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Un nouvel ouvrage…
Tout spécialiste du social a pu comme moi construire sa pensée en utilisant, même quand ce n’était que partiel, les apports de Jacques Donzelot. On se rappellera ses trois ouvrages majeurs : « La police des familles » (Ed. de Minuit, 1977), « L’invention du social » (Fayard en 1984, aujourd’hui édité au Seuil) et « Face à l’exclusion, le modèle français » (Ed. Esprit, 1991). L’approche est historique (émergence du compromis de la protection sociale dans le social-républicanisme de la IIIe République), puis politique (retournement de tendance avec une protection sociale défendant davantage la société que les individus), et sociologique (modèles de lutte contre l’exclusion, émergence d’un « social de 3ème type », contre-effets de la question sociale et de la question urbaine).
… dans la continuité
Il poursuit depuis 15 ans ses recherches sur la politique de la ville et en livre souvent les contenus dans des articles de la revue Esprit. On relira ainsi « La nouvelle question urbaine » (Esprit, novembre 1999), mais aussi « Une politique pour la ville » (octobre 2005) dans des propos partagés avec Olivier Mongin (voir également l’ouvrage de cet auteur : « La condition urbaine », Seuil, 2005). On lira aussi les propos partagés avec Renaud Esptein, notamment dans « Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine » (Esprit de juillet 2006). L’ouvrage que j’évoque aujourd’hui, « Quand la ville se défait, quelle politique face à la crise des banlieues ? » est paru en avril 2006 et re-présente tous ces contenus en les reliant à un corpus cohérent.
… mais également le changement
L’intérêt de l’ouvrage consiste à isoler la problématique de la question urbaine, en la liant, mais en la différenciant également d’une seule résurgence de la question sociale. Cette différenciation le démarque ainsi de R. Castel (cf. les 2 ouvrages de ce dernier, déjà évoqués dans ce blog, « La métamorphose de la question sociale », Seuil, 1995, et « L’insécurité sociale », Seuil, 2003). Sur le fond, le propos critique est moins généraliste que les premiers travaux, plus actuel, plus constructiviste. Il propose davantage qu’il ne met en cause.
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Un contenu bien construit…
L’ouvrage est court (184 pages) et présente 3 parties, après un avant-propos contextuel (la crise des banlieues) et avant une conclusion au titre annonciateur (« l’esprit de la ville »). Le contenu a une utilité évidente, moins de 6 mois après la crise des banlieues de l’automne 2005 et le sentiment d’échec des politiques mises en œuvre.
…. avec une partie historique
Elle s’intitule : « la question urbaine, ou l’apparition d’une logique de séparation dans la ville ». Elle rappelle l’histoire de la question sociale : gestion de l’insécurité sociale dès le XIXe siècle, par des compromis partiels amorçant le compromis global de la Protection sociale, et par une recherche d’équilibre entre protection des individus et défense de la société. Le logement social fut un exemple de cette recherche, favorisant hélas des espaces de modernisation de l’urbain (ensembles d’habitat collectif des années 50 et 60) à l’origine de la question actuelle : séparation des espaces et violences urbaines. Son premier phénomène majeur est la relégation : ensembles devenus difficiles, désertés par les classes moyennes et ouverts aux seules populations pauvres, immigrés, ou de plus en plus marginales. Le deuxième phénomène est la péri-urbanisation : accueil à la périphérie de l’urbain des classes moyennes, dès les années 60, dans des espaces « d’entre-soi protecteur » peu adaptés à la fragilisation actuelle (mondialisation, changements économiques, chômage). La troisième ligne de transformation de l’urbain est la gentrification : construction au cœur des villes « d’espaces d’entre-soi sélectif et électif », par une population aisée de « manipulateurs de symboles » (les yuppies, les bobos, les intellectuels aisés), avides de quartiers populaires qui, tout en gardant leurs apparences, sont désertés par une population pauvre rejetée par l’élévation du prix du foncier. En bref la tripartition urbaine défait la ville.
… une deuxième partie critique
Elle part de la réalité de « la politique de la ville » et son mode majeur par traitement des lieux. Partant de ses fondements (développement social, diversification sociale de la population et contractualisation), elle en présente les étapes : développement social des quartiers (DSQ des années 80), développement social urbain (DSU des années 80-90), discrimination territoriale positive (début des années 90) et rénovation urbaine (fin des années 90). L’idéal de mixité sociale, visible dans tous les plans, les lois (loi d’orientation pour la ville, LOV, de 1991, de Solidarité et de renouvellement urbains, SRU, de 2000), est évidemment confronté à son échec. La rénovation des quartiers (équipements publics, démolitions à grand spectacle des « barres », etc…) n’a pas atteint l’objectif de mixité par retour des classes moyennes. Est également décrypté le mode de gestion publique des programmes par une action à distance (contrat, gouvernement par indices) peu adaptée aux réalités et besoins. La comparaison avec les politiques anglo-saxonnes et américaines, développées dès les années 60 et après leur réorientation des années 80, est bien intéressante : la réelle participation et l’objectif de mobilité des populations changent totalement la perspective.
… et une troisième plus ouverte
Elle propose « une politique pour la ville ». Sa première orientation regarde la mobilité facilitée plutôt que la mixité imposée (cette dernière consistait surtout à contrer l’immixtion des minorités ethniques dans les centres-villes). Est ainsi exposée une autre approche que la France avec le programme de mobilité de 5 grandes villes des Etats-Unis (« Moving to opportunity ») et ses résultats : l’efficacité d’une incitation financière forte des familles concernées par maintien d’une grande liberté de modalités pour chacune. Quelques propositions sont exposées : incitations financières, actions sur des espaces et des temps (dont la lutte contre les collèges ethniques)… C’est sur l’élévation de la capacité de pouvoir des habitants que l’ouvrage apporte les pistes les plus évidentes : sortir de la « rénovation bulldozer », des « participations factices », développer des véritables « community builders » au niveau des quartiers… En prolongement est proposée une pratique de rénovation et d’unification de la ville par la démocratisation des processus de rénovation.
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Quelques pistes de réflexion…
L’ouvrage est un véritable condensé de pistes nouvelles dont le premier mérite est de partir d’une lecture critique, tant des réalités des ambitions françaises (avec un constat majeur : leur échec) que de celles d’autres pays (à l’efficacité plus grande).
…pour infléchir les plans à venir
Chacun pourra retrouver une alternative aux politiques actuelles :
- La première concerne l’ensemble des moyens de la mobilité sociale (mouvement des populations à l’extérieur des quartiers difficiles) et non plus la seule mixité sociale (la politique de rénovation de ces quartiers pour attirer les populations moyennes ayant montré ses limites). Il est intéressant de noter que Donzelot n’est pas tout seul sur ce positionnement qui met en cause certaines des orientations actuelles : J-M. Petitclerc (prêtre éducateur bien connu) indique ainsi que « la politique de zonage n’a pas réussi à enrayer le phénomène de ghettoïsation », « la question de la mobilité doit être au cœur de la problématique du renouvellement urbain » (ASH, 30 juin 3006).
- La deuxième concerne la participation de la population et ses 3 niveaux possibles (manipulation/thérapie, coopération symbolique et pouvoir effectif). Il est intéressant de noter que pour J. Donzelot, la France ne présente aucun exemple d’expérimentation, au sein des territoires de rénovation urbaine, du 3ème niveau (pouvoir effectif des populations).
J. Donzelot éclaire un véritable défi pour l’action sociale et les dispositifs de rénovation urbaine : adopter une véritable « position tiers » pour développer une place active des populations (partenariat, délégation de pouvoir, contrôle citoyen).
Daniel GACOIN
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