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Une évolution importante…
En 20 ans, des évolutions fortes ont été engagées dans le secteur social et médico-social par transformation de ses organisations et par un cadre légal et un pilotage public plus affirmés. Elles sont à relier à l’évolution globale de toute la protection sociale, autour d’avancées, pas toujours maîtrisées, sur des thématiques : « ciblage des interventions, définitions des prestations autour des besoins, traitement transversal de l’ensemble des problèmes sociaux rencontrés par une même personne, partenariat contractualisé des intervenants, administrations de « mission », décentralisation et territorialisation »…
…traduite dans des dynamiques
Elles génèrent des applications, positives ou porteuses d’effets pervers :
- Changement dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux : logique de dispositif plutôt que d’institution, logique de réponse plutôt que d’offre,
- Logiques d’individualisation, de projet et de contrat avec les usagers, leur participation devenant vecteur d’accompagnement, autant que la prise en charge et l’intégration/insertion,
- Modification des rapports entre autorités publiques et établissements et services : engagement, lisibilité, projet et évaluation, contrat d’objectifs et de moyens (COM), lien avec des schémas territoriaux, logique de diversification/flexibilité,
- Saturation des dispositifs d’insertion et effet « excluant » de leur bureaucratisation.
La recherche de la rationalité…
Le cadre légal s’est modifié, favorisant la conformité avec le droit positif des usagers : par exemple la loi du 2 janvier 2002, même si son application est encore inachevée ici ou là. La lisibilité des politiques sociales catégorielles a été complémentaire. Des progressions sont notables (loi du 11 février 2005 par exemple), mais l’incohérence est parfois possible avec des effets de brouillage : par exemple quand on confond prévention situationnelle (concept nouveau, concept utile) en prévention de la délinquance et suivi/repérage/fichage/encadrement des personnes en difficulté. Certains voient une progression d’un Etat sécuritaire/néolibéral, je lis aussi des incohérences... et des visions sans lien avec les véritables moyens.
… et les fameux « indicateurs socio-économiques »
La progression du pilotage public et de la cohérence gestionnaire m’occupe ici. Ainsi, depuis 2005, chaque établissement ou service social et médico-social a été obligé de transmettre des indicateurs socio-économiques détaillant activités, niveaux de difficultés des personnes accompagnées, volume d’interventions, moyens engagés, volume et qualification de leurs professionnels. Toutes les structures ont dû répondre et la masse de travail a été considérable. Elle se poursuivra chaque année.
… dont l’ambition peut inquiéter
L’objectif visait à ce que les données permettent d’égaliser les moyens attribués. Il est louable, tant les inégalités sont grandes… Des instituts médico-éducatifs (IME) par exemple disposent de moyens importants, malgré une population à difficulté légère, quand d’autres ont des moyens limités avec une population plus en difficulté.
J’y vois au départ un support positif… même si j’intègre que les applications des tableaux représentaient déjà tout un challenge (peu de clarté, inadaptation d’items, etc…). Mais j’entends aussi les craintes, notamment l’application comptable sans discernement.
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Des exploitations qui interrogent…
Et justement, les premières utilisations des données interrogent. Je prends l’exemple de la Franche-Comté Bourgogne. Lors des traditionnelles négociations budgétaires du début de l’année 2006, certains établissements médico-sociaux ont reçu des retours précis par les DDASS : leurs moyens sont suffisants puisque équivalents à la moyenne régionale ou départementale, donc ils ne peuvent être revus à la hausse.
En effet en mai 2006, des données globales sont transmises dans un document de la CRAM, et semblent confirmer les statistiques annuelles (données 2004) : places autorisées, places financées, taux d’occupation, personnels et taux d’encadrement/places financées, coût/place installée, poids de dépenses, produits de tarification (PDT), écart BP/CA, écart des PDT, excédent et déficit de l’exercice. Les données consacrent l’évolution du système d’information de l’assurance maladie (passage du système local SIMES au système national PRISMES).
Pour l’exemple des IME, le rapport CRAM indique un coût moyen annuel à la place de 33700 € en Franche-Comté, 32650 € en Bourgogne. Des tableaux récapitulatifs par établissement, dans chaque département, permettent de situer les écarts. Par exemple pour le Doubs : de 66900 € pour l’IME le mieux « doté » à 19200 € pour le moins « équipé ». De même les ratios d’encadrement, très détaillés, indiquent des variations entre IME : une moyenne de 0,66 professionnels par enfant dans le Doubs, mais un IME avec un ratio de 1,33 et un autre avec un ratio de 0,28. Ceci peut s’expliquer par des données objectives : une population polyhandicapée pour les uns, une population montrant une déficience légère pour d’autres.
Concrètement, la DDASS renvoyait en mars 2006 à un de ces IME son taux d’équipement dans la moyenne, sans possibilité d’évolution donc. Cet IME accueille des jeunes avec déficience moyenne à légère et troubles associés. Or après vérification, son coût à la place est inférieur à la moyenne (- 18 %) comme son ratio d’encadrement (- 21 %). Il conviendrait donc de ne pas faire dire aux chiffres ce qu’il ne disent pas… D’autant que, toujours pour cet exemple précis d’IME, ces données devraient être pondérées : l’établissement est ouvert 255 jours par an (une moyenne de 208 jours pour les autres), fonctionne en internat pour 90 % des jeunes alors que des IME à ratio similaire sont des externats. Ainsi le coût à la place et le ratio d’encadrement retenus auraient dû être diminués : baisse de 18 % au regard du nombre de jours d’ouverture et baisse de 25 % par comparaison avec des externats, soit 43 % au total)…
… nécessitant des réajustements
Je plaide pour une utilisation des données sur un principe de base bien connu en économie, la comparaison « toutes choses égales par ailleurs ». Je ne doute pas de la nécessité d’une cohérence et égalité entre structures, je doute de sa réalité et, par extension, d’une utilisation tronquée et sans discernement des données par les autorités de tarification. Que la CNAM utilise donc des clés de pondération des calculs du système PRISMES, connues par avance ! Qu’un groupe de travail national vienne proposer des modes de pondération des ratios, avec des règles lisibles, explicites et respectées !
… et des finalités à affirmer
Au-delà de la rationalité des calculs, et compte tenu de la généralisation à venir d’utilisation des indicateurs socio-économiques, c’est l’éthique des processus que j’interroge…
Elle passe par l’intégration des ratios dans les cartes des schémas départementaux, l’instauration de diagnostics partagés sur chaque territoire, de telle sorte qu’une DDASS ne soit pas à la fois productrice des données et seule utilisatrice des résultats, et ne soit pas tentée d’en tronquer les résultats. Il y va de la crédibilité de la garantie gestionnaire des fonds publics, il y va de l’éthique de la répartition de moyens d’accompagnement des personnes accueillies. Elles ont droit bien sûr à une continuité et adaptation des politiques publiques, mais également à une véritable égalité de traitement.
Daniel GACOIN
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