Un cri d’alerte…
L’article paru dans un grand quotidien du soir * a pu passer inaperçu, il comporte néanmoins une approche nouvelle, basée sur une conception humaniste offensive en faveur de l’efficacité de l’action sociale et des corrections des exclusions. Son auteur, Martin Hisrch, ancien énarque et haut fonctionnaire responsable de plusieurs organismes et commissions, aujourd'hui président d’Emmaüs France, auteur de plusieurs rapports majeurs pour l’action sociale, est comme toujours incisif dans ses constats, ses questions, ses propositions.
Il fait le point sur la progression de la misère avec une révélation peu commentée : depuis 1970, le taux de pauvreté n’avait cessé de diminuer (seule l’année 1970 faisait exception) pour passer de 12 % à 5,9 % de la population, il fait un bond dans le dernier calcul statistique effectué, toujours avec un temps de retard, en 2003, avec une montée à 6,3 %. Gageons que, de 2003 à 2006, ce taux a dû encore continuer à augmenter. Ceci constitue un fait sans précédent depuis 35 ans, malgré tous les programmes et mesures de lutte contre l’exclusion.
… qui interroge les responsabilités publiques
M. Hirsch renvoie d’abord un premier constat : cet indicateur ne donne pas lieu à sanction, alors que le respect du critère de 3 % de déficit budgétaire conduit, par exemple, à modifier en urgence des échéanciers importants comme celui du versement de l’impôt sur les sociétés. Rien de tel pour le taux de pauvreté, indique t-il !
L’heure n’est pas au constat, mais au questionnement et à la mobilisation. J’épouse son point de vue.
Accepter d’expérimenter…
L’auteur rappelle une évidence : nous oublions l’expérimentation en action sociale. La souhaitons-nous d’ailleurs ? Ainsi, dit-il, « on ne connaît pas l’efficacité moyenne d’un euro supplémentaire investi dans l’insertion ». En contre-exemple sont cités le Canada et le Royaume-Uni où, sur deux programmes (SSP dans le Nouveau-Brunswick et la Colombie-britannique, ERA dans 6 villes du Royaume-Uni), des personnes, comparées à un groupe témoin, ont bénéficié d’un engagement spécifique (soutien long terme, suivi de parcours, incitation financière) avec un résultat probant et mesuré.
…pour innover
Loin de moi l’idée de faire de cette manière d’appliquer l’évaluation, en faisant la part entre un groupe témoin ne faisant pas l'objet d'une action sociale et un autre bénéficiant d'un accompagnement, une généralité. M. Hirsch la présente pourtant comme un modèle en contrepoint des pratiques hexagonales : réformes qui se succèdent avant d’être évaluées, décrets plus corsetés les uns que les autres, difficultés à accepter des dérogations au droit commun, empilements institutionnels illisibles et inefficaces.
J’accepte sa proposition centrale : entrer, sur des thèmes d’urgence, dans des expérimentations avec « une culture du résultat appliqué au secteur social ». Cette approche s’adresse en particulier à la mise en œuvre de toutes les actions innovantes, expérimentales, de lutte contre la pauvreté. Elles concernent :
- Les initiatives créatrices d’emploi au niveau local,
- La meilleure utilisation des dépenses sociales,
- Le contournement des clivages institutionnels.
Une structure-aiguillon qu’il faut soutenir
Dans cet esprit, M. Hirsch crée aujourd’hui une Agence nouvelle des solidarités actives, conçue dans un rôle de catalyseur, notamment pour favoriser le rôle de ceux qui veulent « entreprendre socialement ».
J’ai toujours eu une position mesurée à l’égard des positions simplistes devant des problèmes complexes. Je n’ai jamais souhaité généraliser une culture du résultat en matière d’accompagnement des personnes en difficulté : je crains toujours une instrumentalisation des approches, centrée sur la mesure de la transformation des personnes. Toutefois, en matière d’insertion, je trouve intéressante une évaluation basée sur la transformation des mécanismes sociaux de l’exclusion.
Je souhaite bon vent à cette initiative que je rejoins. Qu’elle favorise donc, sur le long terme, des soutiens publics et privés, pour faire face aux défis qu’elle évoque… Qu’elle suscite intérêt et interrogations… Qu’elle transforme les conceptions… Qu’elle favorise des initiatives diverses, iconoclastes peut-être, mais utiles pourvu qu’elles changent la donne pour des générations de personnes installées durablement dans une précarité disqualifiante.
Daniel GACOIN
* A lire donc l’article de Martin Hirsch, « Contre la misère, osons ! », dans le Monde daté du 2 février 2006 et paru le 1er.
Daniel,
Le travail de Martin Hirsch est très intéressant, il interroge avec justesse les évolutions que nous ressentons tous de manière empirique.
Il a le mérite de clarifier et de nommer une réalité très inquiétante.
Il reste pourtant une question essentielle, qui est l'articulation du travail social avec le politique.
La plus belle structure ou organisation pour lutter contre la "misère" (tiens on ne dit plus exclusion ?) trouvera toujours ses limites dans la politique sociale proposée par le gouvernement en place, quelqu'il soit.
Hors certaines réalités sont très dérangeantes, pour les politiques...
En écho à sa proposition, on pourrait peut être paraphraser son titre : "Contre la misère politicienne, Osons !"
Rédigé par : Jean-Michel ZEJGMAN | 09 février 2006 à 09:32
Je viens moi-aussi de publier mon post du jour autour de l'appel de Martin Hirsch. Cette indifférence générale et cet aveuglement des politiques de tous bords me sidère... Les infos de cet ordre-là, il nous faut bien évidemment, chacun à notre échelle, participer à les communiquer et à les diffuser pour qu'elles puissent avoir l'écho, les conséquences et les actions qu'elles méritent et doivent engendrer.
Rédigé par : NGK | 16 février 2006 à 13:57