L’individualisation des accompagnements, une évolution majeure…
L’action sociale est aujourd’hui structurée autour d’un repère majeur : l’individualisation des pratiques. C’est un progrès. Il introduit la relation de service, comme réponse individuelle aux besoins, comme maître mot de tout accompagnement. La loi du 2 janvier 2002 est venue donner un cadre formel à cette approche (obligations, outils). Décrite par Robert Castel (L’insécurité sociale, Seuil, 2003), en lien avec l’évolution globale de la protection sociale, elle est liée à un triptyque majeur : individualisation, projet, contrat.
… à condition de la circonscrire
Malgré ce progrès, je constate une dérive progressive sur le terrain : unique repère, cette méthodologie structurante envahit les perspectives de travail, renvoyant dans l’ombre toute approche collective du travail social, toute action communautaire. Je suis ainsi conduit à plaider, encore et toujours, pour lier la dimension individuelle de tout accompagnement, autour de la relation de service, à une dimension de vie plus collective et sociale, dans les établissements sociaux et médico-sociaux notamment.
La vie sociale comme support…
Vivre ensemble ne me semble pas un pis-aller, une situation contrainte qu’il conviendrait de limiter parce que problématique ou source de perturbation. Quelle que soit la population concernée, le « vivre ensemble » est une occasion de découverte et de transformation, de solidarité, de construction par confrontation à l’autre et à la norme, de développement de son autonomie, de promotion donc.
… à réinventer…
L’animation de cette vie collective doit ainsi retrouver ses lettres de noblesse, non comme complément, mais comme vecteur de lien social et de transformation. C’est pourquoi je préconise que les travailleurs sociaux investissent, ou plutôt réinvestissent, la fonction d’animation. Ils pourront le faire en luttant d’abord contre des représentations.
Il n’y a pas ainsi, selon moi, d’un côté une fonction d’accompagnement individuel, noble par essence, et de l’autre une fonction collective, vide de sens et uniquement centrée sur l’occupationnel ou les loisirs. La vie quotidienne d’une part (et la noblesse des « petits riens du quotidien », si chers à Michel Lemay), l’animation de la vie collective d’autre part, sont une formidable occasion de travail et d’investissement. Leur développement suppose une redécouverte des fondements et méthodes. Il convient ainsi de sortir de la présentation de « l’agir ensemble », uniquement autour de l’animation d’activités : par exemple des supports occupationnels de type « perles / macramé / fils et clous »,…
… par la diversité des méthodes
Cette réduction infantilisante (et méprisante à l’égard des fils et clous !) ne tient la route que parce qu’elle est construite sur une méconnaissance forte de l’animation collective. Il convient de se rappeler que celle-ci peut, en effet, se développer à travers cinq approches différenciées :
- Par activité : l’inventivité, la diversité des supports, la créativité est possible en la matière,
- Par évènement : internes ou externes, ces derniers sont une formidable occasion d’introduire du symbolique et de la vie. Un programme intégrant des temps à thèmes, la venue d’intervenants extérieurs, la dimension festive, en bref une diversité de supports, est toujours intéressant. Je présente toujours l’exemple, réel, d’un foyer d’accueil médicalisé ayant créé un programme sur une année, un jeudi sur deux, d’invitations/rencontres pour les résidents avec des personnalités extérieures (maire de la ville, artistes, artisans, cuisiniers de grands restaurants, responsables d’associations, musiciens, représentants du culte,…) : la vie sociale et citoyenne a ainsi sa place dans cette dimension collective interne,
- Par lieu : une approche originale, où l’intervention sociale sera uniquement centrée sur l’équilibre entre des contraintes et variables dans un espace donné, sans approche relationnelle, est une occasion de réinventer l’investissement libre et l’expérimentation des usagers dans des lieux qu’ils pourront transformer et où ils pourront prendre des responsabilités,
- Par projet : ce champ est majeur. Il concerne la libre adoption / projection dans une dimension collective, la prise de responsabilités, les apprentissages nécessaires et consentis dans la réalisation. De l’activité voyage à la confection de confitures, de la fabrication d’un journal à la prévision d’une action humanitaire… c’est, pour les usagers, une occasion de se transcender et de s’associer à des dimensions qui leur échappent, mais où ils auront le plaisir de (re)trouver leur part,
- Par temps partagé : on y trouve en particulier tous les temps de régulation, d'expression collective, des plus libres (groupes de parole) aux plus codifiés (Conseil de la vie sociale) permettant à chacun de s'associer à l'élaboration des normes du "vivre ensemble".
Tout est possible donc, mais surtout, me semble-t-il, tout est utile et permet de sortir d’horizons uniques et uniformisés. C’est l’objet même de l’action sociale : vecteur de découverte et de redécouverte de soi, de soi avec d’autres, pour des personnes qui, précisément, ont vécu le lien comme un danger et non comme une ressource.
Daniel GACOIN
Daniel,
Tout à fait d'accord sur l'articulation nécessaire de l'individuel et du collectif au sein de nos institutions ; projets personnalisés et partage avec d'autres, vie en groupe, ne devraient effectivement pas être opposés. Au contraire, symboliquement, on n'existe qu'en relation à l'autre, aux autres, et nos institutions devraient être nourries de ces valeurs de partage.
Je te rassure, dans les internats, les MECS notamment, ce type de projets reste très vivace. Citons par exemple les transferts, les activités, les clubs qui restent très nombreux, malgré les contraintes liées aux 35 heures. Dans l'institution que je dirige, les enfants, les jeunes se nourrissent fortement et sont très demandeurs de ces moments privilégiés où l'on partage une passion, des bons moments (référons nous à Winnicott et ses espaces transitionnels) ensemble, et où l'action éducative peut prendre toute sa dimension.
Certaines structures comme les SESSAD auraient effectivement intérêt à développer ce type de pédagogie, et à articuler davantage une action nécessairement individualisée, à des temps d'activité en groupe où l'énergie développée par l'ensemble des participants nourrit les dynamiques individuelles. Le résultat est souvent supérieur à la somme des parties !
Au sujet de ta réponse à mon commentaire sur ton article relatif à Martin Hirsch, je ne reviendrais pas sur le débat politique, politiques, politicien : en effet, j'ai également une haute opinion du Politique, de la démocratie et des valeurs humanistes, mais je persiste à dire que "les politiques" ne sont peut être pas suffisamment à la hauteur du "Politique".
Je t'encourage à lire un article informatif que j'ai écrit sur le projet de réforme de la Protection de l'Enfance présenté par Philippe BAS. Il y a certainement des idées généreuses : politique de l'Enfance, prévention,.. en même temps, on peut à juste titre s'inquiéter d'une dérive sécuritaire de l'action sociale.
Cet article est lisible sur le site PSYCHASOC de Rouzel et s'intitule "le dépistage précoce est à la mode" ou bien sur mon blog :
http://jeanmichelzejgman.free.fr
Bonne lecture !
PS : Merci pour ton livre et le gentil mot que tu m'as adressé, je vais le lire prochainement, mais d'ores et déjà, bravo !
Rédigé par : Jean-Michel ZEJGMAN | 18 février 2006 à 07:50
je suis en 2ème année de formation Animation Socioculturelle à Grenoble et j'effectue un stage en MECS avec des enfants de 6 à 12 ans. Je souhaite rédiger un mémoire à propos des enjeux du partage de la vie quotidienne dans la relation éducative. En ce sens, je souhaiterai mettre en valeur le fait que si le l'animateur partage des éléments de la vie quotidienne du public avec lequel il travaille, la relation qui se crée est particulière:confiance qui se met en place plus rapidement, professionnel qui se rend mieux compte des besoins du public...Il me semble que votre article va implicitement dans ce sens, c'est pourquoi je me permet de vous demander si vous avez rédigé ou connaissez des supports écrits sur lesquels je pourrai m'appuyer pour rédiger mon mémoire.
Cécile Jacque
Rédigé par : jacque cécile | 18 janvier 2008 à 19:45