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Une spécialité française…
Les débats publics sur la question sociale, centrés sur le bras de fer du CPE, sont également occupés par un thème croissant : le dépistage des délinquants, pardon ! des enfants montrant des troubles de la conduite, dès 3 ans. Et les propos sont devenus rapidement extrêmes, dans un débat très hexagonal :
- Un rapport d’experts : publié par l’INSERM en septembre dernier, vite dénoncé comme caution d’une vision sécuritaire,
- Des mots d’ordre véhéments : repris par une association créée pour la circonstance « Pas de 0 de conduite pour les enfants de moins de trois ans », ils évoquent le refus du dépistage des enfants présentant des troubles de la conduite, le refus d’un univers américanisé ou bigbrother-ien. Ils dénoncent un système où les enfants, dès 3 ans, seraient « fichés après identification de comportements à risque qui sont l'amorce d’une délinquance future inexorable », traités systématiquement avec des médicaments psycho-actifs, « suivis à travers un carnet de comportement de la petite enfance à l’âge adulte », avec la complicité des enseignants, travailleurs, psychologues et médecins, « tenus de dénoncer les enfants à risque aux maires de leur commune », voire à la police.
- Des dénonciations de ces critiques et refus : Elles affirment le scandale de cette pétition, « ces propos de pompiers pyromanes »… « ayant vocation à affoler le public, alors qu’il s’agit uniquement d’évaluer des enfants qui engagent un parcours handicapant où ils seront prisonniers de leurs comportements ».
- Un début de spirale médiatique : se succèdent des articles parlant ici d’une manifestation, là d’un débat entre quelques sommités, des dossiers circulant sur Internet, une pétition dont le volume de signataires est présenté comme signal d’une adhésion se répandant comme traînée de poudre…
… avec des ressorts habituels...
Comme d’habitude, on trouvera dans cette discussion tronquée : une absence de rationalité, des provocations et amalgames, des prises de positions symboliques marquant l’appartenance à telle ou telle identité ou communauté, le refus de part et d’autre de chercher ce que dit réellement l’autre et ce qu’il souhaite ou promeut réellement. Je le dis avec d’autant plus de netteté que je suis, sur le fond, peu enclin à soutenir tout système de fichage des enfants aux comportements à risque.
… générateurs de confusions
Bien sûr, avec les liaisons entre approches ou événements, les confusions affleurent :
- Les présupposés politiques : un projet de loi sur la prévention de la délinquance dont la version définitive n’est pas connue (plusieurs versions de pré-projets circulent depuis 2003… et personne ne sait réellement celle qui vaut à ce jour) et des discours à vocation électorale du ministre de l’Intérieur. Chacun croit deviner ou devance ce que pense l’autre… en est réduit à des commentaires... sur des commentaires sur l’amorce du début d’un projet de pré-projet de loi !,
- Des présupposés théoriques, au-delà des visions politiques. Deux thèmes font débats dans les échanges : l’évaluation des comportements à risques (sa légitimité éthique, ses méthodes, ses dangers), le traitement des comportements à risques (on retrouve là un débat antérieur sur l’efficience des différentes approches psychothérapiques) avec l’idée d’une supposée proposition des experts de l’INSERM qui prôneraient l’usage intensif de médicaments.
Revenir au propos…
Notre premier conseil sera de demander à chacun de lire réellement le fameux rapport : combien l’ont sérieusement fait ? Je note d’ailleurs que certains signataires de la pétition en ont un jugement positif. L'un d'entre eux, Boris Cyrulnik par exemple, à qui l’on attribue toujours, et à tort, la paternité du concept de résilience, affirme : « ce travail est bon, sur les études de comportement, c’est très bien, sur le développement de l’enfant aussi… ». Les arguments principaux contre le rapport sont plus liés à son utilisation qu’à son contenu.
… pour mieux le critiquer
Il est judicieux d’avoir une approche critique du rapport à deux niveaux, qui le concernent directement : le niveau scientifique, le niveau de l’éthique
- Sur le plan scientifique, je cite quelques exemples d’une critique fondée. Dans l'étude du trouble de la conduite (TC), des troubles oppositionnels avec provocation (TOP), du trouble associé de déficit de l'attention / hyperactivité (TDAH), aucune définition adaptée n'est posée, la typologie et la classification des symptômes ne sont pas discutées, il aurait été nécessaire de se baser sur une typologie plus ouverte des troubles de la conduite, en se basant sur une approche de terrain. Or les 4 items des symptômes retenus sont réducteurs. La méthode d'étude de la prévalence (fréquence) s'appuie sur une approche classique par bibliographie affirmant : "d'après les études internationales, on peut estimer la prévalence à...". Or la bibliographie est établie sur des études anglosaxonnes (une seule étude française, à Chartres). En soi, la recherche manque d'une base solide et rapportée à notre territoire, avec concertation des équipes de terrain. Je note toutefois que, contrairement à la lecture qui en a été faite, le rapport ne fait pas référence au seul traitement pharmacologique, au contraire, il ne l'évoque qu'en deuxième intention. De même le rapport n'affirme pas les déterminants génétiques ou biologiques de la délinquance, malgré ce que tel ou tel a voulu lui faire dire. Pour autant, l'approche des troubles, le relevé de leur prévalence, l'étude des déterminants sont insuffisants...
- Sur le plan éthique, il conviendra de reprendre les bases jetées par le Comité d’éthique de l’INSERM, qui a rappelé que le rapport prenait, à tort et contrairement aux engagements mêmes de cet organisme, une position prescriptive au lieu d’être dans une position de recherche (phénomènes, corrélations, explications, hypothèses).
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Comprendre les projets…
De la même manière sur le plan des projets de loi sur le dépistage des populations à risque, il conviendra de noter :
- Des réalités : il existe une conjonction entre des intentions préventives, tant pour les comportements à risque des enfants et jeunes (projet de Nicolas Sarkozy) que les comportements à risque des familles (projet de loi de Philippe Bas)
- Des besoins : certaines familles, enfants ou jeunes, se trouvent en effet enfermés dans des modes de communication, des réalités interactionnelles, qui peuvent à terme entraver un développement ou une socialisation. Se préparer à une intervention préventive, en amont d’une dégradation et d’un nécessaire traitement est une évidence. Elle est indiquée, souhaitée, préconisée par les professionnels. Le refuser serait une erreur, même si je m’associe à la réflexion sur la meilleure méthode, qui semble ne pas avoir encore été posée
- Des supputations : tout aura été dit pour provoquer des amalgames : système de dénonciation ou de délation, organisation généralisée de carnets de comportement pour toute la population, etc… Je note d’ailleurs que ces supputations sont même favorisées par les ministres eux-mêmes, avec provocation
… pour construire... et relativiser les perspectives
Sachons raison garder de part et d’autre : la prévention des comportements à risque est une nécessité, elle est à construire et à financer… C’est ce qui à mon avis condamne précisément toute l’approche présentée dernièrement par le ministre de l’Intérieur sur ce thème (généralisation de bilans, carnets de suivi, etc…)… Engageons un véritable débat sans erreur sur l’orientation (avancer dans la prévention), avec une vraie clarté éthique sur le fond (l’agitation n’est pas l’efficacité, les familles et enfants ont besoin d'être soutenus et non fichés ou condamnés) et une sérieuse démarche de réflexion sur les méthodes.
Daniel GACOIN
Daniel,
Je m'étonne de ton dernier article sur le projet de Philippe BAS.
Agitation dis-tu ? Pas forcément !
Accorde moi le crédit d'avoir un peu pioché cette question avant d'avoir pris position, signé la pétition de pas de zéro de conduite... et interrogé la précipitation du ministre à vouloir à tout prix dépister les éventuelles maltraitances dès le quatrième mois de grossesse !
Je t'encourage à lire 2 articles à ce sujet sur mon blog :
http://jeanmichelzejgman.free.fr
J'y affirme notamment la nécessité d'articuler la protection de l'enfance avec une action sociale plus large, prenant en compte l'exclusion sociale, la maltraitance d'origine sociale (concept développé par Jean-Marie Petitclerc depuis de nombreuses années).
Par ailleurs , hormis l'Uniopps qui a fait paraître sous la plume de Roger Bello un article dans le dernier numéro d'UNION SOCIALE dénonçant la précipitation du ministre et la nécessité de ne pas faire rimer prévention avec contrôle social, on ne peut constater de la part des associations qu'un faible questionnement autour d'un projet qu'il nous faudra bien ensuite mettre en oeuvre ...
"Alors, pour une fois, interroger ne veut pas forcément dire qu'on s'agite dans le vide, ou, pour paraphraser Shakespeare "beaucoup de bruit pour rien". C'est peut-être aussi une réaffirmation de l'interrogation du sens, de la nécessaire dimension éthique de toute action sociale, du rôle symbolique des Juges des enfants qui est aujourd'hui remis en question dans ce projet de loi.
Nous en reparlerons certainement (je l'espère !)
Cordialement
Jean-Michel
Rédigé par : Jean-Michel ZEJGMAN | 27 mars 2006 à 22:10
Non Jean-Michel, le projet dont je parle dans ce billet n'est pas celui de Philippe Bas sur lla protection de l'enfance, mais le pré-projet concernant la prévention de la délinquance de Nicolas Sarkozy, celui qui est critiqué dans la fameuse pétition.
Je parle justement des amalgames, dans mon billet, pour entrer dans des critiques plus stables et rationnelles.
Cela dit, je suis d'accord avec une partie de tes propos sur la réforme de la protection de l'enfance, pas sur tout évidemment.
Amitiés
Daniel
Rédigé par : Daniel | 27 mars 2006 à 22:20
Daniel,
Autant pour moi (rires) et pour la confusion des 2 projets !
C'est vrai, luttons contre les erreurs méthodologiques et les amalgames, tu as raison de tenir à cette position à laquelle je souscris largement donc ... mea culpa !
Effectivement ton billet n'aborde pas directement la question de la réforme de la protection de l'enfance, mais plutôt la question de la prévention de la délinquance.
Pourtant, si on le relit avec attention, ce que je n'ai pas manqué de faire, on constate que tu abordes également le projet de Philippe BAS avec la même interrogation que nous partageons, je crois, sur sa concomitance avec le projet de Nicolas Sarkozy et la confusion que cela peut entraîner.
On peut effectivement se demander si ces 2 projets ne procèdent pas d'une même logique, notamment sur la question des dépistages précoces ?
Je dois me rendre le 10 et 11 avril prochains aux Assises de la protection de l'enfance à Angers, j'espère également y trouver des débats, des réflexions, des propositions, des réponses.
Je ne manquerais pas de t'en transmettre ce que j'en ai perçu et retenu, mais peut-être y seras tu présent toi même ?
Amitiés
Jean-Michel
Rédigé par : Jean-Michel ZEJGMAN | 28 mars 2006 à 22:37