la PJJ ne se voyaient offrir aucune activité de journée, uniquement un vide angoissant entraînant des manifestations de violence ou des fugues. Et enfin une vision paternaliste : le mineur perçu dans sa dimension inaboutie, par ses manques et non ses capacités.
… et les changements des 15 dernières années
Une évolution majeure, engagée dès 1993 sans cohérence doctrinale entre les réformes successives, s’est réalisée sur une ligne de force : « la réponse à la demande sociale de justice et d’ordre public ». Elle a entraîné :
- L’avancée de « la responsabilité pénale des mineurs » avec la mesure de réparation pénale (sujet responsable, le mineur est contraint d’intégrer une nécessaire sociabilité et le besoin de réparation auprès de la victime),
- Le « primat de l’ordre public », la lutte contre la délinquance devenant une priorité nationale et mettant en avant la priorité à la société et au groupe social,
- « L’éducation dans un contexte de contrainte » comme nouvelle pédagogie : le jeune considéré comme un sujet social, est responsable des dommages commis à l’égard d’autrui, même s’il reste un adolescent ayant besoin d’éducation, la recherche de son adhésion étant un objectif et non le préalable,
- « L’éducation renforcée » : il s’agit d’intégrer les mineurs récidivistes dans des structures éducatives nouvelles avec une rupture, un encadrement serré, une présence individualisée et un « faire et vivre avec », dans l’héritage des fondements de l’éducation spécialisée et du scoutisme.
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Des positions claires
L’auteur prend position sur ces mutations... en réaffirmant la nécessité de soutenir chaque jeune, comme sujet responsable, comme sujet d’un régime de protection et d’éducation, l’action éducative devenant un impératif centré sur le développement de ses capacités… en insistant pour rendre chaque jeune sujet de droit : ses droits (être informé, s’exprimer, participer au contenu de son accompagnement individualisé) étant à construire comme support d’apprentissage de la citoyenneté. Le « projet Sarkozy » par comparaison, centré sur la sécurité publique et la prévention des risques, n’intègre en aucune manière une volonté de changement positif du jeune par émergence de ses capacités, ne développe aucune stratégie utile à l’égard des coupables et des victimes. Par ailleurs, le nouveau pouvoir des maires pour contrôler/sanctionner des familles (être informé, proposer des accompagnements ou mesures, nommer un coordinateur des informations,…) contient de nombreux risques, voire est contraire aux principes de justice et d’équité.
Il propose également de reprendre, en période préélectorale, le débat sur la justice des mineurs en insistant pour conforter des principes intangibles :
- Des juridictions spécialisées pour les mineurs,
- Le respect des textes internationaux, notamment ceux qui imposent un âge en dessous duquel un enfant ne peut répondre devant les tribunaux
- L’affirmation de l’impératif éducatif et de la responsabilité progressive,
- Des peines et mesures ayant systématiquement un contenu éducatif (émergence des capacités comme dispositions contraignantes), prises après étude de la personnalité,
- Des peines privatives de liberté dans des établissements pour mineurs, avec objectifs éducatifs et limites dans le temps (limite maximale à 10 ans).
… et la réponse aux nouveaux enjeux
Je m’associe à la proposition de Dominique Youf de dépasser l’antinomie « éducation – répression » et d’affirmer l’impératif éducatif, qui ne peut se résoudre au seul apprentissage des règles sociales. J’ajoute néanmoins une dimension : la justice pénale des mineurs intervenant en aval d’une infraction, il convient de penser à l’amont, seule solution pour poser une action équilibrée. Or l’actuel « projet Sarkozy », s’il prête attention à la protection légitime de la société, justifie mal son titre : «…relatif à la prévention de la délinquance ». Il me semble important d’impliquer la société et ses composantes, non dans une fonction judiciaire, mais dans une approche préventive et situationnelle :
- L’articulation de la prévention et du traitement de l’exclusion (politique de la ville basée non sur la mixité sociale – aujourd’hui en échec- mais sur la mobilité sociale, politique de l’emploi, de l’éducation, etc…).
- L’articulation de 4 efforts : meilleure protection des cibles (y compris dans les secteurs les plus exposés), augmentation des risques pour les auteurs (contrôle et surveillance), réduction des gains possibles (identification des biens, élimination des cibles), diminution des justifications (discours clair et pratique cohérente des adultes sur la loi et la règle).
Merci Dominique, continuons de penser…
Daniel GACOIN
PS 1 : je conseille au lecteur intéressé de relire l’ouvrage édité par la Délégation interministérielle à la ville en 2004 : « Politique de la ville et prévention de la délinquance ». Un trésor d’idées…
PS 2 : pour l’anecdote, je renvoie le lecteur à l’article paru la semaine dernière dans le Canard Enchaîné, sur « le naufrage de la justice des mineurs », non par laxisme ou absence de décision des magistrats, mais par le nombre de décisions prises qui restent en attente, faute de moyens, ou même qui« finiraient à la poubelle ».
PS 3 : je reçois aujourd’hui le dernier numéro de la Revue Sciences Humaines, avec un dossier titré « Comment devient-on délinquant ? ». Intéressant… notamment pour le débat, déjà ancien, entre les déterministes (la société est responsable) et les actionnistes (la délinquance est « un choix » personnel des acteurs), également pour le rappel de quelques auteurs classiques.
Daniel,
Pris par de multiples occupations, j'avais délaissé momentanément la lecture de ton blog, et c'est avec bonheur que je redécouvre aujourd'hui la richesse de tes derniers articles. Encore bravo pour ce travail d'information et de transmission essentiel à la la conception et la construction de nos outils.
Quelques remarques pêle-mêle :
-tout d'abord sur le guide de l'évaluation interne, que je trouve remarquable, prônant l'évaluation comme un processus ; il tord le cou à la tentation d'une évaluation "vitrine", standardisée, invitant chacun d'entre nous à articuler une vision personnelle à celle plus globale de l'organisation.
Notons que le pilotage de ce processus restera un véritable enjeu.
De plus, évaluer questionnera nécessairement la pertinence des projets, il sera pourtant important de ne pas fragiliser les établissements et services, tout en invitant chacun à revisiter ses fondamentaux; cela demandera une certaine dextérité ....
Je continuerai ce commentaire cet après-midi, pour parler de Loubat bien sur et de ton texte sur "Eduquer et punir"
Bien à toi
Jean-Michel
Rédigé par : jean michel zejgman | 20 octobre 2006 à 10:34