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L’ère de l’adaptation…
Pour de nombreux auteurs, pour tout dirigeant d’organisation publique ou privée, la période de mutation ouverte depuis de nombreuses années entraîne des adaptations, nécessaires, des organisations et de leurs acteurs : contexte externe prégnant, réglementation accrue, décloisonnement, concurrence, acteurs nouveaux, globalisation voire mondialisation, nouvelles technologies, individualisation des services, insécurité, etc… Elles donnent lieu bien souvent à des injonctions : s’adapter ou mourir…
…et des résistances supposées
Ces adaptations, particulièrement pour le secteur social et médico-social, sont construites autour d’une ouverture nouvelle (primauté de l’usager ou client, logique de réponse, personnalisation du service, différenciation par la qualité). Elles sont formulées par les dirigeants, rarement par les salariés eux-mêmes, dans des injonctions… axées sur l’adaptation des individus à l’organisation en mouvement. Paradoxe, puisque les acteurs s’identifient moins aux dimensions collectives, voire se situent en décalage avec toute dimension institutionnelle (l’individu et la satisfaction de ses besoins priment).
La difficulté à mettre en place ces adaptations (décidées ou soumises à réflexion participative) amène les dirigeants à émettre une explication rapide (souvent avec un sourire entendu, signifiant la profondeur du propos) : c’est de « la résistance au changement »… Une formule devenue viatique : explication-clé intégrant presque par magie une solution (renvoyer les individus à leurs difficultés avec le changement).
Un concept établi…
La « résistance au changement » peut correspondre à une réalité, mais le terme est la plupart du temps utilisé à tort. Aussi faut-il revenir au concept, hérité de la sociologie des organisations. Crozier, par exemple, le lie aux marges d’incertitudes et jeux d’acteurs, aboutissant à des organisations bloquées. L’école de l’enracinement (jeux dans les organisations) détaille deux types de stratégies personnelles possibles : se mettre en harmonie avec l’environnement, mettre en place des obstacles pour défendre une position… L’analyse systémique, surtout, apporte des assises théoriques. Les « organisations - systèmes » y sont conçus comme des organismes ouverts, soumis à interactions internes et aléas extérieurs, à la recherche d’un équilibre qui, s’il est en danger, suscitera des jeux et tentatives pour revenir à l’état antérieur. C’est ce qui a été appelé, pour reprendre un terme de la thermodynamique, « l’homéostasie », et qui est plus couramment repris par le terme de « résistance au changement ».
… et une utilisation pervertie…
Une représentation courante s’est imposée progressivement : les individus renâclent, par nature, à toute perturbation de leur milieu. Cette représentation ne peut être liée, elle est même contraire, aux concepts théoriques où c’est le système qui est analysé comme « homéostatique », pas les individus.
…avec ses conséquences
Naturellement, la question du changement est donc représentée, à tort, par deux « lieux communs ». Le premier est la supposée allergie des hommes aux changements et perturbations de leur milieu ; le deuxième est le développement nécessaire, par les dirigeants, d’un vrai doigté pour emmener les hommes sur le chemin des adaptations.
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Renverser la question
Confronté à ces représentations dans mon domaine (celui des organisations sociales et médico-sociales), j’ai une lecture différente… l’adaptation au changement est difficile à mon avis, non à cause de résistances, mais par absence de perception, par les acteurs, de la commande du changement :
- Il n’est pas formulé, ni même parfois affirmé : orientations, calendriers ou visions du changement ne sont pas portés et réellement communiqués par les dirigeants,
- Le comportement de ces derniers, même quand ils ont formulé le « but », est organisé autour de méthodes inadaptées, voire parfois contraires à l’objectif (entrave, schéma théorique, ordre et contre-ordre, déni paradoxal du changement),
- L’implication des acteurs est centrée sur des modes participatifs non maîtrisés, voire mal positionnés (demander des propositions sans les suivre, demander une décision partagée avec évitement de la dialectique nécessaire, etc..)
En bref, évoquer la « résistance au changement » est souvent une façon d’éviter la question centrale : l’interrogation des pratiques managériales (« le chemin ») contraires à l’objectif affiché (« le but »). Un exemple est présenté dans le N° 168 de la Revue Sciences Humaines * : un article évoque l’étude faite sur le changement, au Ministère des finances, à partir de la réforme de 1999 (mise en place de l’interlocuteur unique du contribuable). Elle montre que les salariés de terrain sont entrés dans de multiples efforts, adaptations, inventions, augmentations des compétences. La hiérarchie au contraire a multiplié, parfois sans le vouloir, les obstacles au changement : directives nouvelles et contraires aux expérimentations, fonctionnement rigide, non présence, incompréhension des réalités et des efforts, etc…
… pour promouvoir d’autres formes de conduite
Je propose donc d’asseoir le développement, l’innovation, la conduite de projet, en bref le changement sur un triptyque :
- La commande claire : clarté, planification limitée mais tenue, calendrier d’implication, vision et convictions des dirigeants, positions fermes
- La prise en compte des réticences : esthétique d’un contexte de réception permettant aux acteurs d’évoquer les incompréhensions ou doutes, puis développement d’une argumentation adaptée,
- La conduite partagée : construction d’un calendrier de travail sur l’invention partagée, non des directions, mais des modalités pratiques du changement dans une véritable « éthique de discussion ». Ceci suppose des groupes participatifs et un réel suivi, garanti, de leurs contenus.
J’aurai bien sûr l’occasion de reprendre ces conduites dans des exemples et conseils plus précis et concrets, qui ont largement fait leur preuve. En attendant, sortons de l’explication facile, trop facile sur la résistance au changement, en assumant l’interrogation sur sa conduite effective et sa pratique.
Daniel GACOIN
* L’article est situé à la page 20 du N° 168 de février 2006 de la Revue Sciences Humaines. Il a pour titre « Salariés ou direction : qui résiste au changement ? ». Il présente donc une étude du Ministère des finances : « Travailler dans le changement, travailler au changement ». L’étude peut être reprise en consultant le N° 48 de la Revue de l’IRES. Christian Viallon, un de mes interlocuteurs les plus réguliers (Cf. son dernier commentaire, si pertinent, du 19 mars sur la question scolaire des enfants handicapés et les évolutions structurelles à engager), m’a transmis il y a quelques semaines quand nous évoquions ce thème, le lien pour consulter l’étude complète :
http://www.ires-fr.org/files/publications/revue/revueires.htm
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Merci pour cet aperçu des stratégies en oeuvre face à un changement.
Pour ma part, il me paraît important de faire l'analyse des "pouvoirs" dont dispose chaque acteur dans une démarche de changement.
Il me semble que si un acteur (ou un groupe d'acteur) à qui s'adresse une demande de changement dispose de peu de pouvoirs par rapport à celui qui les lui propose, il va utiliser, en les renforçant, les quelques rares formes de pouvoir dont il dispose afin de démontrer la réalité de son existence. Plus faible est son pouvoir statutaire, plus forte risquera d'être sa réaction (blocage, inertie, retrait etc...).
"Prise en compte des réticences" et "conduite partagée" peuvent certes fonctionner mais pour autant qu'elles laissent à chacun son minimum de pouvoir et d'existence. Simples remarques de bon sens...
Rédigé par : Antoine Buffet | 25 mars 2006 à 00:49
En balade sur le Net, je découvre votre blog. Nos préoccupations ne sont pas très éloignées. Je vous conseille, en toute humilité et modestie évidemment, la lecture de notre livre paru à la fin de l'année dernière intitulé : "SURTOUT, NE CHANGEZ RIEN" aux éditions d'Organisation. Sous-titre : Pourquoi résistons-nous tant au changement ?
Je vous convie également à la conférence sur le thème des résistances au changement le mardi 30 mai prochain à 18 h dans les salons du Conseil Général du Val d'Oise à l'Hôtel du Département sis à Cergy.
Cordialement,
Pierre Zimmer
0660841860
www.surtoutchangezrien.com
Rédigé par : pierre zimmer | 23 mai 2006 à 16:14
= "Il me semble que si un acteur (ou un groupe d'acteur) à qui s'adresse une demande de changement dispose de peu de pouvoirs par rapport à celui qui les lui propose, il va utiliser, en les renforçant, les quelques rares formes de pouvoir dont il dispose afin de démontrer la réalité de son existence. Plus faible est son pouvoir statutaire, plus forte risquera d'être sa réaction (blocage, inertie, retrait etc...)." =
Je ne fait que passer ... mais je tenais a repondre au commentaire precedent, poste il y a plus d'un an maintenant.
Elle sous-entend que les groupes de gens qui ont peu de pouvoir vont saisir l'occassion creee par un changement pour manifester leur presence pour le simple plaisir d'etre au devant de la scene.
Apres forte reflexion, je tiens a exprimer mon avis en 3 lettres : lol ^^
Rédigé par : T.O. | 21 septembre 2007 à 07:45
bonjour Daniel,
nous nous sommes vus lundi 1 er octobre dans une très belle salle de l'hotel de ville d'Avignon.
Ma première opinion de vous est plutôt négative. Elle porte d'avantage sur la forme que sur le fond. En creusant un peu grâce à ce blog je découvre que vous vous intéressez à un thème qui m'est cher ; l'éthique.
Vos écrits ont l'air plus clairs que vos paroles et vous semblez poser des questions interessantes sans faire barrage à l'évolution. Ceci donne envie de creuser encore un peu.
Rédigé par : Alexis Blain | 02 octobre 2007 à 23:39