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Un auteur qui creuse son sillon…
Jean-Louis Laville apporte depuis 20 ans une production régulière : ses 1ers travaux sur les SCOP et l’économie sociale, dès 1985, sont élargis ensuite aux associations, aux actions d’insertion et aujourd’hui à l’économie solidaire. Outre son enseignement au CNAM sur « Les relations de service », il est devenu directeur de collection chez ERES, créée en 2005 sous le titre « Sociétés en mouvement ». L’auteur avait engagé une intégration au corps enseignant de Sciences Po, dans le sillage de Renaud Sainsaulieu, avec lequel il a rédigé un ouvrage remarqué en 1996 (Sociologie de l’association). Elle ne s’est pas poursuivie après le décès de ce dernier en 2002.
L’auteur travaille aujourd’hui le lien entre activité tertiaire et économie solidaire, en reliant un univers institutionnel (le tiers secteur) à des alternatives économiques (autre mode d’association et de production). Il entre dans un courant, creusé depuis 2 décennies, de « sociologie économique ». L’approche originale est souvent heurtée, chez J-L. Laville, par l’insistance à théoriser « l’économie sociale et solidaire ».
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Un nouvel ouvrage, fidèle à ses approches…
« Sociologie des services : entre marché et solidarité » est paru en 2005. L’ouvrage est structuré, construit comme une recherche universitaire : bibliographie, références et définitions sont systématiques, comme la progression dans les concepts et le lien avec des théories connexes. La construction nuit à la lecture par un grand public, elle montre la rigueur du propos.
En ligne de mire du livre, les activités de services, collectifs ou à la personne, en constante expansion dans le cadre d’une tertiarisation des activités de production engagée dès les années 1960. J-L. Laville explore leur intérêt dans un contexte d’évolution sociologique et économique global, en travaillant sur la dynamique « d’encastrement » qu’elles soutiennent, ce dernier concept étant complémentaire, mais allant bien au-delà, de celui de « contingence », travaillé en sociologie des organisations (notamment par Sainsaulieu, dans son lien avec les identités des organisations).
… avec un contenu structuré
L’ouvrage, relativement court, comporte 4 chapitres :
- L’introduction pose un décor à partir de la tertiarisation de l’activité productive, sur les activités de service et au-delà, la relation de service.
- Le 1er chapitre est consacré à la transformation des entreprises privées. Le regard sur la production de masse est centré sur le passage (crise de la taylorisation) du couple productivité-standardisation au couple flexibilité –diversification, avec nécessité d’une implication au travail plus forte des salariés et développement du « management participatif ». Le « nouveau système de performance » oblige à la recherche de compromis entre souci de productivité (rationalisation taylorienne) et souci de flexibilité (rationalisation professionnelle).
- Le 2ème chapitre s’intitule « le service public au défi de l’usager ». Il développe les transformations des organisations d’action sociale. L’équilibre de la période d’expansion (approche objective des besoins, cloisonnement entre « liquidateurs des prestations » et travailleurs sociaux), se transforme par nécessité de personnaliser des relations de service et standardiser les modes de gestion. Les politiques de communication et de qualité réintègrent le registre expressif et privé des usagers.
- Le 3ème chapitre porte sur les associations dans les services aux personnes, à travers les « services de proximité » signifiant une inflexion dans les conceptions : rapprochement physique et territorial, relation déterminante entre prestataire et usager (plus impliqué), lien avec le traitement social du chômage (emplois aidés et de proximité). L’auteur avance un idéal type de « services solidaires », proche du modèle associatif : espaces publics de proximité, possibilité de mobiliser des ressources marchandes, non marchandes ou non monétaires. Il plaide pour une progression des organismes associatifs, réputés porteurs de l’économie solidaire.
- Le 4ème chapitre lie les changements économiques aux questions sociologiques. Il aborde l’encastrement évoqué plus haut et la progression de la modernisation des organisations sociales « par » l’usager. Actualisant la justification de l’intervention publique, elle interroge les agents et oblige les directions à penser innovations technologiques ou gestionnaires et cultures ou projets d’entreprises.
La conclusion développe les choix d'une économie plurielle à travers l’économie de service. Ainsi les relations de service, incluant un acte de coproduction, devraient être soutenues pour l'auteur par une nouvelle légitimation de l’action publique allant au-delà des réformes internes du service public : le soutien des activités favorisant des dynamiques de socialisation et de projet collectif.
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Une définition majeure…
J-L. Laville pose une définition socio-économique, majeure, de la relation de service : « un acte de production économique s’appuyant sur des interactions informationnelles entre un prestataire A et un destinataire B (consommateur, client, usager…) ». Il a « pour objet la modification par le prestataire A d’une réalité C destinée à B », C pouvant être :
- « Un bien ou un système technique que les interactions ont pu adapter dans sa conception et mettre à disposition,
- Des individus que les interactions affectent soit par captation d’informations (traitement, transfert, gestion) les concernant, soit par transformation de certaines de leurs dimensions personnelles (physiques, intellectuelle, etc…)
- Des entités collectives (entreprises, administrations,…) que les interactions ont pour mission d’analyser sous certains de leurs aspects (techniques, structurels, professionnels…) ».
Cette définition rigoureuse va bien au-delà des contenus proposés par des auteurs sépcialisés en action sociale, elle développe le principe d’une interaction porteuse de co-production, elle propose une assise aux explorations diverses sur ce thème, précisément pour l'action sociale et médico-sociale.
…et des limites...
Mais les concepts proposés, majeurs, restent problématiques quand ils formulent un idéal-type d’organismes solidaires, supposés être particulièrement à l’œuvre dans les services de proximité. L’économie sociale (tiers secteur formé par les coopératives, mutuelles et associations gestionnaires) est alors peu différenciée, sur un plan conceptuel, de l’économie solidaire, avec une vision peu fondée du lien et des différences avec l’action sociale. En outre, l’auteur explore peu la relation de service, en intervention sociale, sous l’angle marchand, pourtant un axe majeur des évolutions récentes, pourtant un axe majeur des clarifications à promouvoir pour l’avenir.
...renvoyant à un approfondissement
Un ouvrage utile donc, construit et nécessaire, mais qui ne répond pas à certains questionnements :
- L'intégration des services dans l'ensemble des interventions sociales,
- La différenciation et l'articulation entre services marchands, services d'action sociale publique, formules intermédiaires,
- Les perspectives de développement des services, et les politiques adaptées en la matière,
- La réalité de mobilisations possibles de ressources, y compris celles de la participation directe des usagers.
Derrière la réponse à ses questions, se trouve, selon moi, une part des évolutions possibles de l'ensemble de l'action sociale.
Daniel GACOIN
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