.
Des changements …
Les services d’accueil et d’accompagnement des personnes toxicomanes se trouvent depuis 3 ans soumis à des changements, de rattachement administratif et/ou de statut, qui mobilisent et transforment les dynamiques internes. Tout à la fois, ils inquiètent et favorisent des constructions, mais font apparaître également des questionnements notamment sur la lisibilité et les effets pervers des politiques qui les soutiennent.
… au-delà d’une évolution continue
Les centres d’accueil pour toxicomanes, avant cure, et les centres de post-cures se sont développés dans les années 1970. Au cœur de leur création : la perception d’un problème grandissant dans la jeunesse, la lecture de la toxicomanie (rencontre, dans un certain contexte, d’une personne et d’un produit).
La prévention primaire (ensemble de la population) et secondaire (groupes à risque) est peu à peu venue compléter les approches dites « de traitement », puis la prévention tertiaire, censée limiter les conséquences des usages, notamment la transmission de maladies. À la fin des années 1980, sont lancés les programmes de distribution de matériels (seringues,…). Le sentiment que la toxicomanie s’inscrit comme un item de difficultés plus larges conduit à valider (décret de 1992) les centres spécialisés de soins pour toxicomanes (CSST), différenciés des dispositifs antérieurs (parfois hors norme), avec une mission de « prise en charge médico-psychologique, sociale et éducative et d’aide à l’insertion », et le maintien d’un possible anonymat de leurs bénéficiaires.
Se construisent ensuite les réseaux sanitaires de types ville-hôpital (1993) impliquant de multiples acteurs, particulièrement utiles dans la mise en œuvre (1995-1997) des premiers programmes officiels de substitution : méthadone et subutex. Les distributions de matériels gratuits se développent puis, au début des années 2000, les interventions en événement de type "festival rave" ou "rave partie". Les principes d’action lient la toxicomanie d’une part à l’exclusion (groupes à risque, groupes désocialisés), d’autre part à une forme d’addiction, comme l’alcoolisme (on sort de la seule approche produit), avec souvent cumul (drogues, médicaments, alcool, etc…). Ils justifient des velléités des pouvoirs publics : créer des centres « d’addictologie » généralistes, pour tous types d’addictions.
Ils ne se mettent pas en place, la reconnaissance de la spécificité de la toxicomanie perdure, avec financement sanitaire et politique interministérielle. Les évaluations des actions et services (2001-2003) permettent de constater :
- 2/3 des toxicomanes pris en charge avec un traitement de substitution malgré l’absence de références de « bonnes pratiques »,
- 226 CSST sur le territoire français, 11 départements sans CSST, 132 CSST prescripteurs de méthadone (total : 6 500 personnes), 121 prescripteurs de Subutex (total : 9 200 sur 55 000 personnes bénéficiant de cette prescription en France). 20 % environ de la population dans ces programmes sont suivis par un CSST,
- Des évolutions : articulations accrues entre intervenants, pas toujours satisfaisantes, population qui va globalement mieux (effets des prescriptions) malgré la persistance de comportements « exotiques » (multi-addiction, etc…).
.
Le changement actuel
En 2003, les CSST ne sont plus rattachés à une action sanitaire, mais médico-sociale. Un décret (26/02/2003) fixe les conditions d'organisation et de fonctionnement des CSST (toutes structures spécialisées de soins aux usagers de drogues illicites). Le contenu du décret évoque des missions (prévention, accueil, prise en charge), et actions à mettre en œuvre (accueil/orientation, diagnostic et soins, prescription et suivi de traitements de substitution, prise en charge sociale et éducative).
.
Une première mobilisation…
Par ce rattachement au secteur médico-social « à titre expérimental pour 3 ans », les CSST vont vivre une première transformation, liée à la mise en œuvre des obligations de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Ils se mobilisent pour : écrire un projet d’établissement, un dossier CROSMS (officialisation de l’autorisation provisoire de fonctionner), préparer la visite de conformité, construire des livrets d’accueil et règlement de fonctionnement à destination des usagers (diffusés avec la charte des droits et libertés), construire des approches par projets individualisés écrits, poursuivre l’utilisation d’outils statistiques sur l’activité individuelle et collective (le complexe système RECAP), etc… Bref, des chantiers considérables, nécessaires pour obtenir, à la fin de la période de 3 ans, l’autorisation de fonctionner pour 15 ans.
… pour en arriver à de nouveaux bouleversements…
Premier changement : en 2005 (19/12/2005) arrive un nouveau décret officialisant la création de centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARRUD), qui ne sont pas des centres de soins, mais d’accueil, de premier soin et d’orientation. Le décret officialise une mission assurée (et financée…) par certains CSST, dans leurs murs, mais également hors de leurs murs (présence dans la rue).
Deuxième changement : en mars 2006, une circulaire indique que les CSST pourront obtenir de manière tacite, fin 2006, leur autorisation de fonctionner de 15 ans. Mais elle précise que les CSST fusionneront avec les centres de consultation de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) pour devenir des CSAPA : centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (drogue, alcool, tabac…).
Troisième changement : les conditions de financements se sont modifiées depuis 2/3 ans, comme les conditions de validation des budgets. Contrairement aux périodes précédentes, les délais d’examen se sont singulièrement allongés : un budget peut parfois être validé pour l’année à venir plusieurs mois après le début de cette même année. Les financements des CAARRUD se réduisent (équivalent 2004 moins 10 %).
… et leurs conséquences
L’insécurité gagne, les certitudes et stabilités s’éloignent, les actions s’amenuisent… Et ceci alors même que les modifications à venir sont importantes (construction des CSAPA). La réalité ainsi proposée : une réforme avant même d’avoir pu engranger et tirer les leçons de la précédente.
Et quelques effets pervers existent également. M’a été transmise aujourd’hui la réalité d’une importante ville de province. Un CSST assumant une mission d’accueil de type CAARRUD depuis de nombreuses années réalisait par le passé, avec des financements annexes, la présence dans les « raves » et autres évènements du même type (« Technival »). Ceci permettait de favoriser un contact, une information, de la prévention de risques auprès de jeunes s’adonnant dans ces lieux à l’usage de produits toxiques et singulièrement dangereux. Les financements anciens (« mission rave ») assuraient quelques postes (temps partiels) complétés par des bénévoles.
Or depuis le décret CAARRUD, le financement des « missions rave » a été supprimé, car c’est le budget du CAARRUD qui doit l’assurer. Malheureusement, il est singulièrement en baisse. En bref, ce CSST ne peut plus assurer sa mission dans ce type d’événement. Il se trouve qu’à l’occasion du week-end pascal, une grande manifestation, vraisemblablement suivi d’un « Technival » sauvage, est programmée (diffusion de messages sur internet). Pour la première fois depuis longtemps, ce CSST ne sera pas en situation d’assurer sa mission et le manque pourra avoir des conséquences néfastes, sinon funestes.
Conclusion : le changement c’est bien... l’anticipation et l’éthique de responsabilité, c’est mieux.
Daniel GACOIN
vous avez parfaitement restitué notre les préoccupations récurrentes et les difficultés qui sont les nôtres depuis plusieurs années.
quand on analyse quelque peu la littérature parue concernant la délicatese avec laquelle doit être accompagné le changement dans les établssements que nous dirigeons , on se demande comment faire en sorte que cesse le tourbillon réglementaire dans lequel nous nous trouvons pris , sans plus pouvoir reprendre le souffle nécessaire à l'élaboration d'une pensée sur les enjeux de notre intervention auprès des patients.
Ces derniers pourraient bien en effet passer à la trappe,pûisque par définition eux ne sont conformes en rien à ce qui est requis aujourd'hui, rétifs qu'ils sont au dressage des comportements à l'oeuvre dans une part de l'action sociale aujourd'huiDBL
Rédigé par : Danièle Bader- Ledit | 01 juin 2006 à 19:35