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Un rapport attendu, présenté comme sévère…
L’attention accrue des pouvoirs publics à la bientraitance ou à la lutte contre la maltraitance institutionnelle a généré une forte activité réglementaire. Depuis 1994 (nouveau code pénal insistant sur la protection des personnes « vulnérables »), de nombreuses circulaires et instructions ministérielles ont vu le jour, de 1998 à 2002, dont les circulaires Kouchner-Royal (voir mon billet du 22/04/06). La profusion d’obligations, mesures, inspections (la lutte contre la maltraitance en établissement est une priorité du programme d’inspection), nécessitait un examen critique, après huit années d’efforts supposés continus, d'où l'enquête confiée à l'IGAS. Son résultat était donc largement attendu…
Achevé en décembre 2005, son rapport est diffusé en mars 2006 (voir site : www.ladocumentationfrancaise.fr). Il a fait l’objet d’articles dans la presse spécialisée, peu dans la presse nationale, essentiellement établis à partir du résumé du rapport. Au cœur des commentaires, l’intérêt d’avoir pointé de « graves lacunes » dans le dispositif de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables en institution.
… mais une enquête limitée
A la base du rapport, des investigations : entretiens dans les ministères ou organismes publics et privés (dont les têtes de réseaux associatifs), rencontres « sur le terrain » dans 3 régions et 5 départements de ces dernières, revue de littérature, établissement d’un référentiel de contrôle de la mise en œuvre du dispositif. D’emblée, la limite apparaît… le travail de terrain étant peu probant : essentiellement des responsables de 3 administrations (justice, DDASS et conseils généraux), quelques établissements (1 par département, parfois 2), des têtes de réseaux associatifs limitées à 2 organismes (UNAPEI et APF) et un réseau d’écoute (ALMA) survalorisé.
… pour un rapport structuré
Ses 64 pages sont organisées en trois parties :
- Le contexte et la politique en construction, dans un cadre encore imprécis. Sont présentés les concepts (flous) de la maltraitance en institution, l’absence de mesure quantitative et qualitative, l’impulsion donnée depuis quelques années de manière volontariste.
- Le descriptif de la mise en œuvre de la lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables en institution. Sont décrits le pilotage départemental en cours de construction, l’investissement inégal dans la prévention, l’attention effective à l’expression des usagers, la mobilisation autour des inspections, avec ses difficultés, l’utilisation de PRISME (système central de collecte d’informations sur les signalements, avec 2 volets, SIGNAL et VIGIE, et 1 module « Plaintes »).
- Les recommandations pour une relance de cette politique : la clarification d’un pilotage départemental, le développement du partenariat, l’adaptation des outils, l’évaluation.
… avec des idées fortes
Est notée la conséquence d’une définition relative de la maltraitance, arrêtée par le Conseil de l’Europe et reprise par la DGAS (voir mon billet du 22/04/06), comme sa typologie (idem). Est rappelée aussi la différence à faire entre « maltraitance en institution » (acte isolé et circonscrit par un traitement) et « maltraitance institutionnelle » (actes et absence de réaction ou réaction inappropriée de l’institution). La limite des définitions concerne leur caractère peu opérationnel, peu articulé avec des concepts de droit.
L’ensemble du rapport amène une critique articulant progression des politiques de lutte (volontarisme, coordination des efforts, promotion d’une approche positive par développement des concepts de bientraitance, politique d’inspection) et difficultés (absence de référence, mauvaise lisibilité et coordination, enchevêtrement, absence de pilotage). L’accumulation des manques, malgré la volonté publique (à méditer en période de surenchère de positions politiques volontaristes…) est décrite avec, entre autres :
- Absence de coordination efficace entre Justice et Affaires sociales, de coordination lisible entre Conseils généraux et Justice,
- Difficultés dans les suites réelles de signalements,
- Absence de mise en place des « personnes qualifiées » dans les départements (une mesure de la loi du 2 janvier 2002, permettant écoute et instruction des plaintes des usagers, mais encore attendue),
- Services d’écoute téléphoniques divers, peu ouverts aux besoins (plages horaires réduites, etc.), peu évalués, peu reliés à la justice.
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Des propositions effectives…
Le rapport insiste sur la nécessité de poursuivre les efforts pour résoudre les dysfonctionnements et créer des supports d’évaluation, rendre plus lisible le dispositif par la mise en place, dans chaque département, d’une structure légère de pilotage (encore une !) de l’action entre représentants des pouvoirs publics.
… mais, au final, une déception.
L’examen critique est accepté par la DGAS qui, dans sa réponse, insiste sur sa volonté d’engager une nouvelle phase en matière de prévention de la maltraitance. Précisément du fait de ce consensus, j’ai le sentiment qu’au-delà des constats, le rapport est passé à côté de l’essentiel :
- Constats et propositions sont peut-être utiles, mais déployés comme des enfoncements de portes ouvertes créant un effet de répétition nuisant à l’ensemble, très éloignés en outre des vraies problématiques de terrain,
- Les données statistiques sont peu mises en valeur, alors qu’il en existe, dans un rapport finalement bien court,
- Les évolutions récentes des établissements sociaux et médico-sociaux sont ignorées. Le rapport promeut ainsi des actions (prévention, lutte contre les manques) par une nouvelle coordination des pouvoirs publics, sans prendre en compte les avancées réelles dans les institutions : rapport à l’évaluation, projet, interrogation des pratiques, regards externes (dont les inspections), progression de la logique de service…
C’est pourquoi les constats semblent imprécis, et les propositions peu nouvelles, puisque ignorant les deux axes de travail engagés (et à poursuivre) : l’exigence (parfois encore trop lâche) des pouvoirs publics, basée sur le régime de l’inspection et de la sanction, la promotion des interrogations internes des institutions (évaluation, ouverture, projets, etc…). Il eut suffi d’aller dans quelques établissements…
Daniel GACOIN
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