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Une affaire ?
Grâce à l’opiniâtreté d’une association, l’association de défense des handicapés de l’Yonne (ADHY), chacun a pu lire depuis de nombreuses années le feuilleton d’une affaire qui laisse, à travers les comptes-rendus des médias, un goût de cendres et d’amertume au lecteur, quel qu’il soit :
- Une association (comité départemental de l’APAJH) œuvrant pour le soutien et la dignité de personnes handicapées qui a laissé s’installer une zone de non-droit : toute puissance des dirigeants, exploitation réelle et parfois sexuelle de jeunes handicapées, avantages indus des responsables,
- Des disparitions qui n’ont pas été signalées puis prises sérieusement en compte par les autorités judiciaires et policières locales,
- Un auteur présumé qui n’est pas encore condamné, 20 ans après certains faits, malgré les charges accablantes qui pèsent sur lui,
- Un espace de complicité explicite ou tacite, impliquant de nombreux responsables publics.
Ce scandale énorme touche à sa fin, heureusement… Mais la réalité laisse pantois : des jeunes filles exploitées, martyrisées, violées, enlevées, assassinées... sans que les mécanismes de sauvegarde aient pu réellement fonctionner, alors même que le scandale était notoirement connu.
… Non ! deux affaires !
Dans ce contexte et dans le même département, une autre affaire est en cours : une plainte déposée en 2000 par la même ADHY à propos d’opérations de stérilisation forcée (ligatures des trompes) à l’encontre de 13 jeunes femmes handicapées, travaillant dans un CAT-Foyer dépendant de l’APAJH – Fédération nationale, pendant la période 1994-1998. Cet établissement était à la fois lieu de vie et d’accompagnement et assumait un service de tutelle aux majeurs protégés pour ses résidents, lui permettant de les représenter dans tous les actes de la vie civile.
La plainte avec constitution de partie civile par l’ADHY avait été déclarée irrecevable à l’époque de son dépôt, du fait que l’association n’avait pas le droit d’agir en lieu et place des personnes handicapées. Et pour cause, seul le CAT, avec sa délégation de tutelle, pouvait le faire en 2000. Ce n’est qu’en 2004 qu’une plainte a été enregistrée (pour 5 situations seulement), après que l’union départementale des associations familiales (UDAF) se soit vue transférer la mission de tutelle de ces personnes.
Le résultat de cette 2ème affaire : un non-lieu car les faits sont maintenant prescrits et les charges seraient insuffisantes, une humiliation supplémentaire pour les personnes concernées (une seule a été entendue, la décision a été annoncée par voie de presse, avant même que les intéressées aient reçu un courrier officiel de la décision de justice).
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Poursuivre la lutte contre la maltraitance institutionnelle
Loin de moi, l’idée de relater ces situations dans un seul souci du sensationnel. Elles nécessitent néanmoins de faire un point sur la lutte contre la maltraitance institutionnelle.
Depuis la loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, mais également depuis les circulaires Kouchner-Royal (juillet 2001 et avril 2002), les pouvoirs publics imposent la nécessité de signaler tout fait de maltraitance, en protégeant les salariés qui effectueraient des signalements. Une définition formelle est posée par le Conseil de l’Europe qui indique que la maltraitance concerne « tout acte, ou omission d’acte portant gravement atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté ou qui compromet gravement le développement de la personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière ». Une typologie est établie : violences physiques, violences morales, violences matérielles et financières, violences médicales ou médicamenteuses, négligences actives et/ou passives, privations ou violations de droits.
Les processus d’évaluation de la qualité des pratiques d’une part, les procédures d’inspection des établissements accumulant des facteurs de risque, la promotion de repères de la bientraitance viennent ainsi compléter ces obligations.
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Intérêt et limite du concept de bientraitance
De nombreux établissements ou référentiels qualité insistent aujourd’hui sur les repères de la bientraitance : sa promotion, la formalisation des bonnes pratiques, etc… C’est sans nul doute un progrès : modèles positifs, approche rationnelle, construction partagée.
J’insiste néanmoins sur le fait que cette « euphémisation »* de la référence à la lutte (prévention, traitement) contre la maltraitance comporte un risque : celui d’une perte de vigilance, d’une formulation d’un seul côté, positif, de la question de la maltraitance. Il convient à mon sens de regarder l’autre côté des réalités : celui de la violence potentielle des institutions et des pratiques dans les organisations sociales. Il sera à examiner tant dans l’absence de lieux d’expression des personnes, d’interrogation mutuelle des professionnels ou des dirigeants des organisations, que dans l'absence d’un examen critique des légitimités institutionnelles, y compris à propos des violences réalisées pour « le bien » des personnes.
Daniel GACOIN
* Le terme est employé dans un excellent dossier du CREAI Rhône-Alpes de juin 2004
Daniel,
Bravo pour cet article courageux sur un sujet sensible et difficile.
Approche positive oui, mais aussi, sujet qui fâche ...
Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait qu'on pourrait, à terme, créer, au sein des établissements, des "coquilles vides", de beaux projets où la prévention des maltraitances, la bientraitance figurent en belle place, mais qui, peu à peu, prendraient la poussière ...
Il y a nécessité à faire vivre régulièrement, au quotidien une sensibilisation sur cette question de la prévention des maltraitances, à dénoncer et à sortir des "petites" habitudes où les négligences, les oublis accumulés, peuvent engendrer pour les usagers un sentiment d'ignorance ou de non respect.
Pouvoir aborder cela reste un exercice qui nous est difficile, voir douloureux pour certaines équipes.
Je dis nous, car cette question ne concerne pas uniquement les équipes encadrants directement les usagers, elle implique aussi les Associations, les services, les cadres de direction et techniques, le mode de management, la formation, une volonté institutionnelle...
Manager la qualité, et plus particulièrement la prévention des maltraitances implique une dynamique relayée par chacun, par un examen régulier de ces questions ; je mets actuellement en place dans mon établissement une instance trimestrielle de prévention des maltraitances dont l'objectif sera d'aborder, avec des représentants de chaque équipe, ce qui est potentiellement maltraitant dans nos pratiques, dans notre accueil.
Il s'agit bien de décrypter les violences "inutiles" dont parle aussi TOMKIEVICZ dans son ouvrage "Aimer mal, Châtier bien".
La communication autour de ces questions devrait pouvoir s'élaborer dans un cadre permettant aux équipes de pouvoir aborder ces questions de front. Or, tu sais comme moi, combien ces questions sont culpabilisantes, combien il est difficile parfois de nommer ce qui touche à un mode de relation, un fonctionnement individuel...
L'appui des psychologues, les temps d'analyse de la pratique, les supervisions, me semblent être des éléments indispensables à cette élaboration.
Au quotidien, le croisement des regards, la confrontation au sein d'une équipe interprofessionnelle sont aussi une garantie contre notre tendance naturelle à autojustifier nos actions ...
L'évaluation, le regard extérieur concourent également à ce travail.
Un petit exemple bien actuel de "glissement" : Qui se pose encore la question, pour les professionnels, de l'utilisation personnelle de leur téléphone portable (parfois intempestive pour certains... "attends tu vois bien que je suis au téléphone ...), alors qu'ils sont en entretien, en charge d'un groupe ? Qu'en pense les usagers ? ...
Rédigé par : Jean-Michel ZEJGMAN | 24 avril 2006 à 07:22