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Un ouvrage de référence…
La dernière livraison de la sociologue Dominique Meda, chercheuse au Centre d’études de l’Emploi, écrite avec un conseiller social spécialiste des pays nordiques, Alain Lefèvre, porte un titre provocateur, largement repris par quelques médias : « Faut-il brûler le modèle social français ? » (Seuil, Mars 2006)
… pour chercher des solutions
Il est construit autour de la recherche de solutions pour un système présenté comme en crise, notamment autour de la supposée réussite de partenaires européens. Le "modèle social français", en effet, est installé sur des équilibres aujourd’hui menacés (globalisation, changement technologique, vieillissement de nos sociétés, mise en concurrence des systèmes). Il est donc obligé d’entrer dans 2 réformes : refonte des objectifs et des fonctions du système de protection sociale ; élaboration de nouveaux droits individuels et transférables, attachés aux personnes et négociés collectivement.
Un contenu structuré…
L’ouvrage comporte 5 parties principales :
- Un modèle inefficace. Ce 1er chapitre présente une analyse fournie de la faillite et des limites du système de protection sociale de la France. Le modèle social français y est détaillé dans ses travers : il va mal, fomente les résultats quasiment les plus mauvais de l’Europe. Il est construit sur un système de régulation en crise de manière récurrente, chaque fois que la croissance manquait au rendez-vous. Le modèle est bien en cause : il est assis sur l’emploi, ce qui, en période difficile où les dépenses augmentent, alourdit mécaniquement les coûts pesant sur l’emploi et dissuade les embauches ; il habitue les individus à l’assistance et les exonère de leurs responsabilités. Les auteurs prennent soin d’indiquer que ce modèle est condamné… à se réformer.
- L’utilisation rationnelle des comparaisons. Ce 2ème chapitre est consacré à une démarche dite "benchmarkante" consistant à regarder les pays plus performants. Il permet d’introduire l’approche qui suivra, avec méthodologie et mesure.
- La réussite nordique et ses explications. Ce 3ème chapitre est évidemment majeur puisqu’il détaille les modalités de l’adaptation plus facile du système scandinave, présenté comme efficace et équitable. Ce chapitre reprend, sans le nommer, tout l’intérêt d’un système de protection sociale « beveridgien » (du nom de Lord Beveridge, son concepteur) basé sur un système égalitaire à un niveau standard élevé, intégrant « flexibilité et sécurité ».
- L’impossible transposition. Malgré les présentations, les auteurs indiquent combien les résistances internes sont fortes dans notre pays : en particulier, ils fustigent en France le pessimisme foncier et l’abord idéologique des questions.
- Le temps des réformes. Le 5ème chapitre détaille par le menu les solutions imaginées par les auteurs, à partir d’un positionnement : s’adapter au contexte actuel en sauvegardant nos valeurs et nos principes et en préservant le long terme. Les champs d’action proposés comportent : une politique active de l’emploi, la conciliation de la flexibilité et de la sécurité, la rénovation de la protection sociale (un financement de solidarité plutôt que des cotisations sociales), une protection sociale « productiviste » (par exemple la politique familiale rompant avec le soutien du « libre choix » à travailler, ou le transfert des ressources des plus âgés vers les plus jeunes et le transfert également des prestations en espèces vers des services de proximité).
… vers des propositions fortes…
Sur le fond, les auteurs, et malgré de nombreuses précautions méthodologiques, assument un point de vue central : « en se rapprochant des systèmes et expériences des pays nordiques, nous pouvons retrouver les principes fondateurs de notre modèle social, parmi lesquels la redistribution occupe un rang non négligeable, et ainsi adapter nos politiques pour rendre notre pays plus compétitif ». Un autre point de vue fortement rappelé consiste à mettre en valeur la nécessité de « l’investissement social ».
... qui laissent le lecteur sur sa faim
J’ai évidemment apprécié ce contenu si riche (et ramassé en 150 pages très lisibles), et notamment quelques orientations pour des solutions, particulièrement celle de "l'investissement social". Néanmoins je suis resté saisi progressivement par un malaise, pour plusieurs raisons :
- La perception par les auteurs de notre protection sociale est basée essentiellement sur son financement, ignorant la diversité et le caractère composite du système et des actions, que nous pourrions qualifier d’hybride (une pincée de libéralisme, une pincée de protection "bismarkienne", une pincée de protection "beveridgienne", des responsabilités institutionnelles croisées et peu lisibles). Parfois, la perception des dispositions légales d’aide sociale, des outils d’action ou d’intervention sociale, est bien insuffisante chez des auteurs plus à l’aise avec la thématique de l’emploi.
- Le chapitre de propositions reste généreux mais peu étayé, souvent marqué par l’incantation et des pistes très générales, malgré la justesse des directions proposées. Le contour d’un système nouveau reste donc très flou, voire même abordé de manière légère.
- Au-delà des solutions (« le but »), il me semble que le « chemin » pour y parvenir est délibérément mis de côté. A mon sens, ce chemin est condition et vecteur du changement.
L’ouvrage est donc un excellent outil de réflexion, notamment dans le domaine des comparaisons, mais il ne permet pas de répondre totalement à l’enjeu de la construction du changement et de sa pédagogie.
Daniel GACOIN
PS 1 : Le lecteur qui voudra avoir une présentation adaptée de notre système de protection sociale pourra lire l’ouvrage "Le nouveau système français de protection sociale", de J-C. Barbier et B. Théret, Ed. La Découverte, 2004. Malgré quelques erreurs (notamment sur le champ de l’action sociale), le livre est simple d'accès et bien riche…
PS 2 : Dans la même veine que l’ouvrage de D. Meda et A. Lefebvre, un ouvrage de Timothy B. Smith a été édité en décembre 2005 par les Editions Autrement. Son titre : "La France injuste, 1975-2006 : pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus". Je détaillerai certains contenus, fort intéressants, dans un prochain billet.
Bonsoir
Je vous remercie pour la critique de notre livre, pour sa pertinence et l´anayse détaillée que vous avez menée. On aime être lu ainsi.
Je voudrais toutefois apporter quelques précisions. Tout d´abord au sujet de la connaissance des outils d´aide sociale: j´ai été directeur de DDASS et de DRASS, ce qui m´a conduit à connaître le champ par exemple le champ de l´aide, sociale, il est vrai il y a quelques années. Mais je crois qu´il y a un malentendu qui prouve que nous n´avons pas été compris: nous proposons une méthode pour arriver à des propositions, via un changement d´organisation du pays et du management aussi.
L´organisation, vous la décrivez bien comme hybride (une pincée de libéralisme, une pincée de protection "bismarkienne", une pincée de protection "beveridgienne", des responsabilités institutionnelles croisées et peu lisibles), nous l´analysons (par exeple page 144 pour les personnes âgées comme source d´irresponsabilité. Nous proposons une restructuration sur la base de principes danois.
Mais notre pointle plus important nous a conduit à refuser de faire des propositions concrètes (qui nous brulaient la plume, car nous avons aussi des idées en la matière...): c´est l´idée qu´il faut manager différemment le pays, et la politique sociale aussi; ce n´est pas à un expert ou deux de faire des propositions, il faut un travail en commun des partenaires pour définir les objectifs communs et la ligne de conduite pour y parvenir. L´Etat doit devenir un accoucheur de réforme, et ne pas être celui qui décide sur la base de l´avis de ses experts. Nous expliquons aisni dans les articles que vous avez pu lire que nous sommes partisans d´un pacte social pour définir ces nouvelles régles. Donc nous avons tracé des pistes, et nous nous sommes volontairement limités dans nos propositions.
J´espère que notre démarche est plus claire avec ces précisions qu´elle ne l´est apparemment pour le lecteur du livre...
Et je suis prêt à discuter de tout cela par email (aplefebvreAROBASEgmail.com) avec tous ceux qui le souhaiteraient, ou à faire un débat en groupe, etc...
Et bravo pour le site, j´ai essayé d´en faire un sans y arriver...
Rédigé par : Alain Lefebvre | 22 mars 2006 à 21:08
Merci Alain Lefebvre pour votre intérêt pour mes propos critiques, c'est-à-dire intéressés et en même temps interrogatifs.
J'ai beaucoup apprécié votre position éthique : entrer dans un débat avec des propositions globales et non avec des solutions toutes faites. Et cette précision m'a même confirmé dans un accord général avec vos réflexions.
Néanmoins un hiatus me semble encore à lever : le diagnostic éventuel, la formulation de l'horizon à atteindre sont importants, mais l'exploration des formes de conduite des réflexions et du changement devraient être un complément indispensable. C'est pourquoi j'ai indiqué l'enjeu de "la construction du changement et de sa pédagogie" comme élément encore à travailler.
Mais en même temps, je comprends bien que votre ouvrage s'inscrit dans une approche progressive, finalement comme une porte d'entrée. Il est vrai qu'à bien le lire, il en a toutes les qualités. J'ai notamment apprécié son écriture directe et facile d'accès pour des réalités bien complexes.
Une petite précision : il me semble bien normal que vous indiquiez votre connaissance de l'aide et de l'action sociales, pour confirmer combien votre approche n'est pas uniquement centrée sur la thématique de l'emploi et de la sécurité sociale. Pourtant, ma critique (mesurée) tient quand même : vous avez surtout décrit le modèle social par son angle assurantiel et public, avec ses aspects pervers indéniables, sans suffisamment insister sur le rapport de forces : 80 % assurances sociales (enfin apparentes puisque l'Etat interfère), 10 % action et aide sociales, 10 % régimes complémentaires extra-légaux. Il me semble même que la question des services à la personne ouvre une autre forme de réalisation et de financement de l'action sociale.
Mais toutes ces réflexions critiques ne retirent rien à la qualité globale de votre approche et à mon accord sur le fond des orientations soutenues.
A très bientôt donc...
Bien cordialement
Daniel GACOIN
PS : pour le blog, le créer a été facile (un bon conseil et un bon portail), la suite c'est la régularité et l'intérêt pour les échanges... une affaire de constance donc... c'est-à-dire le plus difficile et en même temps le plus passionnant
Rédigé par : daniel | 25 mars 2006 à 09:15