Une référence constante…
Quotidiennement, j’entends les professionnels des organisations sociales et médico-sociales exprimer le désir de trouver des lieux « soignants » pour s’interroger. Travailler sur ses faiblesses, avoir une réflexion « clinique », parler de ses doutes ou de sa souffrance… autant de besoins, de portes d’entrée du changement. Le support évoqué est celui « d’analyse des pratiques », avec des variantes toutefois : « réunions cliniques », « régulations », « temps de supervision », « analyse institutionnelle ».
Je suis aussi conduit à lire des rapports d’inspection d’établissements ou services, étant sollicité par des dirigeants pour les soutenir dans les évolutions préconisées. Au-delà des regards sur les dysfonctionnements ou des injonctions, les inspecteurs du contrôle formulent souvent des recommandations positives. Une d’entre elles revient régulièrement : mettre en place des temps « d’analyse des pratiques », ou de « supervision », ou de « régulation »…
… et des confusions
La récurrence interroge… comme le caractère interchangeable des mots pour désigner ces lieux/temps d’expression où seraient posés le vécu et la difficulté, avec un « psy » extérieur, sans responsables, sans obligations… Le professionnel l’évoque alors davantage de là « où il parle », sans se référer à une fonction définie : l’un pensera qu’il s’agit de régulation, l’autre de supervision, l’implicite étant suffisant… puisqu’il s’agira d’abord de parler et d’élaborer. Les malentendus et confusions sont légions…
… liées à des références tacites
Ils sont d’abord liés aux différentes références inscrites en filigrane dans les propos, traduites dans des présupposés, concepts plus ou moins explicites : la référence soignante, (analyse du désir ou du « contre-transfert »), la référence pédagogique ou éducative (amélioration de la relation pédagogique ou réflexion situationnelle sur la pratique, psychopédagogie), la référence institutionnelle (confrontation d’acteurs, d’environnements, de normes, tenant compte du fait que le « fonctionnement de l’équipe soignante est isomorphe à la structure du symptôme des patients qu’elle accueille »).
… et des évidences à interroger
La confusion conduit les uns et les autres à demander des lieux/temps en prononçant d’emblée des conditions systématiques, inscrites dans le marbre d’une supposée méthodologie de base. Ainsi, il n’est pas possible, est-il dit, de faire de l’analyse des pratiques « si un cadre est présent », ou de la « régulation » si elle n’est pas animée par un « psy » extérieur, etc... avec une certitude qui désarme, surtout quand cela ne s’applique pas forcément au type de réunion souhaité par l’interlocuteur.
Revenir à l’histoire et aux concepts…
Historiquement, les « interrogations des pratiques » ont été créées dans quatre approches :
- La supervision psychanalytique (interrogation du contre-transfert de l’analyste) est la plus ancienne, autrement appelée contrôle : démarche libre, hors champ institutionnel, financée par le soignant lui-même.
- La psychothérapie institutionnelle est la deuxième, inventée en clinique psychiatrique : lieux de parole entre tous les soignants, avec interrogation et élaboration des fondements d’une institution (confrontation instituant/institué comme support du cadre, devenant lui-même soignant).
- Les groupes Balint hérités du monde médical constituent la troisième : temps d’expression sur son vécu en relation de soin, ses difficultés en situation de travail, permettant de travailler son regard et son propre changement.
- La psychopédagogie est la dernière, travaillée en formation essentiellement : abord des situations de difficultés et des résonances, construction d’une analyse de la difficulté propre de l’usager ou élève, transformation de la situation relationnelle.
Les années 1970 ont vu ces démarches s’implanter dans les institutions sociales et médico-sociales, avec progression forte du modèle « supervision » : regard sur soi, du vécu à l’élaboration d’un changement. Qu’elle soit individuelle ou collective, 3 « règles d’or » y étaient évidentes : un « psy » extérieur, pas de responsable, le volontariat. Ces « supervisions » étant moins fréquentes à partir des années 1990 (coût, autres inflences que les références psychanalytiques), ont progressé les « analyses des pratiques » ou « régulations » qui, étonnamment, se sont vues attribuer les mêmes « règles d’or ». Je le dis fermement, il n’y a aucun fondement à cette attribution automatique.
… pour assumer des choix
En action sociale et médico-sociale, l’interrogation des pratiques est nécessaire, selon moi : c’est une condition de la qualité, un besoin pour respirer, un support pour évoluer… à condition de développer des possibles et non des méthodes systématiquement restreintes à quelques protocoles uniques... à condition d'affirmer des finalités et de les tenir
...et des possibles
Peuvent être développés, en les distinguant nettement, de véritables :
- Supervision : élaboration sur le vécu et la transformation du professionnel (et non analyse de cas ou institutionnelle). La préservation d’une approche psycho-clinique avec son éthique et son cadre formel est nécessaire : « psy » extérieur, protection, volontariat.
- Régulation : analyse des modes de relation entre professionnels. Un protocole éthique (non jugement, non reprise dans d’autres lieux) est indispensable, ces temps pouvant tout à fait être réalisés sans « psy » extérieur, en présence des responsables, avec obligation. Des approches de type problem-solving ou intervention systémique sont pertinentes, plus parfois que des temps d’écoute ou de recherche des causes.
- Temps d’analyse institutionnelle : recherche du sens et des fondements et confrontation fondements/légitimités/fonctionnements. L’intervention extérieure (et pas simplement celle d’un analyste) est possible, non automatique.
- Analyse des pratiques : abord de situations difficiles, avec recherche d’une dynamique de transformation des interactions. Elle peut se réaliser sur des protocoles éthiques (non jugement, non reprise dans d’autres lieux), sans ou en présence de responsables, sans ou avec un « psy » ou autre intervenant extérieur, avec ou sans obligation. Un choix est possible, il peut être lourd de sens. Dire ainsi qu’un cadre ne peut y participer sera choisir d’augmenter l’éloignement progressif des cadres à l’égard du terrain.
- Etude de cas ou de situation ou « réunion clinique » : abord de problématiques spécifiques des usagers, avec recherche des meilleures réponses possibles. La richesse des formules devrait être développée : appel à des experts, à d’autres modes de lecture (approche conceptuelle, approche méthodologique nouvelle), etc…
- Réflexion sur les pratiques : formulation positive de repères pour tel ou tel type ou modèle de situation ou de problématique. On trouvera de multiples vecteurs pertinents : écriture de « bonnes pratiques » ou de principes déontologiques, évaluation interne, temps de formation, autant que la réflexion théorique ou conceptuelle. L’ouverture des méthodes et intervenants devrait être de mise, les organisations pouvant sans problèmes les développer dans un agenda interne, avec créativité.
Choisir l’interrogation des pratiques me semble une évidence. Les organisations devront les financer, les professionnels accepter d’interroger les évidences y compris le caractère automatique de l'appel unique à un « psy » extérieur, les cadres et dirigeants affirmer les finalités et modalités, en les interrogeant régulièrement.
Daniel GACOIN
J'ai bientôt une rencontre avec toutes l'équipe pluridisciplinaire sur l'analyse des pratique institutionnelle, j'aimerai savoir si les cadres doivent impérativement être présents à cette réunion, et si il est normal de diviser l'équipe en deux groupe? Je suis éducatrice spécialisée et je travaille au sein d'un I.M.E accueillant des enfants défiscients intellectuels avec ou sans trouble envahissant du développement. Peuton parler de nos problémes rencontrés avec la hiérarchie? semble avoir un mur devant soi, pas d'écoute. Merci de bien vouloir me répondre. Dr
Rédigé par : arrault claude | 11 février 2009 à 16:02
escusez-moi pour les fautes d'orthographe. Je n'ai pas pris le temps de me relire.DR
Rédigé par : arrault claude | 11 février 2009 à 16:06
Concernant l'analyse des pratiques et contrairement à la supervision,
- la souplesse me semble importante dans la forme (pourquoi pas des cadres ? pourquoi pas des entités séparées ?),
- une grande rigueur me semble importante sur le fond. En effet l'analyse des pratiques mérite une clarté éthique (cadre confidentiel des échanges, respect des personnes, non utilisation des contenus en dehors du lieu analyse des pratiques) et une clarté de contenu (il s'agit de travailler sur l'évolution des interactions usager / professionnel et non sur des régulations institutionnelles).
Donc concernant vos dernières questions, je proposerai en effet de développer des temps de régulation.
Bien cordialement
Rédigé par : Daniel Gacoin en réponse aux questions de Claude Arrault | 16 février 2009 à 06:14