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Une pratique ancienne…
S’inscrire dans un travail en équipe… une démarche développée depuis toujours dans les organisations sociales et médico-sociales, avec une ambition : lier la pratique sociale à la réflexion sur ses fondements. L’interrogation collective a ainsi constamment été une base et un gage de qualité, quels que soient les modèles d’organisation : service d’action militante, modèle charismatique, bureaucratique, professionnalisé, adaptable ou porteur de projets, … Relire les travaux des anciens, fondateurs ou promoteurs de services socio-éducatifs, d’organisations porteuses de la psychothérapie institutionnelle, de services sociaux avec leurs actions communautaires, est une occasion unique de retrouver cette piste majeure : les temps de réunions, espaces de construction du « travail ensemble ».
… et des dérives pourtant
La professionnalisation des approches et l’institutionnalisation des processus ont pu, avec les années, amplifier encore les démarches, mais hélas aussi, les éventuelles dérives : en particulier quand le jeu des espaces devient supérieur à leur fonction…. Ainsi, une réunion clinique ou une réunion de synthèse pourront voir leur dynamique détournée par des dimensions incidentes…
- Chambre d’enregistrement des faits : on écoute, élabore vaguement des pistes sans décision, repart sans éclairage, dérive parfois vers le « café du commerce... »,
- Lieu d’expression des luttes de pouvoir : sage ou grand parleur occupant l’espace ; lutte sur des options sans compromis ; règlement de problèmes institutionnels, etc.
- Lieu de débat sans fin : accrochages sur des points mineurs, réflexions théoriques sans lien avec l’usager, etc.
- Lieu de partage d’émotions : difficultés, ressentis, sans régulation autour d’un objectif,
- Espace de représentation : de nombreux intervenants (15, 20, 25 personnes pas forcément en relation avec l’usager).
Les réunions sont souvent définies comme le lieu de la communication. « Les choses s’y diront, se travailleront, se décideront », pas toujours en lien avec des objectifs repérés. « La communication prime ». Une véritable inflation est également possible avec des inégalités de situations entre organisations : celles où l’on se réunit pour tout au risque de la « réunionnite », celles où l’on se réunit peu ou pas assez, voire pas du tout.
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Un contexte nouveau
L’évolution de l’action sociale et médico-sociale, développant davantage encore de liens partenariaux, des articulations entre intervenants de nature diverse au mépris parfois des règles éthiques de confidentialité, nécessite de se pencher encore plus sur les dynamiques de travail collectif et les modes de réunion.
L’individualisation des pratiques est complémentaire d’actions ciblées et d’une mobilisation de l’ensemble des acteurs, spécialisés ou non, susceptibles d’intervenir dans une situation. Les politiques publiques, les propositions des intervenants sociaux recherchent un développement des mobilisations inter-institutionnelles. Dans les contenus de schémas départementaux ainsi, près de la moitié des réflexions des professionnels ou représentants d’institutions vont concerner les liens et l’organisation du travail en réseau ou de partenariat. Plus d’échange donc, mais également une proposition complémentaire : une véritable efficience des temps de rencontres.
… qui nécessite des repères affirmés
Cette efficience des réunions reste à construire bien souvent. Deux types d’apports sont classiquement proposés en termes de repères :
- Les positionnements de fond : situer les fonctions du travail en équipe et les décliner dans des plans de réunion. Les réunions doivent développer des démarches collectives à plusieurs niveaux, traduits dans un calendrier. On trouvera le fonctionnement autour de projets (personnalisés, collectifs, d’équipe, d’année, de recherche, de prestation expérimentale) avec leurs trois temps : élaboration, construction pratique et évaluation. On trouvera les temps de coordination et d’organisation collective, et aussi des temps d’élaboration de la « bonne pratique » (ses repères) et d’analyse des fonctionnements (analyse des pratiques). On trouvera enfin des temps de régulation des relations et coopérations entre professionnels.
- Les méthodologies : classiquement, elles se déclinent autour de démarches rationnelles. Il s’agit d’identifier par avance un intitulé, des participants, une fréquence tenue et formalisée par avance, une durée respectée, un type d’animation adaptée (tour de table, brainstorming, petit groupe / grand groupe, débat, etc…), une préparation de contenus, des comptes-rendus et suivi des décisions.
Quelques conseils pour construire une animation
Cette approche rationnelle mérite d’être traversée par le lien entre fond et forme pour construire, pour une équipe ou un ensemble d’acteurs « en réunion », les repères de la qualité. Il sera servi par une dynamique, un processus donc, qui développe une forme continue d’apprentissage : l’organisation apprenante. C’est pourquoi je propose quelques apports ciblés pour animer avec justesse les réunions.
# Conseil 1 : la préparation du contenu. Il s’agit pour un animateur de se décentrer de la seule question des contenus pour se poser, pour chacun d’entre eux, la question fondamentale : quel objectif de changement est visé auprès des participants (plus d’information, un autre regard sur une situation, une construction/recherche, une décision, une position commune, un regard sur soi-même) ? Cette préparation devrait être systématique, bien supérieure à la seule liste de contenus (l’ordre du jour).
# Conseil 2 : l’éthique de discussion (on se référera à Jürgen Habermas). Il s’agit en effet de développer, non pas une décision commune, mais une participation active de tous à l’exploration des modalités pratiques de décisions. Elle passe par une formulation exacte des décisions prises, en amont ou pendant une réunion, et par l’étude des conséquences pratiques pour chacun.
# Conseil 3 : le « comment » plutôt que le seul « pourquoi ». Les réunions sont souvent le lieu d’une analyse, pertinente certes, mais peu susceptible de permettre à chacun de se situer dans sa pratique et son vécu, y compris quand les contenus sont liés à des questions de délégation et de pouvoir.
# Conseil 4 : l’adaptation de la forme. Il convient d’être créatif, d’autant que les réunions, la plupart du temps, se suivent et se ressemblent étrangement. Plus la forme sera adaptée, plus l’efficience sera possible. Une réunion d’information devrait ainsi avoir une forme différente d’une réflexion thématique ou d’analyse des pratiques. Les variables de la forme sont : la disposition de la salle, les exposés de départ, l’utilisation de séquences (petit groupe / grand groupe, tour de table / débat, etc…). La variété est la règle à penser.
# Conseil 5 : la participation de chacun. Trop de réunions se réalisent avec une participation partielle des acteurs présents. Un tour de table avant débat est souvent la piste majeure permettant une variété de points de vue. Il suffit souvent et simplement de favoriser la préparation de chacun (avant la réunion) et d’écouter les propositions de chacun avant débat.
# Conseil 6 : la gestion du temps. Un protocole est indispensable : démarrer et finir à l’heure, des séquences découpées (on se référera à la règle des 3 tiers selon Pagnol dans mon livre « Communiquer dans les organisations sociales et médico-sociales »), l’approfondissement d’un point plutôt que le survol exhaustif de tous les contenus d’un ordre du jour, les décisions pour un temps, avec formulation du moment de leur évaluation, après mises en œuvre.
# Conseil 7 : le positionnement de l’animateur. Je propose qu’il se centre sur les mouvements dans le groupe plutôt que sur l’avancée des contenus : regarder chacun, regarder ceux qui écoutent et leur mouvement intérieur plutôt qu’uniquement ceux qui parlent, reformuler et renvoyer des questions, chercher ceux qui ne parlent pas (penser à la règle de E. Goffman : dire ou taire est souvent lié à la peur de perdre la face), être curieux des avis de chacun.
Daniel GACOIN
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