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Une société face à sa jeunesse…
Ce titre occupe la une d’un numéro spécial de la Revue Sciences Humaines : revue déjà présentée dans ce blog, du fait de son caractère généraliste et de son parti pris, dans la vulgarisation des sciences humaines en direction du grand public, d’une approche ambitieuse et rigoureuse dans l’abord des contenus et des concepts.
« Une société face à sa jeunesse » est donc le sujet de ce dossier, paru en septembre. La Revue nous habitue en effet à des numéros particuliers, chaque trimestre, sur des sujets approfondis. Ainsi, elle abordait en juillet 2006 le thème des nouvelles psychologies, suscitant de nombreuses réactions de lecteurs appréciant l’ouverture, d’autres protestant contre ces présentations trop positives. Elle aborde en septembre les phénomènes auxquels est confrontée la société pour l’intégration de sa jeunesse, sous l’angle d’un changement majeur : « la fin d’un modèle ». Ce type de thèse apporte la plupart du temps davantage de descriptions que d’anticipations. Ici, le dossier évite ce piège comme les descriptions apocalyptiques, poncifs, contenus théoriques basés sur l’éternelle question du malentendu entre une société et sa jeunesse.
… ou la jeunesse face à sa société ?
Le dossier peut se lire en inversant son titre, « une jeunesse face à sa société », tant est décrite la manière avec laquelle elle se trouve aux avant-postes des transformations que subit l’Hexagone. Ces dernières interrogent ainsi la place et l’intégration des jeunes, autant d’interrogations qui animent en particulier les travailleurs sociaux amenés à œuvrer pour la construction ou reconstruction du lien social… Si le contenu oublie de définir le terme de jeunesse, il a le mérite d’éclairer cinq problématiques construites et reliées comme un système, révélateur des changements.
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Des banlieues marginalisées…
La « crise des banlieues » de novembre 2005 est présentée, au-delà du surinvestissement des médias et des hommes politiques, comme un événement en grande partie fabriqué. Elle révèle une fascination des images pour une « guerre civile », alors même que l’on constatait sur le terrain un « calme ordinaire » traversé de quelques incidents sporadiques, exacerbant « un sentiment d’insécurité » et son corollaire, « la demande punitive », par les populations les plus fragiles. Les protestations révèlent la dimension centrale de la discrimination raciale et le sentiment des populations jeunes et victimes de celle-ci qu’un seuil de l’intolérable a été franchi, couplé avec le sentiment d’un « non-respect des règles du jeu, même inégales ». Le postulat de l’étranger comme Autre menaçant nécessite pourtant de nouveaux modes d’intégration.
En outre, si les banlieues françaises sont loin d’être des ghettos, elles subissent une marginalité avancée, concentrée dans des territoires stigmatisés, qui, en retour, stigmatisent leurs habitants. Les perspectives appuyées par J. Donzelot (déjà évoqué dans ce blog en juillet pour son dernier ouvrage) concernent d’autres manières de « vivre ensemble » par la promotion des modes de participation, la discrimination positive et surtout la mobilité des habitants des zones les plus fragiles, plutôt que la revalorisation des quartiers sensibles.. approches qui devraient guider les politiques et les travailleurs sociaux.
… à la fracture des générations
Pour la première fois depuis longtemps, la génération qui précède ne laisse pas aux suivantes un monde meilleur à l’entrée de la vie. Ce constat du sociologue Louis Chauvel est détaillé, tant dans ses dimensions économiques (le casse-tête du système de retraite) que sociétales (un système qui fait reposer la sécurité de ses pensionnaires sur les jeunes générations pourtant « exposées à une incertitude radicale »). Il est confirmé par l’impression d’un grand désenchantement de la génération des trentenaires et une crise des transmissions. La culture n’est plus transmise à la jeunesse hormis pour sa fraction la plus favorisée : transformation des relations familiales, allongement de la scolarisation, rigidification des relations entre jeunes… La situation est aggravée par le paradoxe entre des valeurs reçues par les jeunes générations (réussite, liberté, loisirs…) et les réalités vécues (stabilité des générations adultes, insécurité des plus jeunes). En termes de correction, les perspectives concernent d’abord un équilibre à reprendre dans les transferts économiques entre générations…
…ou à la sortie des faux espoirs de l’école
Le diplôme est devenu une illusion : le propos de Marie Duru-Bellat (auteur début 2006 de « L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie », Seuil, La République des idées, ouvrage que je recommande à tous) est repris autour des mécanismes de déclassement par perte de validité des diplômes et allongement pourtant de la fréquentation scolaire. Cette approche est couplée avec un constat bien connu des travailleurs sociaux : les ruptures liées à des cumuls de handicaps pour les populations les plus déshéritées entraînent une course en avant vers des sociabilités juvéniles, avec leurs comportements hétérodoxes, qui sont autant de remparts symboliques à ces difficultés. Les constats plaident pour un effort massif, sans crainte des déséquilibres économiques, vers une discrimination positive dans l’investissement dans l’éducation des plus démunis et la mixité scolaire (d’où le thème de desserrement de la carte scolaire, si le système profite d’abord aux plus faibles)
… pour aboutir aux mutations de l’emploi
Les nouveaux modes d’emploi, plus précaires, touchent surtout certains groupes sociaux (seniors, femmes, jeunes) et nécessitent de sortir de modes de protection cloisonnés au profit d’une Sécurité sociale professionnelle (proposition des syndicats) attachée au salarié et non à l’emploi, couplée avec les processus de flexibilité, pourvu que l’ensemble profite aux personnes fragilisées, dont les jeunes. Il s’agit de compenser les manques flagrants dans l’entrée dans la vie active, en évitant aux jeunes la seule perspective de l’insécurité (cf. les réactions au CPE). De ce point de vue, le dossier reprend les propositions de Dominique Meda (auteur avec Alain Lefebvre de « Faut-il brûler le modèle français ? », présenté dans ce blog en mars) basées sur les comparaisons avec les systèmes nordiques.
… et enfin au thème de l’immigration
Le constat rappelle le faible sentiment d’appartenance des jeunes issus de l’immigration à l’identité collective française, avec néanmoins de profondes attaches à la nationalité et la culture française. Elles indiquent surtout une problématique des discriminations bien particulière : un modèle français d’intégration qui trouve ses limites, en lien avec un ordre ethnico-racial masqué (stigmatisation, regard discriminant à l’égard de certaines populations exogènes), rendant encore plus difficile la lutte contre les discriminations.
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Les nouveaux défis
C’est une nouvelle approche de la question de la jeunesse qui est ouverte, sortant de la seule présentation d’une jeunesse dangereuse pour la société, d’une jeunesse à maîtriser (cf. l’insistance actuelle sur la lutte contre la délinquance). Plutôt que de déplorer la non-intégration, il s’agit de reprendre dans le corps social une approche travaillée dans les établissements et services se réclamant du travail social : favoriser pour les jeunes les lieux de rencontres et d’apprentissage fabriquant de « la confiance institutionnelle en soi » à travers un ensemble « d’épreuves » diversifiées et ouvertes, favorisant une construction dans des histoires de vie, des parcours à accompagner.
Daniel GACOIN
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