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Une réalité diverse de services…
Depuis le début des années 80, l’accompagnement des familles et des parents s’est développé singulièrement en action sociale, au point de faire émerger de nouveaux métiers et services : le conseil conjugal, le conseil voire la thérapie familiale, la médiation familiale… La professionnalisation et le contrôle de ces approches sont devenus nécessaires pour poursuivre et contrôler leur développement mais aussi parfois pour écarter les personnes engagées simplement dans des formations de développement personnel et souhaitant ensuite trouver une activité pour s’exprimer dans l’aide à l’autre. Pourront ensuite exister dans certains services : des consultations en vue de conciliation entre parents, des visites accompagnées, des consultations conjugales avant ou post-conflit, des hébergements en vue de visites pour parents incarcérés, des consultations / thérapies familiales, des visites médiatisées, etc…
… en essor dans les années 1990
Le terme « médiation familiale » s’est implanté dans le paysage à partir de 1990. Les services se créent, les actions se développent pour les familles ou couples vivant des situations conflictuelles. Deux modalités principales se mettent en place :
- La réponse à des demandes volontaires des familles elles-mêmes, ou de services sociaux. Dans la foulée des approches de thérapie familiale, des formules de négociation et « problem-solving » aux Canada et Etats-Unis, la médiation s’étend avec des métiers très différents (15 professions représentées au 1er congrès de médiation familiale à Caen en 1990). En 1999, la création des réseaux d’aide d’accompagnement à la parentalité (REAAP) fait explicitement référence à la médiation familiale comme forme d’aide.
- La réponse à des injonctions formelles de magistrat. La loi du 8 février 1995 instaure le principe de nomination possible par un magistrat de la famille d’une tierce personne menant des actions de conciliation ou de médiation judiciaire, financées par les parties en cause, ou par l’Etat en cas d’aide juridictionnelle. En effet, une loi du 10 juillet 1991 a instauré la généralisation possible de l’appel au financement public des mesures ou frais de justice, pour les usagers ne bénéficiant pas de revenus suffisants.
…et pleinement reconnus dans les années 2000
Les 6 dernières années verront des avancées définitives :
- En 2001, un rapport de Monique Sassier (UNAF) vient plaider pour un véritable statut de la médiation familiale.
- Deux lois consacrent le recours judiciaire à la médiation familiale dans le nouveau contexte de l’exercice conjoint de l’autorité parentale : la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, la loi du 26 mai 2004 de réforme du divorce.
- Un Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale est créé en 2003 et officialise une définition et une charte déontologique. La définition : « un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ».
- Le métier de médiateur familial est créé par décret le 2 décembre 2003, avec dans la foulée les contenus nécessaires pour sa formation.
Tout semble ainsi indiquer un développement des approches, avec une fonction centrale (la médiation : les services et le métier), des modalités (judiciaires ou volontaires) et des services dérivés (accompagnement de visites, création de lieux neutres pour des enfants, visites médiatisées, etc…). D’autant que ces différents services bénéficient de financements complexes par subvention (DDASS, Conseil général, CAF, commune, Justice, Services pénitentiaires éventuellement), paiement des services directement (par les parents et familles eux-mêmes) ou indirectement (via l’aide juridique). Une des conditions d’existence des services reste la multi-activité : le soutien de l’exercice des droits de visites (plus demandées, plus rémunératrices) rendant souvent possibles l’équilibre financier des activités, dont la médiation familiale. Et pourtant…
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Une situation nouvelle…
Et pourtant en effet, une modification semble se mettre en place… La chancellerie a diffusé le 30 novembre 2005 une circulaire concernant le financement des mesures ordonnées par un juge des affaires familiales pour « des droits de visite dans les lieux neutres gérés par des associations ». Elle indique ainsi que le financement des droits de visites par l’aide juridique sera impossible, puisqu’il ne s’agit pas d’instructions judiciaires pour lesquelles cette aide est prévue. La circulaire rappelle que les associations concernées bénéficient par ailleurs de subventions du ministère de la justice.
D’emblée, les présidents de tribunaux de grande instance semblent appliquer la circulaire avec prudence ou d’une manière active… On trouvera ainsi des magistrats indiquant que la nouvelle disposition s’appliquera pour 2006, d’autres pour l’appliquer dès la publication de la circulaire, les derniers enfin pour l’appliquer de manière rétroactive pour tout ou partie de 2005. Toutefois, l’équilibre financier des associations et services risque d’être déstabilisé, tant dans l’avenir que pour les recettes de l’année 2005 (des recettes escomptées et non obtenues).
… à analyser au niveau judiciaire
Il semble que la circulaire soit à mettre en lien avec la rénovation des règles d’application de l’aide juridictionnelle : par ailleurs, une ordonnance a été adoptée sur ce thème le 8 décembre 2005, avec un projet de loi pour la ratifier, déposé au Parlement, au printemps 2006. Sur le fond, l’argumentation relevée pour la modification du financement des lieux neutres par cette aide spécifique et individualisée semble imparable.
… et pour l’avenir sur un plan plus large
Interrogeons les associations : leur financement devenu plus difficile (absence d’aide juridictionnelle pour les accompagnements de droits de visites en lieu neutre) est bien sûr à relativiser. Il ne s’agit pas en effet de toute l’action de leurs services, notamment pas des médiations familiales. Le changement peut permettre de s’interroger : une raison de plus pour élargir le champ des activités, de questionner les pratiques (tous les appels à l’aide juridictionnelle étaient-ils justifiés ?) et de la qualité de leurs actions (en la démontrant par des évaluations lisibles).
Interrogeons les pouvoirs publics : l’éthique de responsabilité dans une situation de changement de règles (et même si, sur un plan juridique, ce changement est justifié) consiste à en anticiper toutes les conséquences. Quand la chancellerie évoque un engagement par subventions déconcentrées (insinuant ainsi un double financement), elle oublie de préciser que cet engagement n’est en moyenne que de 6 681 euros par association et par an, loin des besoins donc. Par ailleurs, il semble impossible que le ministère de la Justice élude la nécessité d’examiner, avec chaque association, toutes les données de leur activité. Il s’agit de reprendre, éventuellement avec tous les autres financeurs, les obligations respectives en transformant les financements antérieurs (aide juridictionnelle pour les familles à revenu faible) par de nouvelles modalités individualisées.
Que le ministère s’engage donc en ne laissant plus les seuls présidents de tribunaux gérer dans l’improvisation la sortie des difficultés. Il y va de la stabilité des associations et au bout du compte, de la qualité des soutiens des familles en difficulté et des enfants trop engagés dans leurs conflits.
Daniel GACOIN
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