L’intérêt d’un débat…
Les auditeurs de France Culture auront pu se passionner pour les retransmissions, en direct, de quelques tables rondes tenues ces 12, 13 et 14 mai à Grenoble, lors du Forum de « La nouvelle critique sociale ». Mes obligations ne m’ont pas permis de m’y déplacer. Mais je ne résiste pas au plaisir d’en parler dans la mesure où il reprend, au-delà des constats, un positionnement qui m’est cher en matière de construction du « social » : celui de la compréhension à partir de concepts établis et d’approches rigoureuses, celui de la proposition avec recherche d’adaptation et de réforme sans invective ni catastrophisme, celui de l’échange des expériences.
… sur un thème ouvert
Ce Forum sur « La nouvelle critique sociale » est en effet conçu comme un temps de réflexion sur la société française qui va mal… par « la faiblesse des analyses et propositions au regard de ses maux sociaux »… par « la peine à se comprendre elle-même en restant sous l’emprise des clichés et des slogans ». Les débats proposés sont inscrits dans une triple approche : d’une part l’examen des mutations de la démocratie, d’autre part la compréhension des révolutions culturelles en cours, enfin l’analyse des tensions caractérisant le capitalisme contemporain.
… avec des promoteurs que j’apprécie
Soutenu par des partenaires (France Culture, Le Seuil, Le Monde, la Revue Esprit), le Forum est organisé par la République des Idées et la Nouvelle agence des solidarités actives, deux mouvements dont je me sens proche.
- La République des idées est un réseau d’intellectuels internationaux créé en 2002. Une des figures de proue est Pierre Rosanvallon, historien des idées politiques et de la question sociale, professeur à l’EHESS et au Collège de France. Je ne suis pas toujours d’accord avec ses thèses (notamment la réponse politique à la question sociale, par le compromis solidariste à l’égard du « peuple misérable et souverain » au XIXe siècle, appliquée à l’ensemble du système de protection sociale et jusqu’aux problématiques actuelles), mais bien en phase avec sa promotion du rôle des corps intermédiaires dans la démocratie. Ses ouvrages les plus connus sur le social sont « La crise de l’Etat Providence » en 1981 et « La nouvelle question sociale » en 1995. La République des Idées anime une collection d’ouvrages courts, mais riches de regards et propositions, édités par le Seuil. Plusieurs d’entre eux ont déjà été cités ici (Robert Castel pour « L’insécurité sociale », François Dupuy pour « La fatigue des élites ») comme dans mes livres.
- La Nouvelle agence des solidarités actives est créée en février 2006 avec comme figure de proue Martin Hirsch, énarque, président d’Emmaüs France, auteur de plusieurs rapports majeurs pour l’action sociale. J’ai présenté ici l’agence, dès sa création (Cf. les billets du 6 février et 4 mars), et je la soutiens comme membre.
Les thèmes du Forum…
- Le premier thème du Forum concernait le 12 mai la crise de la société française. Une réunion plénière accueillait un débat entre M. Hirsch, R. Castel, E. Todd (démographe de l’INED), T. Piketty (économiste spécialiste des inégalités), D. Meda (un des auteurs de « Faut-il brûler le modèle social français ? », présenté le 14 mars dans ce blog), et G. Mousca (de l’observatoire international des prisons). Il a été suivi de 4 débats plus thématiques (l’école des chances ; les nouvelles inégalités ; solitude et désaffiliation ; la France et ses territoires).
- Le deuxième thème concernait hier La panne de la société française avec un débat en séance plénière avec notamment F. Amara (présidente de "ni putes, ni soumises"), et P. Rosanvallon, suivi de 5 tables rondes (les conflits sociaux ; la sortie de l’impuissance publique ; les quartiers en relégation ; conjugalité, parentalité et mariage gay ; la France des 16-25 ans)
- Le troisième thème concernait hier L’individu déchiré, avec également un débat en séance plénière et des tables rondes (l’avenir de l’immigration ; mondialisation, délocalisation ; solidarités au XXIe siècle ; inégalités femmes-hommes ; diversité et gratuité dans la culture)
- Enfin aujourd’hui (mais sans retransmission radio hélas) des tables rondes (nouvelles frontières de l’éthique ; nouveaux médias et démocratie ; nouvel âge du salariat ; comme sauver la recherche ? La France et sa diversité) précèdent le dernier débat en séance plénière. Il porte sur l’état du capitalisme et réunit D. Cohen (auteur des 2 ouvrages majeurs que sont « Richesse du monde, pauvreté des nations » de 1997 et « Nos temps modernes » en 2000), J-P Fitoussi (économiste de l’OFCE), P. Duponchel (promoteur d’un statut universel de l’économie sociale et solidaire), P. Viveret (philosophe), S. George (vice-présidente d’ATTAC), P. Lamy (directeur de l’Organisation mondiale du commerce), et J. Peyrelevade (ancien membre du cabinet de P. Mauroy, ancien PDG du Crédit Lyonnais et auteur du livre « le capitalisme total » en 2006). Inutile de dire que la réflexion risque d’être particulièrement riche…
… annoncés par un premier ouvrage
Ce premier ouvrage est en effet paru, il y a quelques jours : « La nouvelle critique sociale » (au Seuil). Il introduit en effet le Forum de Grenoble et comprend déjà des articles importants. J’ai surtout apprécié une annexe avec tableaux chiffrés bien ciblés. Parmi les 7 thèmes d’articles, j’ai particulièrement apprécié ceux sur les nouvelles précarités (atteignant des pans entiers du salariat modeste et des classes moyennes), sur les métamorphoses du territoire (avec les écarts se creusant entre les solidarités réelles et leur présentation par les médias), sur l’impact des nouvelles formes de pénibilité dans le travail, sur le déclassement et la panne de l’ascenseur social, sur les formes modernes de pauvreté… Je ne peux qu’en recommander sa lecture, l’ensemble étant considérable.
… et les contenus à suivre
Et bien sûr, je propose à chacun d’être attentif à la sortie, à terme, des actes complets du Forum de Grenoble. On y trouvera plus de réflexions que de mots d’ordre, certainement des constats mais également quelques perspectives, des raisons d’espérer peut-être mais des pistes pour agir surtout…
Daniel GACOIN
Je n'ai eu, comme vous, que quelques échos sur France Culture- n'ayant pas pu suivre toutes les émissions ! Je vous rejoins sur la nécessité d'élaborer de nouvelles grilles de lecture d'une société sur laquelle on ne peut plus plaquer les anciens modèles ...
Rédigé par : Christian Viallon | 14 mai 2006 à 22:38
DITES MOI POURRIEZ VOUS M'ECLAIREZ SUR QUELQUES QUESTIONS MERCI SUR LE LIVRE DE D.COHEN "richesses du mondes pauvretées des nations".MERCI:
Quel est le profil de l'homme le plus pauvre du monde?
En quyoi peut on dire que les villes se sont enrichies au détriment des campagnes?
Qu'est ce que les appariements sélectifs?
En quoi alimentent t ils les inegalitées?
Rédigé par : lauren | 25 décembre 2006 à 23:41
Merci de vous intéresser à mes réflexions et merci pour vos questions, d’autant que les réponses sont faciles à formuler, même pour quelqu’un qui, comme moi, a lu « Richesse du monde, Pauvretés des nations » il y a 9 ans et ne l’a plus relu depuis. Cet ouvrage avait fait beaucoup de bruit à l’époque par sa construction prophétique : non seulement il faisait état de la diversité des inégalités construites avant même le grand mouvement de la mondialisation, mais il détaillait les mécanismes actuels et à venir d’aggravation de ces inégalités, au cœur de la troisième révolution industrielle. Je ne peux m’empêcher de vous conseiller de relier cet ouvrage majeur avec les 2 livres du même auteur qui ont suivi:
• En 2000 : « Nos temps modernes » prolongeait les premières réflexions et donnaient en particulier un éclairage sur les évolutions internes aux entreprises, que j’ai utilisé pour le champ social et médico-social dans mon premier livre, « Communiquer dans les organisations sociales et médico-sociales ». J’ai notamment repris son évocation de la pression accrue sur les salariés, devant s’adapter sans cesse à de nouvelles formes de plus-value, le facteur e du travail (motivation à coopérer, capacité à communiquer, à prendre des initiatives et de l’autonomie) devenant un nouvel étalon de l’évaluation de leur activité, plus stressant que l’adhésion à l’autorité et le simple respect des commandes.
• En 2006 (il y a 3 mois), dans la collection la République des idées, sont sorties les très intéressantes « Trois leçons sur la société post-industrielle », avec notamment un regard sur les ruptures à l’œuvre dans l’économie moderne, sur la nouvelle économie-monde et sur l’interrogation du modèle social européen.
Alors pour revenir à vos questions :
• Le profil de l'homme le plus pauvre du monde ? On se rappelle le propos plein d’humour de D. Cohen, nous rappelant que l’homme le plus pauvre du monde est... une femme, une femme africaine
• En quoi peut-on dire que les villes se sont enrichies au détriment des campagnes ? Le propos que vous retenez est situé au début de l’ouvrage et reprend un rapport de la Banque Mondiale , sur l’Afrique, qui indiquait que la moitié des richesses produites par les campagnes africaines sont en fait appropriées par les villes : un mécanisme passant par des centrales d’Etat ou marketings boards. (démonstration page 22-23)
• Qu'est-ce que les appariements sélectifs ? Ce processus largement détaillé dans l’ouvrage de 1997 est repris dans l’ouvrage de 2006. La théorie des appariements sélectifs est proposée par Gary Becker, prix Nobel d’économie dans une recherche iconoclaste sur l’analyse économique du mariage, avec les 2 formes d’appariements possibles lorsqu’un homme et une femme cherchent à se marier, des appariements entre semblables (sélectifs) ou des appariements asymétriques. On peut assimiler la société industrielle à un mariage asymétrique entre des gens bien dotés (ingénieurs) et des gens moins dotés (ouvriers). Lorsque les ouvriers deviennent exigeants, l’appariement asymétrique se brise. C’est ce qui s’est passé dans les années 1960, suscitant l’entrée dans une autre logique, celle des appariements sélectifs : les gens se retrouvent entre eux, entre classes homogènes, moins par amour de soi-même que par rejet de l’autre.
• En quoi alimentent-ils les inégalités ? C’est la suite de vos questions, mais vous trouverez les réponses tant chez Cohen (L’ouvrage de 1997 et le dernier de 2006), que chez Jacques Donzelot (souvent commenté dans ce blog) ou chez Eric Maurin et son excellent « Le Ghetto français », en 2005 à La République des Idées. L’absence de mixité sociale (chaque catégorie refuse toute ouverture à une catégorie plus basse) est la suite des appariements sélectifs, et un facteur d’augmentation des inégalités (géographiques, culturelles, professionnelles, etc…).
Tout cela interroge fortement et peut-être aurez-vous perçu l’amorce de pistes de travail, en termes de mobilité et de formation à la mobilité notamment… Un large débat.
Daniel Gacoin
Rédigé par : Daniel Gacoin en réponse aux interrogations de Lauren | 27 décembre 2006 à 12:39
Si ce n'est pas trop en demander pourriez vous répondre a ces questions supplementaires de facon claire et dévellopée s'il vous plait,merci:
Quelle est la caractéristique principale de la 3eme révolution industrielle?
En quoi genere t elle des inegalites?
Pourquoi peut on parler de fin du fordisme?
Rédigé par : lauren | 28 décembre 2006 à 16:08
pas de réponse?
Rédigé par : lauren | 29 décembre 2006 à 17:20
J'ai l'habitude, dans des réunions de famille, de jouer à un jeu qui s'appelle "mots et définitions", jeu qui a 3 particularités : il est drôle, tout le monde sait que c'est un jeu, et il reste cantonné à un espace/temps limité. Revenons-en à ces fondamentaux...
Concernant vos questions, je souhaiterais avoir un peu plus d'éléments sur leurs raisons, le contexte qui vous rend avide de réponses (s'agit-il d'un devoir de terminale ?) et un peu péremptoire dans la forme. Mais surtout je vous propose d'utiliser un autre canal que le blog, pour ne pas ennuyer les autres lecteurs. Je poursuivrai donc des réponses par un canal de mail, plus indiqué... à partir du moment où j'en saurai évidemment un peu plus sur vos motivations.
Daniel Gacoin
Rédigé par : Daniel GACOIN en réponse aux nouvelles questions de Lauren | 30 décembre 2006 à 09:55
Oui c'est en effet un devoir de premiere,et je ne comprens pas tout les éléments de cette 3eme revolution industrielle.c'est pouyr cela que j'aurais voulu avoir des réponses
Merci
Rédigé par : lauren | 01 janvier 2007 à 20:00
Je comprends mieux vos questionnements qui vont me faire aller vers mon penchant pédagogique. Je ne vous donnerai que les indications pour trouver les réponses, vous verrez c'est facile...
1. La caractéristique de la 3ème révolution industrielle ? Vous la trouverez au chapitre 4, après les propos sur la tertiarisation de l'économie (la prédominance des services dans l'économie), à travers son énoncé (la révolution informatique) et sa caractéristique/conséquence principale présentée en bas de la page 75.
2. En quoi génère-t-elle des inégalités ? Après la page 75 et après les propos sur la production "O-ring" (obligation d'un même niveau d'excellence sur la qualité de travail sur l'ensemble du processus de production, dans une organisation), l'auteur écrit 3 pages sur ces nouvelles inégalités, à travers l'apparition notamment de "nouveaux appariements" (vous vous rappelez votre question de l'autre jour sur la définition de ces "nouveaux appariements" et ma réponse ?)...
3. Peut-on parler de fin du fordisme ? Dans les pages 81 à 84, l'auteur donne les raisons de la fin du fordisme, en rappelant ce qu'est le fordisme (un contrat social proposé par Henri Ford, dans les années 30, avec "un haut niveau de salaire pour les ouvriers de ses usines automobiles, pour qu'ils puissent avoir une plus grande consommation, qu'ils puissent achèter... notamment ses voitiures") et la double réalité d'aujourd'hui : recomposition des lieux de production et désaffiliation des salariés. Elle permet de répondre à la question (page 84).
Bon courage
Pour de prochaines questions, passez par mon mail, en utilisant ses coordonnées dans la rubrique "à propos de l'auteur"
Cordialement
Daniel GACOIN
Rédigé par : Daniel Gacoin toujours sur les questions de Lauren | 02 janvier 2007 à 14:00
Je n'ai pas tres bien saisi pourquoi pouvait on parler de fin du fordisme,les explications données dans l'ouvrage sont assez complexes,je n'arrive vraiment pas a trouver les idees principales
Rédigé par : lauren | 03 janvier 2007 à 13:30
Daniel te l'expliquera certainement mieux que moi mais je pense que l'idee principale c'est la difference de traitement du travail non qualifié par rapport a avant.
voila mais je n'en suis vraiment pas sur
Rédigé par : Didier | 03 janvier 2007 à 17:24
merci mais il me faudrait une réponse plus claire.merci d'avance
Rédigé par : lauren | 03 janvier 2007 à 18:34
Il faut bien relire le texte : cela donne...
Fordisme = salaire + productivité = contrat social (salaire, affiliation des salariés, même non qualifiés) + organisation standardisée de la production (grande usine, découpage tâches, répétition, etc...) - c'est indiqué page 82-83
Situation actuelle avec 3ème révolution industrielle = fin du contrat social (fragilité et inégalités de répartition des revenus, désaffiliation des salariés non qualifiés, et désaffiliation partielle des qualifiés - c'est indiqué page 83-83) + transformation des modes de production (petites équipes, initiatives et non standardisation, appel à l'excellence de tous avec production O-ring - tout cela est indiqué auparavant)
Alors, Lauren, peut-on parler de la fin du fordisme ?
Daniel Gacoin
Rédigé par : Daniel Gacoin (dernières pistes pour Lauren) | 04 janvier 2007 à 06:07
je vous remercie beaucoup je ne vous embeterait plus avec mes questions,je vous ferez part prochainement de mon évaluation
Cordialement et encore merci beaucoup
Rédigé par : lauren | 04 janvier 2007 à 14:34